Constantine, qui vit aujourd'hui au rythme des grands projets de développement, est hermétiquement quadrillée par les forces de sécurité. La récente attaque d'un barrage fixe de la police, situé au quatrième Kilomètre, à la sortie sud de Constantine, est-elle un acte isolé commis par des terroristes en désespoir de cause, comme tentent de l'avancer certaines parties? Celles-ci soulignent que le mitraillage auquel ont été soumis les policiers n'a pas fait de victimes et démontre, sans l'ombre d'un doute, que le «coup» n'était pas préparé. Pour d'autres, ceux notamment très au fait du traitement sécuritaire, il s'agit d'un dangereux raccourci visant à minimiser le risque à Constantine. Cette manière de voir les choses, précisent-ils, ne tient pas compte de la réalité du terrain qui est très complexe. «Constantine n'est pas un coin isolé sur la carte, et à l'instar de nombreuses villes de l'Est, elle est en train de subir ce qu'on appelle "le contrecoup" du retrait massif des groupes armés de la région Centre, et plus précisément de la wilaya de Boumerdès où le Gspc est soumis, depuis des mois, à un harcèlement continu de la part de l'Armée nationale populaire», ont indiqué des sources sécuritaires. Dans la stratégie du Gspc, Constantine n'est pas à prendre. Quand bien même ils l'auraient voulu, les terroristes de la nébuleuse Al Qaîda Maghreb islamique savent pertinemment qu'investir Constantine coûte très cher. Elle doit plutôt leur servir de relais et de transit grâce à leurs réseaux de soutien dormants qu'ils viennent de réactiver dans le but de faciliter le passage d'un maximum d'hommes vers les zones de Batna, Khenchela et El Oued. La recrudescence Dans cette optique, l'attaque du barrage fixe de la police au niveau du quatrième Kilomètre, mercredi dernier aux environs de minuit, l'embuscade tendue, il y a deux semaines, à une patrouille de police qui escortait des étrangers de l'aéroport et l'assassinat de militaires en janvier à Djebel El Ouahch s'inscrivent dans le cadre d'une grande diversion, ont souligné les mêmes sources sécuritaires. En attendant, Constantine, qui vit aujourd'hui au rythme des grands projets de développement et auxquels le président de la République prête une attention particulière, est hermétiquement quadrillée par les forces de sécurité qui se sont même engagées à instaurer un couvre-feu dans certaines cités. Dans les institutions de l'Etat et les établissements publics, la vigilance est désormais de mise. Traqués depuis le centre du pays et devant l'impossibilité de commettre des attentats retentissants dans la capitale, la nébuleuse Al Qaîda pourrait se rabattre sur Constantine où la moindre «étincelle» lui offrirait, selon toute vraisemblance, «l'impact médiatique» qu'elle recherche. Durant les années 90, Constantine avait été le théâtre des premiers attentats ciblés. En une année, après l'assassinat du président Boudiaf, pas moins de 20 personnalités connues ont été assassinées, pour ne citer que l'universitaire Benlazhar Boutheldjoune, un cadre du mouvement En Nahda, des anciens moudjahidine, un médecin du RCD, un militant de l'ex-Pags...et la liste est longue. Sans oublier la tentative d'assassinat de l'actuel n°1 du MSP, Bouguerra Soltani, près de la mosquée El Fath à Sidi Mabrouk où il a prêché durant des années. En cette même période, El Gammas, le quatrième Kilomètre, Bentelis, cité Emir Abdel Kader et Mansourah, en un mot la partie Est du Grand-Constantine, étaient encerclés par de gigantesques «favelas». A l'époque, les chiffres officiels reconnaissaient le nombre de 17.000 «gourbis». Constantine frôlait dangereusement une explosion sociale, et les terroristes n'avaient pas manqué de tirer profit du contexte. Aujourd'hui, les choses ont nettement évolué sur le terrain social. Près de 90% de l'habitat précaire a été rasé et des milliers de familles ont été sauvées de l'enfer des bidonvilles et recasées dans les nouvelles villes d'Ali Mendjeli et Massinissa. Restent les réseaux de la petite délinquance et du grand banditisme, susceptibles d'être actionnés par le terrorisme et ses commanditaires. Au sommet de la pyramide d'Al Qaîda au Maghreb islamique, on a bien compris, depuis longtemps, qu'il était risqué de vouloir, coûte que coûte, faire basculer Constantine dans la terreur des années 90. Un risque, cependant, nécessaire pour y perpétrer des attentats spectaculaires. Depuis un certain temps, on s'emploie méthodiquement à faire circuler la rumeur afin de maintenir et d'entretenir la psychose au sein d'une population de plus en plus frileuse, laquelle a carrément pris ses distances avec le discours politique officiel, et a choisi cependant de s'opposer aux armes des potentats d'Al Qaîda au Maghreb islamique. Même s'ils ont boudé les urnes durant les deux derniers scrutins, les Constantinois ont prouvé maintes fois que le temps est révolu où le terrorisme embrigadait avec une facilité déconcertante des jeunes et des moins jeunes. La mobilisation reste de mise Cette ville qui a donné le tournis à De Gaulle et ses paras, refuse de sombrer, encore une fois, dans le chaos promis par Al Qaîda. D'ailleurs, elle le montre tant bien que mal, parce que Al Qaîda a réussi à infiltrer son poison dans la ville. On estime à 40 recrues le nombres de jeunes qui l'auraient rejointe. Les couleurs d'une vie quotidienne sont désormais noir et blanc. Elle maintient difficilement sa capacité de résistance, bien que c'est à partir de cette ville qu'a pris naissance l'idée de la trêve annoncée en octobre 1997 par l'AIS. La loi de la Rahma prônée ensuite par l'ancien président de la République, Liamine Zeroual, allait favoriser quelque peu un retour progressif à une paix tant souhaitée à travers l'ensemble de la région et dans des wilayas du Centre. L'élection de Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République en 1999, était un tournant décisif aux plans politique et sécuritaire. La Concorde civile et la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ont eu leur impact, et l'on croyait avoir définitivement rompu avec le terrorisme. Pour son premier déplacement à l'intérieur du pays, le chef de l'Etat a eu le temps de mesurer, en effet, l'impact de son appel à l'apaisement sur l'opinion publique constantinoise. Au-delà des crimes commis et en dépit du sang qui a coulé, les Algériens avaient choisi de pardonner. Mais, brutalement, avec une rare violence, l'Algérie renouait avec le pire des cauchemars. Or, le Gspc - seule organisation terroriste encore active après la neutralisation de la sinistre organisation du GIA de Antar Zouabri - dirigé à ses débuts par Djamel Zitouni, allait se rendre avec armes et bagages à Al Qaîda et déclarait son allégeance à Oussama Ben Laden, en septembre 2006. Le pire était à craindre. Tout a commencé dans la capitale Alger, un certain 11 avril 2007. L'inquiétude s'est concrétisée à cette date par une attaque kamikaze contre le Palais du gouvernement. L'Algérie est frappée en plein coeur. Ce qu'on croyait un acte isolé, allait perdurer dans le temps pour atteindre d'autres villes du pays. Boumerdès, Bouira et Batna découvrent, à leur tour, les bombes humaines. Une nouvelle façon de faire la guerre à un peuple qui refuse de s'incliner. C'est pourquoi, après avoir échoué au Centre, tous les calculs d'Al Qaîda se sont tournés vers l'Est du pays. Une perspective pour ses rescapés en fuite vers Constantine et ses environs d'opérer des attentats. Ce qui semble être une diversion pour certains, est une menace de taille pour les spécialistes. Car, selon ces derniers, en possession de renseignements sûrs, le temps semble opportun pour passer à l'acte spectaculaire et retentissant à partir d'une ville touristique par excellence. Nos sources ont pressenti d'éventuels attentats kamikazes contre une représentation étrangère ou une institution étatique. Pour faire échec à la stratégie d'Al Qaîda, les forces de sécurité restent mobilisées. Elles opèrent de jour comme de nuit, en procédant à des fouilles au corps au quotidien. Des descentes nocturnes caractérisent les nuits de Constantine. Les barrages et la surveillance des accès sont quasi réguliers. Plusieurs terroristes ont été arrêtés ces dernières semaines. Des bombes ont été désamorcées. Aussi, la prudence reste le mot d'ordre tant pour les services de sécurité que pour la population, plus vigilante que jamais.