Le personnel d'Air Algérie est abasourdi: il n'arrive pas à comprendre pourquoi la compagnie est restée plus de six mois sans que l'on désigne un directeur général pour succéder à feu Tayeb Benouis. Des noms de potentiels candidats avaient pourtant circulé durant quelques semaines, sans que l'on parvienne pour autant à sortir du chapeau le nom de l'heureux élu. Il est vrai que Benouis cassait avec l'habituel profil que l'on avait jusque-là du «patron» algérien. C'était un boss qui, en plus du charisme, charriait d'autres qualités, tant humaines que professionnelles. Il avait la réputation d'être un pilote chevronné. L'un des meilleurs que l'Algérie post-indépendance a eu la chance de former. En plus du sens de la rigueur qu'on lui connaissait, c'était quelqu'un qui avait de l'épaisseur et un savoir-faire consommé qui lui permettaient de déjouer tous les «traquenards» des vieux loups de l'aviation civile internationale. Il ne badinait pas avec la gestion de l'entreprise. Il savait dire non. Et il n'hésitait pas, pour ce faire, à croiser le fer avec des personnalités qui avaient la réputation sulfureuse de «flinguer» les gens qui osaient leur dire non. Le pavillon national ne peut pas être crédible s'il était incarné physiquement par un couard ou un zélateur patenté, comme seule l'Algérie sait malheureusement quelquefois en produire. Benouis le pilote avait, avec brio, redonné de la vigueur et du panache à Air Algérie. Il avait tellement survolé de zones de turbulences, de tempêtes syndicales, et encaissé de coups bas et de trahisons de ses proches et des «autres», qu'il avait fini par ne plus compter les cicatrices que la vie lui a infligées. Il avait une intelligence au laser. Avouons, quand même, qu'il est toujours difficile de trouver un digne successeur à un homme de cette trempe. Ce qui explique certainement le long retard mis pour nommer à ce poste prestigieux -c'en est un- son remplaçant. Mais en attendant qu'une telle décision soit prise par les autorités concernées, les Algériens n'en finissent pas de s'interroger sur les conséquences qu'un tel retard pourrait engendrer sur le fonctionnement même de la compagnie aérienne, tant du point de vue sécuritaire pour ses passagers qu'en matière de gestion. Les premiers couacs apparaissent déjà. Ce sont les agents d'Air Algérie qui ont peur pour l'avenir de leur sigle. Et ils ont raison de le défendre quand ils se plaignent que des intérimaires ont déjà commencé à prendre la mauvaise habitude de se comporter comme les vrais héritiers de cette entreprise publique. On gère à l'instinct? Et ne voilà-t-il pas que le système, tant honni de coterie, s'est déjà réinstallé dans les moeurs de la compagnie. Les premiers signes de dégradation dans le fonctionnement sont perceptibles jusque dans la qualité du service d'accueil des passagers qui préfèrent, par commodité ou par sécurité, réserver chez les concurrents. On fuit Air Algérie. «On est revenu à la misère des longues attentes dans les aéroports internationaux et de la litanie des retards qui nous rappellent de mauvais jours.» Il faut en finir avec la tyrannie du statu quo à Air Algérie si l'on veut épargner à cette entreprise de service public de vivre avec les affres de l'immobilisme. Et pourquoi ne pas le dire clairement, de l'affairisme. La vieille politique du «ôte-toi de là que je m'y mette» a provoqué un vrai désastre dans la marche de nos institutions. Le temps est venu, comme on le dit, de remettre la clé dans le moteur. Lundi, à l'ouverture des Assises nationales sur le tourisme, des participants étrangers se plaignaient des difficultés rencontrées à joindre Alger par avion. Ce qui s'appelle mettre le doigt sur une vérité qui n'est pas rose, quand on a la prétention, sinon l'ambition de vouloir publiquement accueillir au moins 20 millions de touristes en 2025! En ce mois de février 2008, il ne s'agit pas seulement de désigner vite un vrai patron à la tête d'Air Algérie, mais aussi d'initier un audit sur la gestion interne depuis quelques mois de cette compagnie par l'IGF. Attendre encore ou agir autrement, c'est commettre une encoche à la tradition républicaine. Et nul n'est à l'abri d'un «crash», quel qu'il soit.