Quand le cri d'amour est tiré de nos entrailles, tout est permis: le rêve et la beauté! C'est dans l'exil, dans la solitude de l'exil que l'on commence sa vraie vie. Point n'est besoin de courir le risque des harrâga, si peu me chaut l'avenir, si tout m'est indifférent sur ma pauvre Terre maternelle, si au fond de ma conscience je reste toujours inerte et sans génie, si je me décharge aujourd'hui de mon poids d'obligations et de devoirs et le laisse, comme épreuves, à l'adresse de la génération prochaine!... C'est là, en partie, l'appel que Nassira Belloula, l'Aurasienne (elle est née à Batna) lance dans son nouvel ouvrage Djemina (*) à la génération d'aujourd'hui. «N'est-ce pas, rappelle-t-elle à un ancien camarade de classe en Algérie, rencontré à Paris, n'est-ce pas qu'autrefois nous étions si attachés à ce bout de terre, que nous avions juré d'y vivre et d'y mourir? Or, nous voici devenus émigrés, toi en terre étrangère et moi, en terre rompue.» Et dans ce roman, l'auteur alias la narratrice -on peut croire à une autobiographie- tire tout des profondeurs de son âme sensible, éprouvée et, à raison, vindicative, ses souvenirs d'enfance qui sont autant de confidences et de témoignages sur un vécu personnel et sur un passé d'histoire exceptionnelle de son pays. La narratrice explique son nom: «Djemina m'ont nommée les miens, en souvenir de l'aïeule, la toute première, née à Djemina, ce haut lieu de l'Aurès, là où la reine Dehia et avant elle, le roi Ibdas et avant eux, des générations d'hommes généreux avaient construit leurs forteresses à même les rochers abrupts de la falaise infranchissable, décourageant envahisseurs et conquérants», c'est-à-dire là où existe «en témoin anonyme, cette tombe perdue dans l'Ahmar Kadou (nom arabisé de la montagne rose qui se dresse toujours comme un rempart contre toute agression.» (En passant, cela me rappelle l'Ahmar Khaddou à Sour El Ghozlane, la ville de mon enfance.) Aussi, faut-il bien reconnaître que la force créatrice de Nassira Belloula, servie par un sens aigu de la poésie, par une écriture résolument affranchie, autorise le dépassement de toutes les limites des genres littéraires; car dans chaque expression, elle a mis une émotion parfaitement adaptée au contexte, aux convenances même. J'y vois, en effet, de la pudeur, de la retenue, de l'intelligence, enfin voilà l'art d'écrire qui s'accorde avec un style nu, une simplicité de ton, avec des images aux longues résonances poétiques soulignant leur vérité - tant il est vrai, hélas! que notre littérature n'est pas toujours ainsi faite; l'ambition ridicule de briller brûle l'espérance de vie d'une pensée heureuse, elle pousse à l'usage de la trivialité et à l'écriture contre nature. C'est justement par quoi la démarche d'esprit de Nassira Belloula dans Djemina me semble claire et suffisante pour nous entraîner avec elle dans le monde qu'elle habite et nous conduire vers des horizons algériens tant espérés par les Algériens. Par l'idée, par la culture, par la passion, par le souffle, nous sommes alors en Algérie, nous parlons de l'Algérie, nous écrivons pour l'Algérie. Voilà le genre de livre que j'aimerais faire lire à ceux qui aiment la bonne lecture. Après une production de nombreux ouvrages, depuis son recueil de poèmes, Les Portes du soleil (1988) - où l'auteur-narratrice interroge l'Illusion disant «Pourquoi erres-tu femme entre les ruines...» - aux confidences des femmes écrivains dans Les Belles Algériennes (2006), sans oublier, par exemple, ni les puissants récits-témoignages dans Algérie, le massacre des innocents (2000) ni la vie tragique d'une mère et la mort de son fils dans La Revanche de May (2003) et où encore l'auteur-narratrice est «balancée comme une torche au milieu de la nuit», Nassira Belloula tente de nous transmettre dans Djemina les mêmes préoccupations. De quoi s'agit-il? Djemina est un recueil de récits mêlant histoire, fiction et surtout passion d'écrire et de réécrire un passé possiblement vraisemblable où des personnages légendaires, réels ou imaginaires, ont façonné les époques et les âges de notre pays. L'auteur, fort de son expérience de journaliste et d'éducatrice spécialisée de formation et de son intime sens de l'observation, nous révèle des images de femmes attachantes, et plus que cela. Le lecteur pourra en compter au moins dix-sept: celles que l'on aime «En ce matin d'exil» comme Les Vierges de Tifelfel, en l'An 115; celles qui sont comme La Colombe bleue des villages des Hauts Plateaux pendant «La saison des vierges»; celles que l'on découvre dans un sursaut quand «S'en va la mémoire»; celles qui, à l'égale de Zara, ne craignaient pas d'être folles ou de dormir pour contrarier leur destin; celles qui, un jour ou l'autre, ne reviendraient plus! Je tiens à laisser le suspense complet sur les récits. Si Djemina est une ville d'Algérie, au nord-est de Biskra et au nord-sud de Batna, Djemina de Nassira Belloula est un livre sain, un livre honnête, un livre bien écrit, une histoire qui me ramène à mon pays, qui me fait aimer encore et encore mon pays et qui fera aimer notre pays: un livre algérien, d'un écrivain algérien corps et âme! (*) DJEMINA de Nassira Belloula Média-Plus, Constantine, 2008, 190 pages.