Notre société doit être convaincue que l'arrimage à son époque et son développement passent inévitablement par la réconciliation avec elle-même. Un colloque international portant sur le thème «Oralités, vocalités et scripturalités» initié par le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (Cnrpah), s'est ouvert lundi au Théâtre de verdure d'Alger pour débattre, durant trois jours, de la relation structurelle entre la voix et la scripturalité dans le patrimoine culturel des sociétés arabes, africaines et maghrébines. Dans une allocution lue en son nom par le président du Conseil scientifique du Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques, à l'ouverture des travaux de ce colloque, Mme Toumi, ministre de la Culture, a expliqué que «notre société, dans son ensemble, doit être convaincue que l'arrimage à son époque et son développement dans le concert des peuples et des nations, passent inévitablement par la réconciliation avec elle-même». Ainsi, «il est vital pour nos sociétés d'entendre et de comprendre les messages que nous ont transmis nos ancêtres depuis la nuit des temps», a-t-elle souligné avant de mettre l'accent sur l'importance des supports culturels qui véhiculent la recherche scientifique vers la société et confèrent aux sciences et au savoir un caractère social. Ces facteurs, a-t-elle ajouté, permettent à la société arabe de progresser et d'évoluer, tout en insistant sur l'importance que revêt l'existence d'une presse spécialisée en préhistoire, poésie et musique. La ministre a estimé, à ce propos, que «nos sociétés arabes ne peuvent assimiler les connaissances scientifiques les concernant, que si elles sont dotées, en contrepartie, des moyens nécessaires, notamment à l'ère de la mondialisation au sein de laquelle les sociétés qui n'auront pas puisé dans leur culture, produiront toujours les mêmes idées obsolètes inspirées de l'idéologie coloniale». Mme Toumi a mis en garde contre la persistance de ce phénomène qui exposerait les sociétés au risque de voir leur histoire et leur culture disparaître, appelant les chercheurs et spécialistes à propager le savoir et la connaissance au sein des sociétés arabes. Dans son allocution, la ministre a insisté sur le caractère complexe que revêt l'oralité, car l'ethnographie coloniale avait conçu une théorie de domination qui se base notamment sur l'apprentissage de l'écriture. Elle a déploré cependant, le fait qu'au lendemain de l'Indépendance, certaines élites considéraient qu'elles appartenaient à des sociétés de culture orale, qualifiant cela de position suicidaire car ayant négativement influé sur les jeunes générations. Cette rencontre sera axée, trois jours durant, sur trois principales problématiques, à savoir la relation de l'oralité avec la scripturalité, la relation de la littérature avec les traditions populaires et la vocalité, action de création, qui seront débattues par une quarantaine de spécialistes nationaux et étrangers. Près de treize communications seront présentées à cette occasion, dont «Oralité et écriture dans les 1001 nuits, La littérature orale entre tradition, folklore et patrimoine, L'ethnographie de l'oralité, Vestiges de tradition orale ou oralité de compensation et Luminosité scripturale et obscurité orale.» «Ce colloque se veut une opportunité pour rétablir la situation des concepts à propos de notre culture et nos langues, et la classification des sociétés humaines, issues d'une idéologie coloniale», a indiqué le coordinateur scientifique du colloque, le chercheur Ahmed Benaoum, rappelant que «la colonisation a légitimé la domination d'une société sur l'autre et justifié sa situation de dominée». La colonisation a fini, selon lui, par faire croire aux Algériens que la société se définit comme une société orale, sans références écrites ni repères, affirmant que ceci s'est répercuté sur la stabilité de la société algérienne, notamment, par l'apparition de signes et comportements de violence. M.Benaoum a déploré le fait que cette perception des concepts sur la culture et la société algériennes ait été transmise aux générations post-Indépendance qui, a-t-il dit, «ignorent l'histoire de leur propre société», soulignant que «la classification de la société algérienne parmi les sociétés orales démontre qu'il s'agit d'un comportement colonial politique visant à faire admettre la domination». Il a rappelé, à cet égard, que «la majorité des recherches anthropologiques ont toujours montré que les sociétés du monde arabe et africaines sont des sociétés scripturales», précisant ainsi que «l'écriture alphabétique existe dans ces régions depuis la période libyco-berbère (600 ans avant Jésus-Christ)». L'orateur a, en outre, fait état d'un manque terrible de revues spécialisées dans le domaine de la recherche scientifique, notamment, l'anthropologie et l'archéologie, estimant qu'«un chercheur sans presse spécialisée n'est qu'un chercheur muet» puisque, a-t-il expliqué, «ses travaux et résultats ne sont pas mis à la disposition de la société». M.Benaoum a souligné l'importance de déployer des efforts pour mettre en exergue les spécificités culturelles nationales pour que la culture algérienne soit d'abord connue au sein de la société algérienne, et qu'elle puisse, à l'avenir, connaître et affronter d'autres cultures.