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Cette société fragmentée comme un poème
GABBLA (IN LAND) DE TARIQ TEGUIA À L'AFFICHE À ALGER
Publié dans L'Expression le 24 - 05 - 2009

La filmothèque Mohamed-Zinet accueille depuis le 20 mai dernier et ce jusqu'à mercredi prochain, à raison de deux séances par jour (13h et 18h), le nouveau film de Tariq Teguia, Gabbla (In Land).
Controversé. Soit on aime soit pas du tout...L'histoire d'un topographe, Malek un peu «perdu» à qui on demande d'aller raccorder des poteaux électriques dans l'Oranie. Rien de spécial en somme. Une rencontre fortuite lors de son voyage va le pousser à changer de route et bifurquer vers d'autres horizons. Retrouvera-t-il enfin «le nord» grâce à cette harraga noire? Qui est-elle? Comment s'appelle-t-elle et d'ou vient-elle? On ne sais pas. Elle est en fait le bon prétexte pour Malek, le topographe de sortir enfin de son étouffement face à un désarroi plus grand.
Cette étrangère, au coeur de ce nulle part va lui tracer le chemin qui le renvoie à sa propre existence. Il avoue d'ailleurs dans le film que c'est une partie de lui-même qui l'a conduit à tel endroit. Tout est question de lignes dans ce film, lignes de destin, de vie ou d'amour et qu'importe la voie empruntée...ne dit-on pas que tous les chemins mènent à Rome? In land de ce fait apparaît comme une longue «traversée du désert» personnelle, au sens figuré du terme, et surtout parsemée d'embûches..Ici est la preuve qu'on peut étouffer même dans les grands espaces et que la notion de claustrophobie est bien subjective. Invité dans le cadre du ciné-club de l'Association Chrysalide, Karim Moussaoui, réalisateur ayant la chance de travailler comme assistant réalisateur sur ce film, a lors du débat, posé d'emblée à Tariq Teguia la problématique d'une prétendue «radicalité» de son film. Le réalisateur préférera parler de l'envie de faire passer d'abord des sensations, et en parlant de radicalité, il évoquera le manque de moyens qui a entouré la création de son nouveau long métrage et le grand courage qu'ont eu les comédiens, pour la plupart non professionnels qui ont accepté de jouer dans son film.
Teguia, qui pour rappel, est photographe de formation, insistera sur le terme de «durée» au lieu de «longueur» dont beaucoup de gens se plaignent à l'issue de la projection. Est-ce ce un phénomène de «contemplation» qui existe dans la photo justement, qui est restitué ici? Une piste vers laquelle tend un spectateur.
Présent aussi, le comédien principal Kadder Afak fera remarquer à juste titre que le film, c'est «le temps, la réalité des choses, ce temps aussi bien pur et dur comme le silence». Tariq Teguia qui insistera sur la combinaison indissociable de l'image avec le discours, la forme avec le fond, et puis la musique et le son, évoquera aussi la question de la place de l'intellectuel dans la société à travers l'atomisation de celle-ci dans sa difficulté d'imposer la démocratie au cas où elle se veut être «le régime des prétendants». C'est pourquoi le mutisme pourrait être plus éloquent que la parole elle-même. Il soulignera aussi son désir dans le film d'assumer cette intellectualité qui existe dans la société. «Il y a une intellectualité qui traverse la société, des gens qui n'ont pas fait forcément des études, on la voit dans la poésie populaire.» Le réalisateur fait référence, notamment aux textes de chansons chers à Chikha El Djenia qui relèverait aussi «de la culture», estime-t-il ou encore ces vers de Omar Khayam, qui poussent à faire «marcher» nos neurones...l'impuissance de la figure de l'intellectuel est aussi un des aspects auxquels le réalisateur aspire à faire comprendre. Beaucoup de commentaires et d'éloges ont émané du public. «C'est original, différent et je ne suis qu'un simple étudiant de Tizi Ouzou qui dit ça», dira ce jeune Algérien. Tariq Teguia aura à répondre encore une fois à cette idée selon laquelle l'esthétique domine le tout. A cela, il dira que «l'image, le son et tout ce qui est agencé...n'est pas là pour faire joli. Un film, il faut qu'il restitue cette fourmilière fragmentaire du monde. Faut que ça bruisse. Il faut faire des films comme d'autres font des sculptures.» Pour sa part Abdennour Zehzah, réalisateur de documentaires confie: «Le film dérange en ce sens qu'il met en scène un individu à la recherche de soi-même.» Et une plasticienne, trentenaire, d'affirmer: «C'est un très beau film, qui montre l'image telle quelle de l'Algérie. Nous avons enfin trouvé le film de notre génération.» Pour info, après avoir reçu l'an dernier le prix Fipresci de la critique internationale à la 65e Mostra de Venise, Gabbla a été de nouveau distingué par le Prix spécial du jury lors du dixième Jeonju international film festival en Corée qui s'est tenu du 30 avril au 08 mai dernier.


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