L'amazighité a appris à contenir sa colère et à éviter le pire ! Après avoir longtemps tu sa fierté et son irrépressible besoin de lumière, l'Amazighité avait décidé de laisser de côté sa revendication et son besoin de vie, pour s'attacher à la libération du pays, le sien, alors occupé, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, par les armées ennemies. Le jour se leva enfin sur le pays des hommes libres et, du désert à la mer, ce ne furent plus que festivités et regards pleins de rêves. Désormais, tout était possible, les ancêtres seront enfin honorés! Mais, c'est là que la grande erreur des années de cendres se réveilla. Les plaies, celles-là qui se sont creusées au fil des siècles, et que tout le monde souhaitait refermer, se remirent à saigner! Un grand chef, celui-là qui a conquis le pouvoir, en s'appuyant sur la force plutôt que sur le droit, proclama, depuis la Tunisie, sa profession de foi dans un arabisme outrancier, ce que personne ne lui avait jamais demandé! Plus que cette «agression» envers un peuple qui se sentait d'abord algérien, ce chef fit tant et si bien que ses propres laudateurs et même ceux-là qui le firent roi, s'en séparèrent à la faveur d'un coup d'Etat! Désormais, les libertés qui avaient mobilisé le peuple contre l'occupant étaient mises sous le boisseau! Des hommes pour qui les racines sont encore plus importantes que la vie, se mirent à s'organiser dans la clandestinité. La recherche de son passé et la connaissance de ses ancêtres entrent dans la terrible liste des menées subversives. L'Algérie officielle enterrait l'Algérie millénaire! Cependant, le travail de fourmi des enfants de la Nation continuait, de partout les nouvelles affluaient délicieuses et ô combien prometteuses. Les racines sont encore vivaces et les bourgeons ne tarderont guère à éclore, malgré une adversité incompréhensible, celle souvent des propres enfants de cette langue, de cette culture et de cette identité et qui ont perdu de vue les traces du passé! Les choses évoluèrent, sereinement et sérieusement, la jeunesse surtout, celle des régions de forte émigration et qui, au-delà des mers, principalement en Europe, a trouvé le climat idéal pour opérer des recherches et initier des travaux en Europe. Pendant ce temps, Alger fermait la seule chaire de berbère existante animée par le regretté Mouloud Mammeri! Le pays entrait dans l'ère triste et glaciale de la pensée, de la vision et du parti uniques. On décide au nom du peuple et on décrète que tamazight, cette langue aussi vieille que le pays, est une création de l'ennemi d'hier ! Un ennemi qui rend de signalés services car s'il n'avait jamais existé ; on serait bien en peine de trouver des explications à ce qui s'apparentait tout simplement à un parricide! Durant ce temps, la jeunesse se structurait, plus que les aînés, les générations nouvelles se mirent à l'ouvrage. Guidés par les rayons de lumière venus du plus profond de la vie, ils déterrèrent les papyrus et sous la menace les déroulèrent devant le peuple. Des guides aidèrent au travail de reviviscence de cette culture qui a failli être emportée vers l'oubli. Pour ne citer que ceux que la mémoire a retenus, il y a lieu de mentionner dans le désordre Marguerite Taos Amrouche, son frère Jean El-Mouhoub, Mouloud Feraoun, la cohorte des instituteurs kabyles de La Bouzaréah comme Saïd Boulifa et tant d'autres ou encore et surtout, le regretté Mouloud Mammeri. Les choses évoluèrent rapidement, si rapidement que même les adversaires, déclarés et potentiels de cette culture, se virent forcés de reconnaître, la mort dans l'âme, la réalité de cette revendication portée à bout de bras par la majeure partie de la population. On commença par concéder, après une grève du cartable de près d'une année, une grève respectée par des milliers de scolaires et d'étudiants, un petit strapontin à cette langue «classée» par euphémisme, comme la langue de tous les Algériens, et en reconnaissant dans la loi fondamentale du pays le socle amazigh, de la Nation. Cependant, la lutte pacifique, initiée par le MCB et reprise par toute la population, continuait. Manifestations et autres démonstrations suivaient leur cours. Puis, en cette année 2001, la population excédée par la tournure des événements et à la suite de l'assassinat d'un jeune lycéen dans une brigade de gendarmerie à Béni Douala, dans la wilaya de Tizi Ouzou, trouva que «la coupe était pleine» et qu'il était désormais impossible de supporter davantage le mépris, un mépris doublé de la haine la plus crasse de la part d'un service de sécurité, qui a peut-être pensé que c'est le peuple qui est à son service et non l'inverse! Des jeunes gens tombèrent sous les balles d'Algériens, les choses se gâtèrent, tant et si bien, que l'on parle d'un état de quasi-révolution en Kabylie ; une autre forme d'organisation de la société voit le jour: les uns l'appellent les ârchs et les au- tres le mouvement citoyen. Après une année, presque jour pour jour, de revendications et aussi de luttes pacifiques, ponctuées, il est vrai d'escarmouches et aussi d'émeutes, une année qui a coûté fort cher à la région au plan économique et social, tamazight est enfin reconnue comme langue nationale. Certes, le fait est à signaler et aussi à méditer, un simple vote du Parlement réuni en ses deux Chambres et le tour est joué! Que n'a-t-on fait cela il y a au moins une année! Que de temps perdu, que de colère amassée et surtout que de vies aurait-on pu sauver! Et aussi que de haines auraient-on pu éviter! Le fait est que désormais il s'agit de panser les blessures et de regarder droit devant, avec, il faut le souligner, la reconnaissance par l'Etat de toutes ses erreurs et surtout son engagement de tout faire pour s'engager dans la voie démocratique. La seule voie qui mène quelque part! Et aussi enseigner aux serviteurs de l'Etat, surtout ceux ayant une petite ou une grande parcelle d'autorité, que leur «vrai patron» c'est justement ce peuple qu'on leur a appris, hélas, à mépriser! Alors, et seulement alors, on pourra songer au développement et toutes les voies s'ouvriront devant une Nation enfin réconciliée avec elle-même!