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De la colère de la Terre à celle des hommes
RETROSPECTIVE D'UNE ANNEE RICHE EN DETRESSE
Publié dans L'Expression le 31 - 12 - 2007

"Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage." Jaurès à propos du capitalisme naissant.
Cette citation du grand Jaurès est plus que jamais d´actualité. On ne peut pas comprendre le monde actuel si on n´a pas en tête des clés de décodage. Le matérialisme et son corollaire la mondialisation débridée amènent les pays industrialisés toujours à plus d´exigence au détriment d´une nature qui n´en peut plus et qui a dépassé, il y a bien longtemps, la moyenne de l´empreinte écologique dévolue à chacun et évaluée à moins de deux hectares. Nous y voilà donc, le capitalisme et l´énergie sont les deux mamelles de la discorde planétaire. Si on ajoute à cela le fait religieux et les colères de la Terre, par changements climatiques interposés, nous avons tous les ingrédients d´une année 2007 de sang, de larmes, de noyades, de corps déchiquetés et de riches plus riches que jamais et de pauvres plus pauvres que jamais. "Est-ce ainsi que les hommes vivent?" s´interrogeait Louis Aragon en son temps.
Souvenons-nous: 2007 avait démarré par la pendaison, quelques heures plus tôt, dans des conditions inhumaines, de Saddam Hussein. Ses amis comme ses ennemis furent bouleversés par sa dignité devant la mort. La vidéo tournée pour l´avilir s´est retournée contre ses détracteurs.. 2007 se clôture par la mort dans des conditions aussi inhumaines, mais ô combien courante, en terre d´Islam de la Dame de fer musulmane, Benazir Bhutto.
Quand l'Afrique dit non
Que pouvons-nous retenir de cette année 2007 de toutes les détresses, si ce n´est encore, qu´une fois de plus, le monde musulman n´en finit pas de souffrir? Tous les conflits qui ont agité la planète n´ont concerné que des pays musulmans. Même les colères "climatiques" de Gaïa la Terre, ont concerné en termes de dégâts et de pertes en vies humaines, des pays musulmans, à l´exemple du Bengladesh ravagé par un cyclone. Si on ajoute à cela les centaines de morts africains du fait des traversées tragiques pour fuir leur pays vers un eldorado plus que jamais cadenassé et ouvert, il nous est donné que les potentats arabes et musulmans sont toujours là Pourquoi en est-on arrivé là? Tout est parti, le pensons-nous, de la chute de l´empire soviétique. Osborne avait à juste titre, situé la fin du XXe siècle justement en 1989, ce XXe siècle qui aurait commencé en 1914 avec la Première Guerre mondiale. Ce siècle de l´épanouissement sans précédent des pays occidentaux n´aura duré en définitive que près de soixante-quinze ans. Souvenons-nous: La guerre froide puis la coexistence pacifique-équilibre de la terreur entre les deux grands, avait permis aux différents pays satellites de vivre dans une relative tranquillité. Le chaos est venu, qu´on le veuille ou non, d´un monde unipolaire. Les Etats-Unis tentés par l´Empire n´ont cessé de perturber l´ordre établi dans le sens de leurs intérêts. Ces intérêts, contrairement à ce que l´on peut penser, sont à la fois d´ordre matériel (marché, énergie) et spirituel (le locataire de la Maison-Blanche un Born again - né de nouveau, dit que Dieu lui parle, il lui aurait, entre autre, dit de donner une terre aux Palestiniens). Le remodelage du monde ne concerne pas seulement le Moyen-Orient. Tous les pays qui présentent un intérêt pour les Etats-Unis seront d´une façon ou d´une autre remodelés...
Pour en revenir à l´année 2007, à défaut de parler des innombrables sujets de tristesse qui ont ensanglanté le monde arabe et l´Algérie, intéressons-nous à notre entourage immédiat. Il nous faut d´abord saluer le sursaut de l´Afrique qui a grippé le ronronnement du rouleau compresseur de l´Union européenne encore bercé par la nostalgie des Empires. «Ainsi donc, écrit Ignacio Ramonet, au grand dam de l´arrogante Europe, l´inimaginable s´est produit: dans un élan de fierté et de révolte, l´Afrique, que certains croyaient soumise parce qu´appauvrie, a dit "non". Non à la camisole de force des accords de partenariat économique (APE). Non à la libéralisation sauvage des échanges commerciaux. Non à ces ultimes avatars du "pacte colonial". Cela s´est passé à Lisbonne, en décembre dernier, lors du IIe sommet Union européenne-Afrique, dont l´objectif principal était de contraindre les pays africains à signer de nouveaux traités commerciaux (les fameux APE) avant le 31 décembre 2007...L´Organisation mondiale du commerce (OMC) a exigé le démantèlement de ces relations préférentielles, ou alors leur remplacement. C´est cette seconde option qu´a retenue l´Union européenne, le libre-échange intégral camouflé sous l´appellation "Accords de partenariat économique". Autrement dit, ce que les Vingt-Sept exigent des pays d´Afrique (et de ceux des Caraïbes et du Pacifique), c´est d´accepter de laisser entrer dans leurs marchés les exportations (marchandises et services) de l´Union européenne, sans droits de douane».(1)
Plus près de nous encore, notre voisin du Nord, en l´occurrence la France s´est donnée un nouveau président dont le style de gouvernance n´arrête pas de nous interpeller. Avant d´y revenir, il nous faut dire quelques mots de son prédécesseur qui s´en est allé d´une façon gaullienne. Chirac "l´Arabe" ainsi surnommé par les bien-pensants avait une haute opinion de sa fonction, et de la France. Son rôle international est indéniable. Il s´y est beaucoup investi. Surtout, des prises de position fortes qui lui ont valu respect et admiration sur tous les continents. Comme début septembre 2002, au sommet mondial de Johannesbourg (Afrique du Sud) sur le développement durable, lorsqu´il a plaidé en faveur de la défense de l´environnement: "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs"...Ou comme le 18 mars 2003, dans une déclaration à l´Elysée où il s´oppose à l´invasion américaine en Irak: "Il n´y a pas là de justification à une décision unilatérale de recours à la guerre. " Voire celle, prise dans la même période, d´abroger l´article 4 de la loi du 23 février 2005 sur les "aspects positifs" de la colonisation. On aurait pu tourner la page douloureuse de l´invasion coloniale par la signature d´un traité avec la France. Il est dommage que cent-trente-deux ans de conflits, de douleurs, de larmes mais aussi d´acculturation qui fait que le plus grand soutien de la langue française après la France est l´Algérie qui ne veut pas de la francophonie, avatar de la "France-Afrique", soient réduits par le président Sarkozy à une relation bassement marchande.
Après les causes matérielles qui expliquent dans une large mesure les convulsions de ce monde, nous ne pouvons faire l´impasse sur le fait religieux et le repli identitaire. On sait que tous les conflits actuels concernent, pour une large part, le monde islamique. Qu´il s´agisse de l´Iran diabolisé pour cause d´indépendance énergétique, de la Palestine, du Kosovo, du Liban, partout des dynamiques profondes du choc insidieux des deux grandes religions, sous-tendent ces conflits exacerbés, il faut bien le dire, par des raisons matérielles, notamment l´approvisionnement en énergie.
Ainsi l´appel à la protection des minorités chrétiennes en terre d´Islam nous rappellent, à Dieu ne plaise, une certaine "Question d´Orient". Souvenons-nous, ce prétexte de "protection des minorités" qui a vu le dépecage inexorable de l´Empire ottoman. Le fait que le président du Liban soit maronite date de cette époque de 1865. Des séminaires sont organisés de plus en plus et on voit Regis Debray, ancien de la Gauche se reconvertir dans la défense de ces communautés opprimées. Ainsi la Serbie à qui on promet une adhésion à l´Union européenne - pour peu qu´elle se débarrasse du Kosovo a quelque chose d´indécent. La réponse serbe est toute en mépris: "On ne nous achète pas." Pendant ce temps, les pires écueils sont dressés devant la Turquie depuis cinquante ans. Surtout avec le zèle incompréhensible de la France pour la marginaliser encore plus.
Dans le même ordre d´idée, avec le nouveau locataire de l´Elysée, nous avons le tournis. On ne sait jamais si chacune des propositions qui sortent de l´ordinaire sont sincères ou diaboliques. Quand il parle, à titre d´exemple, de "laïcité ouverte" on demande à voir. Sa proposition de remettre "le fait religieux" au coeur du débat est peut-être de...bonne foi...laquelle? Parallèlement, il remet en selle des privilèges de l´Eglise que la République a mis du temps à se réapproprier elle re-scelle d´une certaine façon, les retrouvailles de l´Eglise avec "sa fille ainée"...A tout prendre, la République qui a mis un siècle à asseoir une laïcité respectueuse des religions, devrait s´en tenir là pour peu qu´elle soit équidistante de toutes les religions.
La désorganisation du monde, le repli identitaire
L´Islam doit se moderniser, dit-on, pour être invité à la table de la République. Triste époque où ce sont les mêmes représentants de la République qui se bousculent pour faire allégeance au dîner du Crif au cours duquel des bons points et des réprimandes sont donnés aux membres du gouvernement les doigts sur la couture du pantalon.
Dans tout cela, Israël avance; les colonies ne se sont jamais aussi bien portées, Olmert prévoit d´ajouter 30.000 colons à Jérusalem Est, malgré la signature de la Feuille de route qui est en fait une feuille de déroute pour les Palestiniens. On arme Abou Mazen contre Ismaël Hannyeh, on lui promet 7 milliards de dollars s´il écrase le Hamas, en vain. Les Accords d´Annapolis sont devenus une vue de l´esprit.
Israël accueille en grande pompe des Juifs iraniens qui ont fait leur "Alya" leur "montée vers Israël". Eux qui ne connaissent rien de la Palestine y sont invités logés avec 10.000 dollars en prime, payés par le lobby sioniste américain. Pendant ce temps, on détruit les maisons centenaires des Palestiniens pour faire de la place.
Dans cette prison à ciel ouvert que sont devenus la Jordanie et Ghaza, les Palestiniens sont ramenés à la condition de rats de laboratoire que l´on conditionne pour éviter les écueils c´est-à-dire les 400 chek-points de contrôle. Même le patriarche latin de Jérusalem, Michel Sabbah, a eu toutes les peines du monde pour aller à l´Eglise de la Nativité pour y célébrer la nuit de Noël en passant par une porte blindée dans une voiture blindée. Annapolis avait donné l´illusion factice d´une vraie négociation. Le fait accompli israélien a vite amené à déchanter. Malgré les milliards de dollars versés dans un "tonneau des Danaïdes", Abbas ne pourra aller de l´avant, il a la difficile tâche de museler le Hamas, pourtant démocratiquement élu, mais dont les Etats-Unis, l´Europe et Israël ne veulent à aucun prix.
Cette année 2007 a vu aussi une proposition généreuse dans son approche mais en définitive vide dans son contenu, il s´agit de "l´Arlésienne de Bizet" en l´occurrence, l´Union méditerranéenne. La conclusion que nous en tirons est que ce que veut la France est une Union méditerranéenne à la carte, chacun s´inscrit pour les projets qui l´intéressent, une "Union méditerranéenne à la carte", une sorte "d´auberge espagnole" où on déjeune avec ce que l´on a ramené avec soi. Nous restons sur notre faim. Plus question d´une Union politique, l´économique et le sécuritaire avant tout; fini les envolées lyriques sur la fraternité de Mare Nostrum!
Quelques mots enfin, de la colère de la Terre. Les changements climatiques et la colère de la Terre se rappellent à notre bon souvenir. Les inondations en juin en Angleterre et surtout celles catastrophiques du Bengladesh, nous renforcent dans l´idée que le comportement climatique est de pus en plus imprévisible. Selon les scientifiques, pour limiter le réchauffement à 2°C, il faudrait diviser par deux les émissions de GES d´ici 2050 (80% pour les pays industrialisés).
Or, le Protocole de Kyoto ne prévoit qu´une baisse de 5% des émissions de gaz à effet de serre dans les 38 pays les plus industrialisés pour 2008-2012. A titre d´exemple, un Américain envoie 20 tonnes de C02 dans l'atmosphère contre 8 tonnes pour un Européen et 2 tonnes pour un Chinois. La Californie, le deuxième Etat américain le plus pollueur, émet plus de GES que le Brésil, qui compte presque 5 fois plus d´habitants, ou que 106 pays en développement. Le réchauffement climatique pourrait provoquer une "guerre civile mondiale" en exacerbant des tensions latentes entre des populations, estiment des experts dans un rapport daté du 10 décembre. Nous voilà avertis. Les prochaines guerres ne seront pas uniquement idéologiques ou religieuses, il faut y ajouter les guerres de l´énergie, de l´eau, bref, de survie des plus aptes en terme de préparation aux futurs chaos; et là, comme ailleurs, ce sont les pays les plus arriérés qui vont payer pour les pays qui polluent
En définitive, et pour revenir à notre pays, j´avais indiqué dans plusieurs contributions que l´Algérie est tragiquement sous-développée malgré ces 120 milliards de dollars sortis, à tort de terre, compromettant certainement l´avenir des prochaines générations.
De plus, pour la jeunesse, l´avenir est encore opaque. Personne n´appréhende les dynamiques souterraines qui font mouvoir la jeunesse. Les rares études de sociologie sont superbement ignorées.
Cette discipline végète pourtant, elle peut jouer à juste titre le gardien de l´immunité pluridimensionnelle du corps social et le préserver de cette macdonalisation de la culture présentée comme inéluctable, doublée d´une mondia-latinisation sans état d´âme au nom du droit du plus fort. La réhabilitation de l´expertise par les universitaires est non seulement une nécessité mais elle devrait être une obligation.
La jeunesse doit être la préoccupation de tous les départements ministériels mais pas seulement. Il n´y a pas de petites contributions et de grandes contributions, ce sont, dit-on, les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Il faut, avant tout, redonner de la fierté à la jeunesse en lui traçant un chemin, un cap, une espérance, un destin et un cordon ombilical avec sa mère patrie..
* Ecole nationale polytechnique
* Ecole d´ingénieurs de Toulouse
1.Ignacio Ramonet: L´Afrique dit "non". Le Monde Diplomatique, Janvier 2008.


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