Cela fait tout juste un mois que la cité de l'Immigration a été ouverte à Paris, et, déjà, 50.000 personnes ont déambulé dans les vastes pièces de ce musée singulier. C'est là un public composite que l'on découvre devant les larges écrans ou les vitrines du musée, des personnes âgées du quartier comme des jeunes en quête de leur passé. Ici, c'est un jeune homme d'origine camerounaise. Là, deux femmes venues reconnaître un pan de leur histoire; l'une est Espagnole, l'autre, Portugaise. «Cela a conforté l'intuition que beaucoup d'entre nous avaient: cette institution répond à une profonde demande de la société française», explique Patricia Sitruk, directrice de la cité de l'Immigration. «Nous ne sommes pas entrés dans un cliché de population, souligne-t-elle encore. Car on aurait pu penser que ne viendraient ici que les immigrés et descendants d'immigrés, pour trouver quelque chose d'une histoire personnelle. Tout au contraire, ce que nous retraçons là c'est l'Histoire de France, et ce que nous avons à montrer, concerne tout le monde.» En France, depuis plusieurs décennies, ce projet, initié par des historiens et des chercheurs, tâtonnait. L'établissement met désormais en lumière deux siècles d'immigration, et dévoile un projet solide, pour «reconnaître le parcours d'intégration des populations immigrées dans la société française», et de faire «évoluer les regards et les mentalités sur l'immigration en France». On y croise ainsi les destins mêlés des immigrés algériens, et de toutes origines, marqués par un départ souvent douloureux et une arrivée rarement aisée. Parmi tous ces visiteurs silencieux, certains viennent fouiller dans le fond de l'Histoire, parce qu'ils appartiennent à la vaste famille des immigrés. «Mon enfance, c'est ça!», s'exclame Gill, d'origine espagnole, en balayant la salle, enthousiaste, d'un geste de la main. Malika Boubekeur, d'origine algérienne -ses parents sont enterrés en Kabylie- est aussi l'un d'eux. «Des gens comme mes parents se sont peu exprimés sur leur déracinement, voire pas du tout. En allant à la cité de l'Immigration, je recherchais des traces de leur histoire, témoigne-t-elle. L'émigration était quelque chose de difficile, et ce musée arrive quand même à en montrer tous les efforts, les sacrifices.» A l'exposition permanente du musée, Malika Boubekeur a découvert, par hasard, un film d'archives, dans lequel apparaissent les visages de ses deux jeunes frères, à la cité de transit où ils vivaient enfants. «C'est émouvant de se voir repérer dans sa cité, sous l'angle de l'immigration: c'est comme si on entrait dans l'histoire! Il y a aussi quelque chose d'un peu troublant, mais on a le sentiment de laisser sa trace.» Au troisième étage de la cité, une installation de Kader Attia, «Correspondances», fait entrer l'espace d'un instant, à travers des photos et des vidéos, dans la vie d'une famille algérienne séparée depuis seize ans entre la France et l'Algérie. Plus loin, se recrée l'atmosphère d'un foyer de travailleurs, à travers un calendrier musulman, un cendrier et des objets du quotidien, pêle-mêle. Ailleurs, une voix retentit: «Sur le pont du bateau, je regardais Alger s'éloigner», et certains s'arrêtent, l'oreille attentive. Des témoignages, des portraits, des archives, des photos, l'immigration prend corps grâce à une multitude de supports et sous différents angles, pour ne pas enfermer insidieusement ceux dont elle parle. La Cité fonctionne d'ailleurs davantage par thématique que par catégories d'immigrés. «L'image de l'immigré travailleur étant plutôt algérien est un stéréotype, et la cité permet justement de dépasser les fantasmes et les stéréotypes, atteste Patricia Sitruk. Elle rappelle que l'immigration a été belge, italienne, espagnole, turque, etc.» Certains visiteurs n'enquêtent aucunement sur leurs racines, mais viennent s'imprégner de celles des autres, pour s'apercevoir ou se rappeler que les immigrés, eux aussi, ont fait l'Histoire. Thomas, 22 ans, en témoigne: «Je découvre énormément sur l'immigration. J'avais pas mal d'idées toutes faites mais voir la réalité, ça surprend toujours! Et moi je ne suis pas confronté à ça tous les jours.» Dans ce lieu, les descendants d'immigrés et Français de souche ont toute leur place, et ce n'est là ni un hasard ni une contrainte, mais le signe d'un intérêt commun.