«Il y a deux sortes de diplomates: ceux qui lisent les journaux et en savent autant que nous; ceux qui ne lisent pas les journaux et ne savent rien.» (Edouard Herriot 1872-1957, deux fois chef de l'Etat français.) La rencontre lundi et mardi, dans la capitale portugaise, Lisbonne, des ministres des Affaires étrangères des pays de l'Union européenne avec leurs homologues des pays du Sud de la Méditerranée, intervient dans un contexte particulier, marqué par le retour de tensions et de crispations entre les partenaires sur bien de sujets d'ordre stratégique, qui ne sont pas pour favoriser le «généreux» projet d'un espace euro-méditerranéen de paix et de stabilité. A commencer par l'ordre du jour de cette neuvième rencontre du genre, où il sera question de coopération économique, sociale, culturelle...et bien sûr, dans la lutte antiterroriste, les flux migratoires, etc. Vous aurez remarqué comment avec le temps, le discours politique et idéologique européen «mêle» le dossier de la lutte antiterroriste et de la sécurité à celui de l'immigration. Vision qui ajoute à la confusion et à l'amalgame entretenus sur les sujets de l'Islam, l'islamisme politique, le terrorisme...Ainsi, les Européens et les Sud-Méditerranéens abordent leurs discussions sous des angles différents, sinon opposés. A ce propos, rappelons l'absence de la majorité des chefs d'Etat et de gouvernement au Sommet qui fêta en novembre 2005, le 10e anniversaire du processus qui porte le même nom. Le constat d'échec partagé, il faut le dire, du projet euro-méditerranéen est sans appel. Aujourd'hui, avec la Politique européenne de voisinage (PEV), le projet français d'une Union méditerranéenne, la relance de la coopération dite des 5+5, les partenariats stratégiques entre les uns et les autres...a joutent à la confusion plus qu'ils ne clarifient les horizons d'une coopération juste et équilibrée entre l'Europe et le Sud de la Méditerranée. Cette rencontre de Lisbonne a déjà reçu une note de la Commis-sion européenne (l'Exécutif européen) qui lui sert de base de discussion. Emploi, tourisme, santé, environnement, culture...plus les inévitables questions de la lutte antiterroriste, la coopération judiciaire, les migrations sont à l'ordre du jour. Autant de domaines débattus dans une telle rencontre qui a le statut de forum (et non d'institution dont les décisions ont un caractère exécutoire) ne prélude pas à une meilleure visibilité du projet euro-méditerranéen. Et puis, il y a ces nouvelles donnes d'une extrême sensibilité politique qui reviennent à la surface au sud de la Méditerranée: la question du Sahara occidental et l'avenir de la Palestine. Etait-il opportun, intelligent au président français, Nicolas Sarkozy, de proclamer haut et fort son soutien à la marocanité du Sahara, au moment même où l'ONU encourageait à la reprise du dialogue entre le Maroc et le Polisario, sans conditions premières? D'autant plus que le président français défendait l'idée d'une Union méditerranéenne, idée lancée en 1983 par François Mitterrand, reprise dans le dialogue des 5+5 lors du traité de Marrakech, développée en 2001 et renforcée lors du Sommet d'Oran en 2005. L'idée de Sarkozy de reprendre l'initiative aurait été salutaire si elle ne prêchait par trop d'impartialité et d'aventurisme politique. Comme un malheur n'arrive jamais seul, voilà que la ministre des Affaires étrangères israélienne déclare, en présence de celle des USA, Mme Condoleezza Rice, et à la veille de l'ouverture de cette rencontre ministérielle à Lisbonne, que «la sécurité d'Israël passe avant un Etat palestinien, y compris dans la seule Cisjordanie sous autorité du Fatah de Mahmoud Abbas». La ministre israélienne a même osée une «hérésie». Elle a cité la «Feuille de route» du Quartette dont elle attribue la suspension en 2001 aux Palestiniens! Etonnant discours lorsque l'on sait combien Israël a profité des attentats du 11 septembre 2001 aux USA pour couper tout contact avec les Palestiniens. Du reste, combien de victimes palestiniennes depuis, et dans quel état se trouve la Palestine d'aujourd'hui? Sur cette question précise, l'Europe a, et continue, d'être absente, laissant aux Américains l'initiative. Pourtant Israël et la Palestine font partie de ce fameux projet euro-méditerranéen. Face à la tournure que prennent les choses en Méditerranée, est-il encore possible d'espérer un projet de paix, de prospérité et de justice? Tant que l'Europe axera sa politique de coopération avec les pays du Sud de la Méditerranée sous l'angle sécuritaire, qu'il concerne l'énergie, la violence ou les flux migratoires, elle bâtira plus de murs de méfiance autour d'elle, qu'elle n'ouvrira des chances pour la paix et l'abondance.