Il est dramatique que le pays arabe, qui représentait une sorte d'Andalousie de l'Orient, soit poussé aux extrêmes à cause des ingérences extérieures et de l'état déplorable du monde arabe. La crise au Liban est en train de s'aggraver et de prendre des allures de nouvelle fitna, aux relents de guerre civile qui risque d'enfoncer encore plus la région dans le chaos. Les médias du monde entier vont considérer que c'est une guerre sunnite -chiite, alors qu'elle est surtout d'ordre politique, à cause des visées et manoeuvres des puissances étrangères, mais aussi au vu des interférences de l'Iran et des divisions arabes qui prêtent le flanc. L'axe Damas-Le Caire-Riyad qui a fonctionné, depuis les Accords de Madrid en 1991, a volé en éclats après l'occupation de l'Irak et la chute du régime irakien. Le désor-dre international qui s'est installé depuis l'invasion de l'Irak en 2003 fait tâche d'huile et d'autres victimes. Fragilisé depuis le retrait ambivalent des forces syriennes, l'odieux assassinat du Premier ministre Hariri, les ingérences qui ont suivi et enfin la vacance absurde du pouvoir présidentiel, le Liban risque fort de subir une déstabilisation sans précédent, depuis la fin de la guerre civile de 1975. Déstabilisation qui ne sera pas sans conséquences néfastes. Certains analystes ne vont pas manquer de signaler que c'est un prélude à une guerre dans la région. Le chef du parti chiite, Nasrallah, accuse le gouvernement libanais d'avoir déclaré la guerre au mouvement de la résistance, considéré comme une sorte d'Etat dans l'Etat. Il estime que le gouvernement «pro-occidental et illégitime» a pris des «décisions dangereuses à l'encontre du mouvement chiite au profit des Etats-Unis et de l'Etat sioniste». Washington a demandé au Hezbollah «de cesser de semer le trouble». Nasrallah a averti que le gouvernement libanais devait revenir sur ses décisions pour résoudre la crise qui est entrée, selon lui, «dans une nouvelle phase». Le chef du Hezbollah a aussi lancé un appel au dialogue national. Démarche qui apparaît aux yeux des Libanais, proches du gouvernement, comme un diktat inadmissible. Apparemment, profitant du rapport de force sur le terrain en sa faveur, le Hezbollah, dans le cadre d'une politique mûrie et considérant qu'il n'a pas le choix, est en train d'accélérer les événements, de créer une situation irréversible. Il pousse le gouvernement dans ses derniers retranchements et exploite les récentes erreurs tactiques de la majorité et les «provocations» de personnalités anti-chiites, anti-syriennes et anti-iraniennes. C'est une tentattive de coup de force contre le mouvement Moustakbel de Hariri, mais l'attitude de l'armée sera déterminante pour tirer les leçons du passée et éviter l'affrontement. Pari difficile. Le gouvernement avait décidé, mardi 6 mai d'enquêter, pour y mettre fin, au sujet du réseau de télécommunications qui aurait été installé illégalement par le Hezbollah à travers le pays et de limoger le chef de la sécurité de l'aéroport de Beyrouth, présenté comme un proche du mouvement chiite. Ces deux décisions de l'avis de nombre d'observateurs, sont une «erreur» qui a mis le feu aux poudres. Le gouvernement libanais a précisé qu'il «doit déjà résister à différentes attaques: des agressions israéliennes, les interventions de la Syrie, et maintenant un assaut contre la souveraineté mené par le Hezbollah avec le soutien direct des Iraniens. Nous avons besoin de tous les soutiens et toutes les aides pour repousser cet assaut». Conscient de la supériorité militaire du Hezbollah et des risques d'éclatement du Liban, de son côté, le chef du parti de la majorité actuelle, Saâd Hariri, un peu tardivement, cherche le compromis. Il a proposé que la décision relative au réseau de télécommunications parallèle du groupe chiite soit laissée au commandement militaire. Et considère que «ce qui se passe dans les rues de Beyrouth est de la folie et une atteinte à l'unité des musulmans et du Liban.» La journée de grève générale, dans ce contexte de crise aiguë, lancée dès mercredi 7 mai pour protester contre la détérioration du pouvoir d'achat et les réformes économiques du gouvernement, à l'appel des syndicats, avait déjà dégénéré, en affrontements, entre sympathisants de l'opposition et de la majorité parlementaire. Le Hezbollah bloque les accès à l'aéroport international et nombre d'artères de Beyrouth, menant une désobéissance contre le gouvernement libanais. Plus encore, désormais, notamment après l'intervention radiotélévisée de son chef, le jeudi 8 mai, il s'organise en mouvement de guérilla contre les positions de ses adversaires. Cela provoque des fusillades dans la capitale et les combats se sont intensifiés. Ce qui semble être les prémices d'une nouvelle guerre civile meurtrière, avec des retombées probables sur les autres régimes arabes. Il est dramatique que le pays arabe qui représentait une sorte d'Andalousie de l'Orient et, plus encore, qui dispose de personnalités politiques plurielles et de citoyens conscients et engagés sur le difficile terrain de la lutte politique et démocratique, et de la résistance, alors que les autres pays arabes suffoquent de par l'archaïsme et la léthargie, soit poussé aux extrêmes à cause des ingérences extérieures et de l'état déplorable du monde arabe. Le plus grand perdant dans cette affaire est la démocratie; les pays arabes s'en éloignent encors plus. Dans une phase marquée par le recul du droit, les manipulations et la mondialisation de l'insécurité, la descente aux enfers du monde arabe contemporain semble bel et bien entamée. Les générations futures auront tout à refaire. (*) Professeur des Universités Site www.mustapha-cherif.net