Question sans doute incongrue, mais elle court comme une idée courte chez les beaux esprits d'aujourd'hui. Qu'est-ce à dire? L'économie islamique serait globalement, dans notre monde dit moderne, une sorte de concept épenthétique, une apparition, plutôt une intrusion, dans l'économie mondiale, car elle n'aurait pas sa place, tout semblablement qu'une présence d'une lettre très inattendue à l'intérieur d'un mot. Les linguistes connaissent bien ce phénomène; il reste à certains économistes dits experts, et pourquoi pas à certains professeurs aux Hautes Etudes Commerciales, de s'assimiler les nombreux et grands préceptes de l'économie précisés dans le Coran et les Ahâdîth. Certes, la pensée occidentale moderne diffère de la pensée islamique -tout évolue, la nature n'est pas inerte-, pourtant la pensée islamique a déjà apporté beaucoup à la première, ne fût-ce que pour signifier, dans l'intérêt de la vie économique mondiale, la pertinence de ne rien ignorer de la contribution de l'Islâm, autrefois et encore aujourd'hui. À cet égard, il est juste de reconnaître combien l'avènement des banques islamiques, sans doute de façon très inégale et parfois, il faut le dire, trop opportuniste pour ne pas être à la traîne des mouvements financiers, a été salutaire directement aux sociétés d'investissement qui se réclament de la Chari‘a et certainement aux sociétés d'investissement de type européen. L'ouvrage L'Islam et le monde des affaires(*) de Lachemi Siagh aide à comprendre les tenants et les aboutissants de tout le système, à dire vrai, de tous les systèmes qui prétendent générer l'économie dans le monde d'aujourd'hui. Ce livre n'hésite pas à bousculer les idées, toutes les idées, pour laisser s'émerger celles qui ont du bon sens, qui ont la faveur partagée du plus grand nombre des économistes éclairés et pratiquants: les hommes d'affaires, les investisseurs, les banquiers, ceux des pays riches, ceux des pays moins riches. Tant de théories ont été élaborées et ont eu du succès, mais tant de théories aussi ont vite tourné court au désastre. L'Europe industrielle en sait quelque chose. L'Amérique du Nord a, pourrait-on dire, mangé son pain blanc dans la confusion et tente, en rapace de l'économie, de nouvelles visées. La mondialisation profile déjà ses prochaines crises, tout en s'exaspérant de ses prétentions à régler la vie économique du monde. Or la problématique est de trouver les possibilités en termes d'approches «nécessaires et suffisantes» en vue d'une application justifiée et efficace aux milieux de «culture intense» dont parle avec raison Lachemi Siagh en rappelant, et en le soulignant sainement, que «la pensée économique islamique est foncièrement différente de la pensée économique occidentale laïque. C'est la Charî'a qui lui fournit son inspiration, ses principes de base et sa conception du monde des affaires». Dans ce livre dense et fort volumineux, l'auteur étudie avec minutie le fonctionnement des organisations qu'il appelle «milieux de culture intense» et qui sont, selon lui, «caractérisés par des contraintes majeures et où prédominent de fortes idéologies, religieuses, croyances, etc. Ces derniers facteurs constituent ce que nous appellerons, par opposition à l'environnement-tâche, l'environnement intangible». Il définit les banques islamiques par leurs formes d'organisation en s'attachant, avec pédagogie, «à expliquer les raisons de leur évolution, échec ou pérennité». Cependant, ce qui rend intéressant ce travail brillant de Lachemi Siagh, c'est l'implication totale de l'auteur dans le long cheminement de recherche, d'étude, d'analyse, de comparaison, de synthèse et de précision des concepts. Des figures, des références, un lexique complètent, comme une touche d'esthétique, un travail de fond à la portée de tous les curieux qui veulent s'instruire, savoir et comprendre, un domaine qui, hélas, est ordinairement tenu difficile, lourd, rebutant. Je pense qu'il y a, à lire ce livre, un possible et inhabituel plaisir. (*) L'ISLAM ET LE MONDE DES AFFAIRES de Lachemi Siagh Editions Alpha, Alger, 2007, 418 pages.