Des produits congelés dans de mauvaises conditions, des fritures dans de l'huile avariée, le danger pour la santé publique est réel. C'est la mode en cachette. Les viandes et les produits congelés font la fortune des propriétaires de restaurants, souvent de grands restaurants d'Alger. Sans risque de se tromper, il est devenu rare, très rare de se voir servir des produits frais, notamment les viandes ou les poissons dans un restaurant à Alger. Appâtés par le gain facile, sans se soucier de la satisfaction de leurs clients, les propriétaires des hôtels et restaurants font ainsi dans l'arnaque et la fraude. Ils usent et abusent de la confiance des consommateurs, mettant en péril leur santé. «Tout est bon pour faire du chiffre.» Une expression qui jaillit des lèvres des fraudeurs, eux-mêmes. Ils la répètent tel un leitmotiv. La question, qui concernait que les pizzerias et quelques restaurants universitaires, a pris de l'ampleur. C'est, désormais, la qualité des aliments proposés dans des hôtels et restaurants implantés à Alger qui fait craindre le pire. Ce sont souvent des produits de piètre qualité. Moins coûteux. Ces «économies» de bouts de chandelle vont jusqu'au temps de conservation des aliments. Pis, «les prix affichés ne reflètent guère le contenu des mets proposés» réclament, à l'unisson, des citoyens rencontrés. Les patrons de ces établissements de restauration veulent «justifier leur tricherie quotidienne». En vain. Les prétextes avancés ne sont pas convaincants. Autoritarisme des restaurateurs ou laisser- aller des autorités? Dans un cas comme dans l'autre, le constat ne peut être qu'alarmant. Absence de contrôle Ces points évoqués ne représentent que la partie visible de l'iceberg. Serveurs, cuisiniers, plongeurs...l'avouent sans détour. «Dans certains cas, le plat peut même contenir autre chose que ce qui est annoncé au menu», précise Ahlam, serveuse dans un restaurant dit «somptueux». La mauvaise qualité des produits et le manque d'hygiène menacent la santé des citoyens. «Je suis contraint de manger chaque jour au restaurant, c'est mon travail qui m'y oblige», regrette un quadragénaire rencontré à quelques encablures de la Grande-Poste à Alger. Le constat est inquiétant. Les fritures se préparent dans une huile avariée. Le risque que peut engendrer cette pratique est incommensurable. «Avec un bidon dont le prix s'élève à 750 dinars, on ne peut faire autrement», avoue, sans sourciller un propriétaire d'un restaurant à la rue Didouche Mourad d'Alger. Corollaire immédiat de cette situation? Un «panel» de maladies ouvre les bras aux habitués de cette nourriture. Les intoxications alimentaires ont fait des dégâts énormes. Durant le premier semestre 2007, l'Algérie a enregistré 1000 cas. Ce chiffre reste en deçà de la réalité. Ne sont quantifiés que les cas d'hospitalisation et de consultations médicales déclarées et notifiées par les services concernés. Faute d'une alimentation équilibrée, le danger des maladies cardiovasculaires, du diabète, des cancers ainsi que des maladies respiratoires guette les Algériens. La transition épidémiologique qui s'opère depuis des années en Algérie, vient d'être prouvée et établie par des enquêtes faites par des spécialistes. En dépit de leurs avertissements répétitifs, le rush sur les pizzerias et restaurants n'a pas reculé. Il y a à peine une année, plus de 30 hôtels de la capitale ont été fermés. Ils étaient des établissements qui devraient mettre la clé sous le paillasson avant que les pouvoirs publics ne surgissent. Mais il n'y a pas eu de suivi et, depuis, le contrôle a cessé. C'est plutôt une anarchie totale qui prédomine dans le secteur. Qu'est-ce qui a poussé les inspecteurs à geler leur travail de contrôle et d'inspection? C'est un autre phénomène, celui de la corruption, qui vient s'ajouter à la liste de ces pratiques prohibées. Pour des sommes «mesquines», certains inspecteurs ferment les yeux sur cette «escroquerie». Appelés à mettre fin à cette pagaille, les responsables brillent, une fois de plus, par leur silence. Dans une déclaration à L'Expression, un responsable de la direction des prix et de la qualité des produits enfonce le clou. «Vous voulez toute la vérité sur ce dossier? La situation est incontrôlable au sein de ces établissements de restauration dont le nombre est loin d'être identifiable», a-t-il entonné. Et d'accuser les fidèles de ce genre de restauration d'être derrière cette situation préoccupante. «C'est aux clients d'exiger la qualité et l'hygiène conjuguées aux prix raisonnables», poursuit-il. Non loin de la place des Martyrs à Alger, Hamid, chef de rang dans un restaurant, nous invite à voir la réalité des choses. Il avoue des vérités gravissimes. «La salade de fruits que les clients prennent en dessert est faite avec des fruits à jeter», a-t-il précisé. La propriétaire de l'hôtel accepte de répondre à certaines de nos questions. Interrogée sur les conditions de stockage de la viande, Hasna avoue sa supercherie. «Les réfrigérateurs ne sont mis en marche que pour éviter le pourrissement total des viandes. La facture d'électricité coûte cher. Exceptés nos clients permanents, les autres prennent de la viande congelée. On ne peut pas leur proposer mieux...», a-t-elle reconnu. De visu, un autre constat amer a été établi. Des produits laitiers (fromages, yaourts,...), dont la date de péremption a expiré, sont servis. Des duperies itératives sans que les autorités concernées ne bougent le petit doigt. «Si je respecte toutes les conditions relatives à l'alimentation qui devrait être servie aux clients, je ne peux rivaliser avec d'autres propriétaires», renchérit-elle. C'est la course pour quelques sous supplémentaires. La santé du citoyen, quant à elle, file du mauvais coton et n'inquiète point les patrons de restaurants. L'autre face de la fraude Devant l'absence des pouvoirs publics, les pratiques prohibées demeurent menaçantes. Les arnaqueurs «avares» imposent leur diktat aux employés travaillant dans la capitale. Ces derniers n'ont pour seul souci que de gagner dignement leur pain quotidien. «On est surexploités. Notre travail commence à partir de 10h pour finir tard dans la nuit...afin d'encaisser quelques sous à la fin du mois», regrette Amine, qui occupe, depuis une année, le poste de serveur dans un hôtel-restaurant du côté du Square Port-Saïd, à Alger. A combien s'élève son salaire? «A 12.000DA», répond-il timidement comme si la responsabilité lui incombait. Les mieux payés sont les cuisiniers. Leur salaire frôle les 37.000DA. «Un salaire qui ne reflète pas la réalité des efforts fournis. Tellement surexploités qu'on oublie de prendre notre déjeuner, de voir le médecin...», se désole ammi Ali, cuisinier dans l'un des hôtels encore ouverts en dépit des déficiences constatées. En sus des salaires dérisoires, certains sont inférieurs au Snmg fixé à 12.000DA, et des centaines de ces travailleurs ne disposent pas de la sécurité sociale. «Plus de la moitié d'entre eux, voire 60%, ne sont pas déclarés à la Caisse nationale des assurances sociales, Cnas», nous confirme un responsable de l'agence d'inspection du travail. Un autre laisser-aller qui en dit long. Les travailleurs non déclarés pensent-ils à leur avenir? Ils sont parfaitement conscients. Cependant, ils n'ont pas d'autre choix. «Pour pouvoir subvenir aux besoins de nos familles», regrette Fayçal, un natif de Bab El Oued. Certains propriétaires interrogés évoquent la charge des impôts pour justifier leurs agissements. «On paye des factures énormes», ont-ils tenté d'argumenter. Au lieu que ces patrons régularisent la situation des travailleurs avec les responsables concernés des pouvoirs publics, ils ne cessent d'abuser des conditions de travail et de rémunération face à l'impuissance des citoyens. A cette question, Djamel lui aussi propriétaire d'un restaurant, rue Hassiba Ben Bouali, s'est contenté de dire: «Ce n'est pas de l'abus. Seulement, on tente de récupérer ce que l'Etat nous réclame comme dettes.» Ironie. Durant notre virée, une question nous a taraudé l'esprit. Qui sont ces travailleurs qui acceptent ces conditions de travail déplorables? Certains sont étudiants. En achevant leur cursus universitaire, ils se retrouvent sans emploi. D'autres sont des bannis de l'école. Eux, n'ont pas de choix à faire. Notons qu'un paradoxe mérite d'être cité: nombreux sont les diplômés des écoles d'hôtellerie qui chôment. Voilà un exemple parmi tant d'autres. A son 22e printemps, elle est déjà désespérée. Warda, diplômée d'un institut agréé, cherche une aiguille dans une botte de foin. Elle a frappé à toutes les portes sans qu'un établissement ne lui offre un emploi. «Sur quelles bases s'effectue un recrutement?», s'est-elle interrogée. La situation qui règne dans les hôtels et restaurants de la capitale n'est qu'un épisode d'un long feuilleton loin de connaître son épilogue.