Les motivations de Tariq Teguia? Le désir de traduire des sensations pour rendre compte du pouls de notre société, sans tomber dans le sensationnel, l'antipode de son cinéma... On ne se lasse pas de le voir et de le revoir. La filmothèque Mohamed Zinet a présenté vendredi dernier, sur initiative de l'association Chrysalide et ce, dans le cadre de son ciné-club hebdomadaire, le film de Tariq Teguia, Roma wa la n'touma. Un film hautement esthétique d'un drame intime au travers de la réalité des années 90. Kamal et Zina est un couple ordinaire qui tourne en rond dans l'Algérie des années 90. Ils vont à la Madrague, en banlieue d'Alger, à la recherche de Bosco, un passeur censé fournir un faux passeport à Kamal. Ce dernier veut quitter l'Algérie. Arrivera-t-il à échapper à sa destinée? L'espace d'une nuit et d'un jour, Zina et Kamal ne sortent plus de ce quartier labyrinte. Une errance pleine de contretemps, de brimades et d'impasses, accompagnée de silence, celle d'une monotonie et lassitude marquées de sursauts de survie et d'espoir...«C'est l'Algérie des années 90, celle d'un espace qui se défait continuellement, dans un présent qui peut être celui d'aujourd'hui» révélera le réalisateur en préambule de la projection. Le film s'ouvre sur un travelling qui balaie, la nuit, un large plan séquence, muet. Nous rentrons de plain-pied dans l'univers de Teguia. Une peinture humaine lasse sur fond de guerre qui ne dit pas son nom. On la devine mais on ne l'entend pas ou presque, se décline par bribes tel un mirage...C'est plutôt la survivance de ces deux êtres au coeur de leur déchirement qui importe à notre réalisateur-photographe qui, hanté par le temps, prend lui aussi le «temps» de nous rendre compte de ce qui fait aussi notre vie, celle d'une Algérie écartelée à trop tourner autour d'elle même... Les harragas, les sans-abri et les sans-papiers, l'Algérie de ceux qui, dans ce quotidien morose, rasent les murs, se trimballent et travaillent au noir, les intégristes, l'autre Algérie peu ou prou abordée dans le cinéma algérien, celle des clandestins, y compris Zina et Kamel...Tout ceci traduit par un rythme, une lumière et un décor claustrophobique qui transpire l'ennui mais raccordé paradoxalement par des musiques joyeuses qui viennent contrebalancer ces images ternes et souvent insipides. «On montre ce que d'habitude ne devrait pas l'être, on prend notamment le temps de montrer des gens qui flânent, qui se perdent...» Les motivations de Tarig Teguia? Le désir, au delà de la compréhension, de manipuler des sensations, donner à percevoir, et à écouter, lentement, doucement mais sûrement, le pouls de la société, sans tomber dans le sensationnel, l'antipode de son cinéma. «Il faut laisser au plan, le temps de glisser sur différents rythmes..» Aussi, faire du cinéma pour notre réalisateur est avant tout interroger ses outils, son vocabulaire, et brasser une large matière, en somme, expérimenter de nouvelles voies pour ne pas tomber dans la réédition. Déroutant par sa forme comme l'est cette quête de ce couple, Roma wa la n'touma s'affirme ainsi comme un film original qui donne un nouveau souffle au cinéma algérien, qui en a grandement besoin. «faire un film, c'est comme Picasso qui va à la décharge...» explique Tarig Teguia. Et comme la poésie c'est l'art de l'abstraction, alors tant pis si la violence est éludée, c'est la ressentir qui compte. Dans ce cas, celle-ci ne peut être que plus réelle. Et le film de Tarig Teguia est encore plus émouvant car il touche, sans pour autant tout dévoiler. C'est ce qui fait que son film est désarmant de vérité, par le naturel de ses comédiens qui ne le sont pas et l'histoire déroulée avec délicatesse et...art! Entre Antonioni et Brahim Tsaki, Tarig Teguia se veut ainsi l'un des réalisateurs de la nouvelle génération de cinéastes algériens sur laquelle il faudra compter. Inévitablement, un témoin de son temps. Incisif et singulier. Ses projets? Un autre film où il sera amené à élargir sa carte...Et montrer encore Alger sous un nouveau prisme...Prix spécial du jury au Festival international du film de Fribourg 2006, Roma wa la nt'ouma a fait l'objet aussi d'un riche débat, vendredi dernier. Car il ne nous laisse pas du tout indifférents...