La chaîne de production est paralysée depuis hier. Quelle est la goutte qui a fait déborder le vase? Un plan de restructuration proposé par la direction appelé «Plan de travail partiel». Il s'agit de travailler 15 jours sur 30 tout simplement avec un salaire réduit de moitié. Les salariés ont vu rouge. Ils ont réagi au quart de tour. «La majorité des salariés perçoivent environ 12.000DA, la vie est déjà suffisamment chère et difficile. On a du mal à boucler les fins de mois, qu'est-ce que cela sera avec 6000DA?», nous déclare Farid, un des grévistes. Tout le monde connaît les déboires de Tonic Emballage: l'incarcération du directeur de la Sarl Tonic, Abdelghani Djerrar et ses démêlés avec la Badr, la Banque algérienne de développement rural. «Nous avons été à côté des responsables de Tonic, notre solidarité à leur égard a été sans faille», nous confie Rachid. «Ils se sont enrichis sur notre dos», lâche-t-il amèrement. On est pris dans un tourbillon formé par une marée humaine. Je suis entouré, en une fraction de seconde, par des dizaines de travailleurs qui en ont gros sur le coeur. Suis-je devenu leur otage? Leur porte-parole? «Nous comptons sur vous pour transmettre notre message», me lancent-ils presque à l'unisson. «Notre grève est pacifique. Nous voulons que l'Etat algérien intervienne pour régler ce conflit, et si l'on doit partir, qu'on nous donne nos droits», me fait savoir Farid, un de mes principaux interlocuteurs. Un autre gréviste s'approche et me fait part des pressions et des provocations qu'exercerait la direction sur le personnel: «J'ai été agressé, insulté par un agent de maîtrise qui a lâché contre moi un chien.» Des méthodes d'un autre âge existeraient donc en Algérie? Selon les témoignages des grévistes, la gestion de Tonic Emballage serait «moyenâgeuse», voire catastrophique. Elle ressemblerait à une de ces manufactures du XIXe siècle des bas-fonds de la banlieue londonienne. Karl Marx y perdrait le nord. Les arrêts de maladie ne sont pas pris en compte, mises à pied avec obligation de venir travailler. Les jours fériés ne sont pas pris en compte et la liste est longue. «On nous a supprimé même le transport, une manière de faire pression sur nous pour démissionner», relève Rachid la mine déconfite. Selon une note de la direction de Tonic Emballage, en notre possession: «Après négociations avec les délégués, certains ouvriers ont accepté l'application de cette méthode qui est le "travail partiel", mais d'autres ont catégoriquement refusé, ce qui pose un point d'interrogation pour leur avenir.» Les grévistes nous ont fait savoir qu'il n'existe pas de syndicat au sein de leur entreprise. Un imbroglio que la direction de Tonic Emballage compte régler avec l'intervention de l'inspecteur du travail, à défaut de partenaire social. «La réponse serait claire, nette et précise, c'est que l'ouvrier n'ouvre plus le droit à une indemnité de départ volontaire», conclut la note de Tonic Emballage. Les ouvriers grévistes eux, n'en démordent pas: «Nous voulons nos droits en cas de départ volontaire. Les pouvoirs publics doivent arbitrer ce conflit», a lâché Farid. Il faisait beau hier à Bou Smaïl, mais le coeur des ouvriers de Tonic Emballage était lourd, très lourd. Un ras-le-bol doublé d'un sentiment d'injustice et des lendemains qui risquent d'être très durs les attendent. Il y avait dans leurs yeux un sentiment de fierté et de dignité qui en dit long sur leur détermination à faire respecter leurs droits.