«Le gouvernement manque de rigueur et de courage politique (...), patine dans des questions stratégiques et recule au lieu d'avancer.» L'Algérie fait un pas en avant et deux pas en arrière. Ce que le pays a pu réaliser comme performances socioéconomiques depuis 1999, il est en train de le perdre sous les coups du populisme et des lobbies. En faisant ce constat jeudi, sur les ondes de la Chaîne II de la Radio nationale, M.Ahmed Ouyahia, secrétaire général du Rassemblement national démocratique, a tenu, comme le veut la tradition depuis son départ de la chefferie du gouvernement, à aviser qu'il n'est pas un opposant. Son soutien au président de la République reste indéfectible. «Mon objectif, a-t-il dit, n'est pas d'attaquer une personne ou de critiquer une quelconque démarche économique. Je fais simplement un constat.» Mais son constat a fini par prendre les allures d'une véritable campagne contre la démarche de l'actuel gouvernement. Ouyahia souhaitait balayer la thèse de la confrontation, surtout dans cette conjoncture marquée par les rumeurs et les démentis autour du départ de M.Belkhadem de la tête du gouvernement, mais l'impression laissée à la fin de la rencontre démontre qu'entre les deux hommes rien ne va plus. «Le gouvernement manque de rigueur et de courage politique(...), patine dans des questions stratégiques et recule au lieu d'avancer.» Ce sont les principaux griefs retenus contre le staff de Belkhadem. Ce qui semble intriguer le plus Ouyahia, c'est la remise en cause des principales décisions prises à l'époque où il dirigeait le gouvernement. Il y a tout d'abord la fin de l'obligation de détenir un capital social minimum de deux milliards de centimes pour toute création d'une société d'importation. Un seuil farouchement défendu par Ouyahia en 2006 dans le souci, a-t-il réitéré hier, d'écarter les «affairistes» et autres «charlatans.». «Nous sommes le seul pays au monde qui détient un seul importateur pour 1500 personnes. Certains importateurs se contentent de deux ou trois transactions avant de disparaître. Cela doit nous inciter à nous pencher sérieusement sur la question.» Sans équivoque, Ouyahia accuse le gouvernement «de céder au diktat des lobbies». «Tout le monde sait que cette activité est gérée par des lobbies. J'ai lu, ajoute-t-il, que la nouvelle mesure concerne uniquement les importateurs des ouvrages. Ça ne m'étonnerait pas si on l'étend à d'autres activités.» Invité par ailleurs à donner son avis sur l'abrogation de la décision d'interdire aux entreprises publiques d'ouvrir des comptes dans des banques privées, prise par son gouvernement en août 2004, Ouyahia a estimé que «chaque gouvernement est libre dans ses décisions». Il rappelle par contre, que la mesure était «d'ordre préventif» et «dictée par le souci de préserver l'argent public». Sans aller jusqu'à stigmatiser cette abrogation qui prend effet à partir du 1er du mois en cours, le conférencier a énoncé un certain nombre d'arguments qui confortent la loi de 2004. Premièrement, l'interdiction en question, note-t-il, «n'a pas freiné l'économie nationale, qui a continué à fonctionner normalement». Mieux, cela a incité les banques privées étrangères à ouvrir plusieurs agences et à diversifier leurs offres, alors qu'elles se contentaient de financer les exportations. Sans oublier que les dépôts des avoirs des institutions publiques dans les banques privées «étaient insignifiants». Comment peut-on prétendre lutter contre le blanchiment d'argent, l'évasion fiscale et le commerce informel au moment où nous remettons en cause les principaux outils juridiques pouvant nous aider à résorber ces phénomènes? s'interroge-il. L'allusion est faite à la décision du gouvernement de renvoyer aux calendes grecques l'obligation de recourir à l'usage du chèque pour les montants égaux ou supérieurs à 50.000DA, devant entrer en vigueur à partir du mois de septembre 2006. Le malaise social qui se manifeste avec l'affaiblissement de plus en plus du pouvoir d'achat des Algériens et la hausse des produits de large consommation, n'est pas lié à la Bourse internationale, (argument soulevé par Belkhadem et son ministre du Commerce). Le problème est beaucoup plus profond. Il est en relation directe avec la gestion des affaires de l'Etat et les orientations économiques du gouvernement. Ouyahia reproche à son allié, la stratégie de fuite en avant, le recours fréquent aux solutions faciles, et le manque de visibilité sur le long terme. Cela s'est vérifié, appuie-t-il, sur sa lancée, dans la manière avec laquelle il traite le dossier de l'extraction du sable des oueds et de la mer: «Au lieu d'encourager les investisseurs dans les sablières à se convertir dans les carrières, le gouvernement tente de prolonger jusqu' à 2009 cette activité sous prétexte de sauver les chantiers du bâtiment et des travaux publics.» Interrogé sur la loi de finances 2008, M.Ouyahia a estimé que «si elle apporte l'argent nécessaire aux projets de développement, elle pourrait être améliorée, notamment par des mesures stimulant l'investissement». Il a souligné que les députés de son parti feront au cours du débat à l'APN «plusieurs propositions réalistes». Abordant la situation sécuritaire, M.Ouyahia a soutenu que «la baisse de vigilance a permis aux groupes armés de relancer leurs activités criminelles à Boumerdès, Tizi Ouzou, Bouira». Selon lui, les kamikazes ne sont pas poussés par le marasme social uniquement, mais sont nourris par les discours intégristes, tendancieux, prêchés dans les mosquées par des imams opportunistes. Tout en défendant la Charte pour la paix, Ouyahia a tenu à soulever que le projet qu'il défend diffère de celui exposé à celui de Sant' Egidio.