Visite, sur fond de débats houleux sur l'immigration, d'une institution ouverte en catimini mais qui légitime historiquement la présence des étrangers en France. Paris. De notre bureau Ouverte le 10 octobre dernier, sur fond de polémique politicienne (absence des autorités officielles à son inauguration), la Cité nationale de l'histoire de l'immigration ne cesse d'accueillir, depuis, un public nombreux et divers qui découvre les différents éléments d'expositions mis en place pour cette fin d'année 2007 ; en attendant d'autres aménagements et des manifestations très ambitieux prévus pour les deux années à venir. Initiée par Jacques Chirac, alors président de la République et l'action conjuguée du monde associatif et d'un certain nombre d'universitaires et d'acteurs de la vie sociale de l'immigration, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) a vu le jour légalement le 1er janvier 2007 (parution au Journal officiel de la République française). Après un certain nombre de travaux de réfection et d'aménagement, l'ancien palais de la Porte Dorée, qui abrita l'exposition coloniale de 1931, a fait peau neuve, pour s'inscrire dans l'évolution d'un XXIe siècle qui — via cette cité — verra la légitimisation de la présence étrangère dans un pays que Jacques Toubon, président du comité d'orientation de ladite cité, définit comme « Les Etats-Unis d'Europe ». De fait, et bien avant l'Amérique, la France n'a cessé de se révéler terre d'accueil, tout au long de deux siècles de migrations qui ont vu, tour à tour, des vagues humaines successives et diverses modifier profondément les contours d'une société, dont la caractéristique sociologique et culturelle reste marquée du sceau du mélange et du cosmopolitisme. c'est cette donnée historique qui a déterminé la stratégie, pour ne pas dire la philosophie et qui a présidé les choix des concepteurs. Car la première particularité de cette institution culturelle, c'est d'avoir tourné le dos à toute forme d'idéologie officielle qui aurait « repeint en rose » une histoire très contrastée selon les époques, dont certaines ont généré rejets et actes de xénophobie. Qui se souvient ainsi que des immigrés italiens furent lynchés en 1993 à Aiguemortes dans le sud de la France ? Outre des expositions temporaires (les Arméniens actuellement), il faut surtout souligner la pertinence des choix qui ont présidé au montage de l'exposition permanente qui occupe tout le premier étage. Un premier prologue développe une histoire en chiffres sur deux siècles, soulignant le caractère récipiendaire de la France par rapport à ses voisins européens. Ainsi, 1891 est la période où la France reçoit des populations limitrophes. 1931, c'est l'ouverture vers les Italiens et les Belges. 1975 voit l'arrivée concomitante — s'agissant des Trente Glorieuses (1945-1975) — des Portugais, des Espagnols (déjà là après 1936) et surtout des ressortissants de l'ex-empire colonial, majoritairement Maghrébins et Algériens en particulier avec 800 000 résidents en 1977. En 1999, la mondialisation en marche se traduit par une diversité très large des migrants qui viennent d'Afrique subsaharienne et d'Asie. Loin de l'Eden L'exposition permanente intitulée « Repère » recèle une originalité. Si les grandes dates et les grands courants sont mentionnés, les concepteurs ont ajouté un inventaire singulier : celui de la collation d'histoires et de destins personnels qui donnent une dimension très humaine de l'exil, dont le déroulement est loin du jardin de l'Eden... Autre centre d'intérêt de cette expo permanente, le visiteur n'est pas contraint en termes de temps. Le sens de la scénographie permet à chacun de progresser à son rythme. L'autre avantage c'est que les historiens, scénographes et muséographes ont croisé les disciplines et les regards. Ainsi, l'anthropologie est convoquée au même titre que l'histoire, la culture ou les arts. Les artistes immigrés occupent une place prépondérante (expos-photos par exemple). On peut souligner et saluer cette initiative par laquelle les acteurs eux-mêmes de la saga de l'immigration s'expriment et témoignent à visage découvert. Tout n'est pas ramené uniquement aux concepts intellectuels ou aux discours généraux et globalisants. Et c'est là que réside sans doute le meilleur de cette orientation générale. Certains immigrés ont pu faire des dons personnels, tel le « Rital » de Cavanna, actuellement exposé, tandis que des cabines d'enregistrement ouvrent une catégorie d'archives sonores. Une multitude d'objets, depuis les habitations à lits gigognes, chères aux foyers de travailleurs, jusqu'au contenu d'une valise, renseignent tant et mieux sur le vécu des immigrés. Les murs d'images deviennent ainsi des témoins de première main sur les conditions de vie et d'accueil faites à ces travailleurs de l'ombre, dont les enfants et petits-enfants revendiquent, aujourd'hui, une visibilité pleine et entière qui ne fait que commencer. Au rez-de-chaussée, la salle des fêtes a été transformée en un vaste forum dédié aux échanges. De fait, la Cité, n'étant pas un musée comme les autres, mettra en œuvre des partenariats avec des médias et des institutions culturelles diverses, afin de monter des manifestations vivantes. L'ouverture sur le monde scolaire — de manière à cibler les jeunes générations — sera l'un des axes majeurs de la Cité pour développer les connaissances et les savoirs autour de cette réalité en devenir qu'est la migration, désormais corollaire de la mondialisation. Nous avons sollicité le réalisateur Mehdi Lallaoui (Les silences du fleuve, film sur les événements d'octobre 1961) et par ailleurs, cofondateur de l'association Au nom de la mémoire. Son sentiment reflète assez bien les enjeux que représente cette Cité de l'immigration, première du genre en Europe, après le fameux Musée d'Ellis Island aux USA : « Je ressens un sentiment de joie mitigée, nous dit l'artiste, la Cité est en effet un outil qu'on a voulu, souhaité et pour lequel on s'est battu. Elle peut être un formidable outil pédagogique pour démystifier enfin les immigrations et les immigrés. » Ce musée peut effectivement devenir un pôle de référence pour éduquer les gens au partage, à la tolérance et au vivre ensemble dans ce pays. Depuis un siècle et à travers les crises qui ont généré des tensions, en 1830, 1895, 1930, 1970 ou 1990, la tentation a toujours été grande en France, d'imputer aux immigrés la responsabilité de tous les maux sociaux, le chômage en particulier. Musée ou pas musée, cette tentation de s'attaquer à ce fonds de commerce de l'immigration risque de perdurer. Joie mitigée ? Oui, parce que les portes de l'institution s'ouvrent en pleines turbulences face aux attaques concernant les conditions d'entrée et de séjour, mais de vie aussi (regroupement familial), des immigrés en France. Un télescopage d'autant plus douloureux qu'au sein de l'immigration, comme dans de nombreux pans de la société française, l'accueil foncièrement favorable de la Cité coïncide avec le rejet des actuelles initiatives gouvernementales qui stigmatisent, une fois de plus, l'immigration en restreignant notamment, le droit au regroupement familial. Dans ce musée qui apparaît comme celui de la fraternité, quelle place prendraient des mesures instaurant des tests ADN, restreignant le droit d'asile ou pourchassant et expulsant les sans-papiers ?