Les Israéliens parlent de « terminer le travail », dans un huis clos infernal. Même lorsqu'on n'approuve pas toutes les méthodes de lutte de libération, de certains mouvements palestiniens, même lorsqu'on s'oppose à l'islamisme violent, même lorsqu'on est critique vis-à-vis des régimes arabes illégitimes et despotiques, même si on est foncièrement attaché au dialogue des cultures, des religions, à la paix et à l'amitié entre les peuples, notamment entre «les gens du Livre» juifs, chrétiens et musulmans, même si on est cartésien avec pour objectif la modernité et l'universel, même et à cause de tout cela, on ne peut qu'être choqué et révolté par la malveillance des propos, la violence des anathèmes et les attaques injustes proférées par certaines personnalités et médias occidentaux de manière frontale ou insidieuse contre l'Islam, les Arabes et les Palestiniens. Tous ceux qui traitent les Palestiniens (combattants de la liberté) et leur leader (prix Nobel de la paix) de terroristes, ou au mieux renvoient dos-à-dos les protagonistes du conflit israélo-palestinien, que peuvent-ils bien dire s'ils sont de bonne foi? Y a-t-il symétrie entre l'occupant israélien et l'occupé palestinien? Y a-t-il commune mesure entre d'une part la proposition de paix arabe du 28 mars dernier à Beyrouth qui exprime une reconnaissance sans détour d'Israël et une paix totale en échange du retrait total des territoires occupés en juin 1967; et, d'autre part, la déclaration de guerre, dès le lendemain, marquée par une agression sans précédent de la soldatesque de Sharon pour tenter de briser le peuple palestinien, le pousser à un nouvel exode et obliger les rescapés à accepter le diktat de bantoustans? Y a-t-il équivalence entre, d'un côté, une armée d'occupation, équipée d'armes de destruction massive en tous genres, soutenue par les puissants de ce monde et portée par une société militarisée encore travaillée par les prétentions du sionisme (que nul ne doit confondre avec judaïsme et sémitisme, nobles dimensions) et d'un autre côté, l'Autorité palestinienne qui a opté, depuis 1991, pour la paix, en se contentant actuellement de 8% de la Palestine historique, truffée de colonies, et qui fait face à un taux de chômage de plus de 50% de sa population, conséquence du bouclage des territoires les trois quarts de l'année; manifestation du dernier apartheid de la planète en ce XXIe siècle? Si après 1948, pendant plus de trente années, les Arabes ont tergiversé et n'ont pas su intégrer la césure historique de la présence d'Israël, vu les violences et traumatismes subis, en revanche, depuis au moins 1991 lors de la conférence internationale de Madrid, confirmé au Sommet arabe extraordinaire du Caire en 1996 et réaffirmé, il y a quelques jours, lors du Sommet de Beyrouth, les chefs d'Etat arabes ont officiellement, clairement et solennellement dit oui à la paix et à la cohabitation avec Israël. Cette position est limpide (de plus elle opère des concessions sans la moindre garantie de la reconnaissance réciproque). Malgré cela, certains veulent faire croire que les Palestiniens veulent encore détruire Israël. Ce mensonge grossier de propagande primaire et périmée conforte le camp des extrémistes de tous bords. Cessez de nous «ben-ladéniser». Les Arabes et les musulmans, comme tous les citoyens sincères et honnêtes des quatre coins du monde, constatent que la politique des deux poids, deux mesures au profit des Israéliens et au détriment des Palestiniens et des Arabes accentue le ressentiment et la colère. Il s'agit d'un problème archipolitique de décolonisation et de crimes de guerre contre le peuple palestinien à qui Israël dénie le droit d'exister. S'il n'est pas possible de justifier les attentats sacrifices, l'objectivité consiste à rechercher les causes profondes de ce désespoir. Nul besoin de sortir de l'université pour comprendre que c'est le résultat des innommables violences, agressions et humiliations de l'occupant israélien contre l'occupé palestinien auquel on ne donne aucune autre possibilité. Israël crée et entretient la logique de la mort, incapable peut-être d'assumer la signification et les conséquences historiques de la paix. L'assassinat de Rabin, le soutien à Sharon par près des trois quarts de l'opinion israélienne et le suivisme honteux de Shimon Peres en sont le reflet. Aujourd'hui, la majorité des Arabes, pas seulement les islamistes, pas seulement les damnés de la terre, pas seulement la jeunesse des banlieues, a le sentiment profond que le dialogue avec Israël est impossible, au vu de la tentative folle de Sharon de mettre en oeuvre une sorte de «solution finale», à peine déguisée, les Israéliens parlent de «terminer le travail», dans un huis clos infernal. Cela signifie que le but recherché est la liquidation de la résistance palestinienne. Mais la résistance c'est tout le peuple palestinien, et derrière lui tous les peuples arabes. L'enjeu est majeur, il s'agit du devenir commun. En conséquence, notre solidarité avec les Palestiniens n'est pas subjective et communautaire, elle est doublement fondée, la première au nom du droit et de la justice et la deuxième par instinct de survie. Nous sommes tous des Palestinien, en sursis, face à de nouvelles formes de menace. Les faits irréfragables parlent d'eux-mêmes. Il y a une injustice béante, une iniquité abyssale qui font que nous vivons une sombre époque marquée par le non-droit et le droit soumis à la force. L'aveuglement et le racisme antiarabe et antimusulman ont des conséquences catastrophiques pour la paix. L'amalgame entre islamisme et Islam; entre le terrorisme et la légitime résistance est la politique du pire. De plus, à force de dire aux Israéliens que l'Occident et les USA sont avec eux, on leur fait croire qu'ils sont les seuls sur cette terre à pouvoir tout se permettre, en toute impunité, se comporter même comme leurs anciens bourreaux tes. Nous sommes loin de « l'humanisme de l'autre homme » pensé par Emmanuel Levinas. Alors que normalement les Israéliens doivent être les derniers à agir de manière monstrueuse, d'une part, par fidélité à leur mémoire et, d'autre part, en reconnaissance au fait que, en terre d'Islam, les juifs ont toujours trouvé refuge et protection, quels que soient les préjugés. Est-il possible aujourd'hui pour les intellectuels juifs et occidentaux de reconnaître l'ampleur de la tragédie qui a frappé le peuple palestinien en 1948 et en 1967 et qui continue en ce moment, en 2002, de manière abominable? Qui bafoue, depuis plus de cinquante années, le droit international et les résolutions du Conseil de sécurité, Israël ou le peuple palestinien? Qui croit encore que les propositions de Ehud Barak à Camp David étaient généreuses et que Arafat les a refusées? Qui peut raisonnablement encore confondre l'agressé et l'agresseur, le colonisé et le colonisateur, l'arrogant et le désespéré? Ce qui se passe en Palestine aujourd'hui hypothèque l'avenir, Edgar Morin le souligne à juste titre: «La conduite de Sharon est non seulement mauvaise, elle conduit Israël au suicide à terme... la question israélo-palestinienne est devenue le cancer non seulement du Moyen-Orient, mais des relations Islam-Occident, et ses métastases se répandent très rapidement sur la planète. L'intervention internationale pour garantir la naissance, l'existence et la viabilité d'un Etat palestinien sont devenues d'une urgence vitale pour l'humanité.» (1) D'où ressort la haine envers les Arabes en général et les Palestiniens en particulier? Est-ce paradoxalement dû à la proximité géographique, historique, et spirituelle, entre les deux mondes, l'occidental et l'islamique? Pourtant, ils sont partenaires et cocréateurs de la modernité, par-delà les temps de l'adversité. L'Histoire, depuis quinze siècles, atteste que la proximité des peuples «arabes» avec les peuples «grecs» et «juifs», en somme avec l'Occident est fondamentale, ce que les discours dominants feignent d'ignorer. Ce racisme ignoble est-ce la réaction au fait que les peuples de l'Islam résistent (de surcroît de manière négative) à la mondialisation déshumanisante et au nouvel ordre international injuste? Est-ce aussi pour certains Occidentaux une révolte contre ce qu'ils ne connaissent pas? Tous les êtres lucides savent que la culpabilité occidentale vis-à-vis des juifs, du temps du Moyen Age à celui de la Choah, paralyse encore leur aptitude à dire fermement la vérité à Israël, et les empêche de prendre, dans l'intérêt de tous, des mesures de pression. Les Israéliens, à force de vouloir, à la fois, exploiter à l'infini la mémoire de l'innommable holocauste, à préférer le communautaire à la justice, et refuser l'autre qui tend la main de la réconciliation, s'enferment dans une impasse mortelle. De leur côté, les Palestiniens, sans renoncer évidemment à la poursuite de l'Intifada, c'est-à-dire à la légitime défense et la résistance contre les colonies et l'armée d'occupation, doivent cesser les attentats aveugles; il est évident qu'ils le feront dès que l'espoir apparaîtra. Au lieu de vouloir enfermer les peuples de la rive Sud dans le délire «ben-ladénien» que le Coran et le bon sens refusent sans l'ombre d'un doute, le temps est venu de rendre justice aux Palestiniens. Inutile d'exploiter encore plus l'énigmatique et catastrophique attentat du 11 septembre 2001, inutile d'agiter l'épouvantail des islamistes extrémistes et de mettre en exergue le caractère incohérent des régimes arabes, les tuteurs sont mal placés pour cela. Assumez vos responsabilités au niveau international, oui les vôtres, on saura prendre les nôtres, notamment au niveau national, oui les nôtres. Quant aux éveilleurs de consciences, tous les militants de la paix, dont certains intellectuels juifs, nos frères, qui expriment avec courage et objectivité leur refus de l'injustice commise contre le peuple palestinien, ils sauvent l'honneur des fils d'Abraham.