Celle qu'on doit appeler dorénavant l'«affaire Sefouane», du nom du directeur de la répression des fraudes au sein des douanes algériennes accusé sans vérification de trafic d'or dissimule mal les enjeux politiques et économiques colossaux qui agitent la mafia politico-financière qui redouble d'activisme contre le directeur général des douanes, Sid-Ali Lebib. En recevant le feu vert du Président Bouteflika pour mener à bien une des missions les plus périlleuses qui soit, en l'occurrence l'assainissement des douanes algériennes et la réhabilitation de cette institution éclaboussée par les scandales, Sid-Ali Lebib savait qu'il s'attaquerait à une pieuvre mafieuse qui a ses ramifications aussi bien au sein des lobbies économiques publics et privés qu'au sein même de l'institution. Alors que divers chantiers ont été ouverts par la nouvelle direction, depuis une année et qui commencent à peine à obtenir des résultats, surtout en termes de lutte contre la corruption, voilà qu'un des rouages essentiels de cette lutte, Ahmed Sefouane, directeur des services des fraudes à la DGD, se retrouve au coeur d'une «machination» diabolique. Car comment expliquer qu'un haut cadre qui a participé à la création du Cnsa, qui a été membre du CNT, qui est président de l'association pour la protection des cadres du secteur public et qui a monté, durant plus de sept ans, un des services de lutte antifraude les plus sensibles du pays, puisse se faire «arrêter» comme un vulgaire trabendiste avec quelques kilos d'or dans la valise? Le tir de barrage d'une partie de la presse nationale contre ce cadre était d'autant plus suspecte que cette information n'avait, en définitive, aucun fondement, comme le souligne aussi le communiqué de la direction générale des douanes puisque le directeur des fraudes a retrouvé le plus naturellement son poste. Selon de récentes informations, il y aurait été même confirmé en attendant la parution du décret dans le Journal officiel. Mais cette affaire relance les interrogations sur le pourquoi de cette affaire, dans la conjoncture actuelle. A-t-on voulu déstabiliser les douanes? Veut-on le départ de Lebib? Pourquoi s'attaque-t-on à un des personnages-clés de la DGD, qui plus est, est un des seuls cadres gestionnaires qui a été épargné par la vague de limogeages et de changements opérés depuis une année? Quels sont les intérêts, pour l'essentiel mafieux, qui veulent discréditer une direction qui est venue avec un mot d'ordre: assainissement?... Les réponses se trouvent au niveau même de cette institution. Depuis sa venue, Lebib a tenté de mettre un peu d'ordre dans le fouillis douanier, symbolisé par la mainmise des barons de l'import-export. Le contrôle systématique ordonné dans ce sens sur le flux des containers, au port d'Alger, a mis en difficulté les réseaux mafieux. La disparition des containers et leur abandon (des milliers d'entre eux sommeillent sous le soleil car leurs propriétaires, des trafiquants, ont disparu) ont fait l'objet d'enquêtes minutieuses des services des fraudes. D'autres affaires, aussi sensibles que le contrôle des containers, sont venues s'ajouter dont celle de l'exportation des déchets ferreux et non ferreux qui fait l'objet d'une enquête judiciaire. Des millions de dinars ont été transférés vers l'étranger dans le cadre de ses exportations et dont les douanes commencent à retrouver les traces, notamment, en France. Le limogeage de certains cadres, dont certains avaient atteint les dix années en poste, a également ébranlé les réseaux qui avaient leurs ramifications au sein d'une institution qui veut dorénavant assainir ses rangs. Les affaires s'accumulent et touchent aux intérêts des barons qui voient, par exemple, dans la suspension de certains produits à l'importation du Moyen-Orient ou de l'Asie du Sud une menace sur leurs transactions douteuses. Les filières Dubaï et Hong Kong, connues dans les milieux des affaires, se sont structurées de telle sorte que les ports algériens sont devenus de véritables épicentres du transit commercial illicite. Les fausses déclarations en douane sont traquées, les problèmes d'étiquetage pointés du doigt. Certains produits, qui n'ont pas de barèmes de prix, sont suspendus, la coordination inter-services a été renforcée comme la création, en mars dernier, de la Commission nationale des brigades mixtes (Cnbm), qui regroupe les services des impôts, du commerce et des douanes. L'affaire de la CRD-SKD va probablement rebondir avec l'instauration par Lebib d'une commission d'étude, les sanctions pleuvent sur les douaniers impliqués dans toute affaire illégale... Les exemples ne manquent pas dans les changements en profondeur qu'opèrent les Douanes algériennes dans la perspective d'un assainissement des structures et de la sauvegarde d'une économie nationale dont les douanes sont l'avant-garde. C'est probablement ces luttes intenses entre les «réformateurs» de ce corps et ceux qui créent des résistances, qui ont abouti à cibler un directeur des fraudes, connu pour avoir bataillé des années contre le crime organisé et la mafia politico-financière. Mais cette lutte se situe un peu plus haut dans les rouages d'un système où les «rentiers» tentent, à tout prix, de maintenir les douanes dans un état végétatif afin que leurs intérêts ne soient pas menacés. Le Président avait insisté, à maintes reprises, sur le fait que l'appel à l'investissement étranger et la relance du commerce extérieur doivent passer par une lutte sans merci contre cette mafia et avait, dans cette logique, pourvu Lebib de toutes les prérogatives pour donner un coup de pied dans cette fourmilière. Ceux qui ont accumulé des milliards durant ces dernières années, ont apparemment saisi la nature de cette menace et réagissent à coups de rumeurs et de manipulations afin de porter le discrédit sur Lebib et ses hommes de confiance.