Deux ambassadeurs de pays occidentaux m'ont invité, chacun de son côté, à déjeuner pour me parler de l'actualité politique nationale et, bien sûr, de l'inévitable sujet de «comment faire pour booster les relations bilatérales?» D'emblée, je dirai que j'ai eu à débattre avec des hommes compétents, de grande culture et au fait de nos petits secrets de famille. L'Algérie de 2008? Ils brossent un tableau loin d'être idyllique. Ils sont effarés par le blocage de nos institutions et par la médiocrité des hommes qui les dirigent. La République algérienne peut être frappée d'hémiplégie à tout moment. Le diagnostic est accablant. «Si votre pays souffre tant du manque des investissements étrangers, rassurez-vous, cela n'est pas dû essentiellement au terrorisme. La planète entière est en butte à ce fléau. Votre pays meurt à petit feu à cause de la corruption qui a gangrené tous les rouages de l'Etat.» Dans le classement régional, celui du monde arabe, l'Algérie vient de se hisser à la première place, dans ce sinistre palmarès où l'argent est roi pour arracher sa part de la rente ou pour se tailler une concession digne des réseaux maffieux qui quadrillent une ville en contrôlant tous les secteurs d'activité juteux. Chez nous, on fait mieux parce que la maffia a pénétré des cercles qui, dans d'autres contrées, demeurent impénétrables. L'argent du contribuable est mis sur le tapis vert pour enlever une affaire, gonfler son compte en devises et enrichir les siens. La corruption tue. Elle est pire que le terrorisme. Elle réduit à néant les efforts qui tendent à construire une vraie Nation, avec de vrais repères pouvant disposer d'une vraie influence pour gérer les affaires du monde et se faire écouter. Une République où les rapports entre les citoyens et les institutions de l'Etat sont régis par l'argent de la corruption est une République qui prépare déjà son linceul. Le président Bouteflika a pris acte de ce danger qui guette la crédibilité de l'Etat. Des walis et des hauts fonctionnaires ont été limogés, parfois traînés jusque dans les prétoires des tribunaux. Un Observatoire de la lutte contre la corruption a été créé. Mais que fait-il? Qui le dirige? Dans les pays occidentaux qui jouent la transparence, des associations existent dans chaque commune et contrôlent jusqu'aux activités les moins apparentes des édiles locaux. Lors d'un séjour à Chicago, j'ai été reçu par les responsables de la doyenne de ces associations aux USA. Il s'agit d'une commission de surveillance et de contrôle créée dans les années 1930 pour combattre l'organisation criminelle du célèbre Al Capone qui avait mis en coupe réglée la capitale de l'Illinois. En 2006, toute la presse américaine a rapporté les preuves de l'implication du gouverneur de l'Illinois dans une grave affaire de pots-de-vin. Dans une vraie démocratie, il n'y a pas d'intouchables. Et dans la lutte contre la corruption, la presse joue un rôle déterminant. Combien de scandales ont été révélés par les médias? En France, l'hebdomadaire satyrique Le Canard Enchaîné est passé maître dans l'art de lever les lièvres de la corruption, des dessous de table et des funestes transactions qui lient des cercles occultes du pouvoir à des puissances de l'argent ou carrément à des milieux maffieux. L'Italie, la République de la combinazione, ne déroge pas à la règle. A l'ère de l'Internet, on n'a plus besoin de corbeaux pour dénoncer, dans l'anonymat garanti, tous les «malfrats» de la terre. L'argent du contribuable est sacré. C'est celui du peuple. Qui y touche, paie. L'argent ne blanchit jamais. De brillants hommes politiques ont payé de leur carrière, parfois de leur vie, pour avoir succombé à la tentation de l'argent. Leurs familles ont été éclaboussées à jamais pour une histoire d'escarcelle de louis d'or. François Mitterrand, qui avait présidé durant deux septennats aux destinées de la France, avait de la haine pour l'argent. Ses mots sonnent encore, aujourd'hui, comme un hymne gravé dans le marbre. «L'argent qui tue, qui achète, qui corrompt, qui pourrit, qui ruine jusqu'à la conscience des hommes.» La sentence est dite. La presse algérienne, qui s'est illustrée par un courageux combat, durant les années 90, contre le terrorisme en payant un lourd tribut, n'aura pas peur, aujourd'hui, de s'attaquer à certains «protégés» de quelques officines qui soient, gérant le patrimoine de l'Etat comme une fortune ou une succession familiale. Renoncer pour cette même presse à mener ce combat relèverait de la pure lâcheté. Nous y croyons fermement. Et, advienne que pourra! La Cour des comptes, créée sous Boumediène, a gelé ses activités. Il est incroyable que les journalistes ignorent jusqu'au nom de son président. A l'heure où les Algériens refusent d'être menés par le bout du nez, et que la transparence est exigée de tous, il est plus que jamais urgent et capital de passer à la vitesse supérieure dans la lutte contre la corruption. Personne n'y échappera. Voilà l'un des mots d'ordre pour un combat d'avant-garde que va certainement engager le président Bouteflika, à l'orée d'un troisième mandat qui s'annonce florissant. Les coquins de la République doivent, un jour ou l'autre, payer.