La cherté de la vie et le manque de loisirs, poussent les retraités à rechercher un complément à leur maigre pension. La tendance s'installe et conforte ses positions: la retraite est de moins en moins perçue comme la fin du travail, mais comme le début d'une nouvelle vie faite à la fois de repos bien mérité et d'un regain d'activité professionnelle et/ou associative parfois intense. Et plusieurs facteurs concourent à cette évolution que tout le monde salue et admet. Il y a d'abord les progrès de la médecine qui permettent de vivre en meilleure santé et plus longtemps qu'il y a 30 ou 40 ans, ensuite l'augmentation du coût de la vie et des besoins sociaux, enfin les opportunités d'emplois postretraite qu'offre maintenant un marché plus ouvert et plus diversifié. L'espérance de vie a, en effet, sensiblement augmenté en Algérie, en raison du développement économique mais aussi grâce à la pratique du sport que tous les médecins se mettent, heureusement, à conseiller face au vieillissement rapide de la population et l'extension des maladies dégénératives qui en découlent. Le tout fait que de nos jours, les gens du «troisième âge» vivent mieux la soixantaine, un seuil perçu naguère comme synonyme de fin de vie. Ils sont globalement en bonne santé physique, plus à l'aise financièrement et davantage volontaires pour vivre pleinement leur temps, désormais libres de toute contrainte absolue. Ainsi, l'image de personnes âgées, saines de corps et d'esprit, clouées sur un banc public à «tuer» le temps ou à attendre patiemment le jour du virement de la pension mensuelle, semble s'effacer progressivement devant le rythme, les exigences et les difficultés qu'imposent la vie moderne. Aujourd'hui, il n'est pas rare de trouver des sexagénaires -sinon plus- exerçant des métiers ô combien compliqués comme celui de chef d'entreprise et faire montre d'un dynamisme qui frise l'hyperactivité. C'est que les opportunités de travail qui se présentent aux seniors, surtout ceux jouissant d'un bon niveau ou d'une bonne réputation professionnelle, font que la retraite est plutôt considérée comme une période de la vie pendant laquelle il est toujours possible de s'épanouir et de réaliser ce qui n'a pu être fait plus tôt. De plus en plus, en effet, des sexagénaires mettent à profit la reprise de l'activité économique dans le pays pour se laisser recruter plus facilement dans différents secteurs. L'éventail va du cadre dirigeant au gardien de nuit en passant par les métiers de chauffeur, cameraman, caissier, revendeur ou encore journaliste pigiste. Il est facile de tourner la page Il faut dire aussi que la cherté de la vie, d'un côté, et le manque de loisirs, de l'autre, poussent également un grand nombre de retraités à rechercher un complément à leur maigre pension et à occuper ainsi le plus utilement possible des journées qui s'égrènent plus lentement. Il existe même des retraités en bonne et due forme qui, après une carrière pleine en Algérie, ont dû reprendre du service sous d'autres et lointains cieux à la grande satisfaction de leurs nouveaux employeurs. Résultat des courses: que ce soit pour se reposer, se distraire ou pour entamer une nouvelle vie professionnelle, le départ à la retraite est plutôt bien vécu. La plupart des retraités disent tourner facilement la page du travail qu'ils viennent de terminer, et très peu parmi eux pensent qu'il s'agit du passage vers une période plus difficile. A telle enseigne que leur réussite, lorsque c'est le cas, donne parfois envie à d'autres, encore en activité, de quitter à leur tour le monde de leur premier travail. Certains ont même hâte de partir et commencent à planifier l'après-retraite à l'approche du cap psychologique (fatidique?) des 60 ans. «A 57 ans, je songe sérieusement à bénéficier de la retraite anticipée», dit Kamel. Gagner moins? «Oui peut-être, mais en retranchant les frais de transport et de restauration hors domicile, on arrive à l'équilibre, et à la limite, on se fatigue moins», estime cet employé de transport urbain. «Et puis, une retraite avant l'heure me permet de décrocher un bon pactole représentant l'indemnité de départ, une somme que je ne pourrais jamais économiser si je restais en poste jusqu'à mes 60 ans, et qui me permettrait en plus de réaliser, qui sait, un petit projet pour les mauvais jours», admet-il, réaliste. Hocine, lui, est retraité de la poste depuis 4 ans. Les départs par anticipation augmentent Rencontré dans un café qu'il ne quitte que rarement, il dit avoir vécu difficilement la première année, celle de la rupture brutale d'avec le monde du travail, puis l'habitude et la capacité d'adaptation qui distinguent les humains reprennent le dessus. La raison et la logique aussi: «Il faut bien céder la place à plus jeune!». Partir c'est bien, éviter le «coup de vieux» fatal, c'est mieux! De nombreux retraités, y compris ceux en retraite anticipée, pensent en tout cas que le moment où ils ont cessé leur activité professionnelle était «le bon moment pour partir». Chacun pour des raisons différentes. Du coup, les départs par anticipation connaissent une croissance spectaculaire. M.Djama, 69 ans, habitant à Birtraria (El Biar) est réparateur d'ascenseurs. Il a acquis la technique durant les longues années de service dans une entreprise étrangère et travaille aujourd'hui à son propre compte flanqué de deux apprentis. L'important, dit-il, est de se sentir encore utile. «Rentrer chez moi le soir en me disant que quelque part en ville, un ascenseur fonctionne grâce à mon travail de septuagénaire est, pour moi, une source de bonheur inestimable. Après tout, les personnes âgées qui tiennent bien le coup sont celles qui restent actives et tirent de leur activité une satisfaction morale», affirme-t-il, visiblement épanoui et un tantinet philosophe. A contrario, poursuit-il, les retraités oisifs «prennent vite un sérieux coup de vieux même lorsqu'ils disposent de moyens financiers bien plus conséquents que ceux d'un retraité encore actif». «Si chacun de nous apportait sa pierre à l'édifice, nous vivrions en harmonie dans une cité où le travail ne manque jamais: aider à la propreté de sa ville et à son environnement naturel, transmettre son expérience et son expertise aux plus jeunes ou encore contribuer à la vie associative au profit des enfants et des démunis», préconise encore ce retraité. «Le travail c'est la santé mais c'est aussi tout un art de vivre, avant et après la retraite», dit-il enfin en rangeant soigneusement sa caisse à outils. Comme il le fait depuis cinquante ans.