Il n'était qu'un jeune étudiant féru de théologie, il risque de devenir aujourd'hui le chef de la première force politique du pays. «Quand le frère Djaballah est apparu, c'était un étudiant à l'université de Constantine. Il est venu et a trouvé un terrain déjà préparé ...un potentiel existant, car le travail avait déjà commencé au début des années 60 avec une association très active et dont le rôle fut capital dans la daâwa.» Ces paroles ont été prononcées par le dirigeant de l'ex-FIS, Abassi Madani. A l'époque, en 1989, Abdallah Djaballah n'était qu'un jeune étudiant féru de théologie, il risque de devenir aujourd'hui le chef de la première force politique du pays. De son vrai nom, Saâd Guettaf, Abdallah Djaballah est né le 2 mai 1956 à Skikda d'une famille pauvre. Adolescent, il quitte le lycée pour subvenir aux besoins de sa famille, en parallèle, il passe son baccalauréat en candidat libre et l'obtient avec mention. Il décide alors de s'inscrire à la faculté de droit de Constantine et fréquente régulièrement les mosquées du Constantinois, considéré comme le haut lieu de la sahwa islamique. Et c'est en 1973 que le jeune étudiant en droit découvre le mouvement islamique et adhère au mouvement du prêcheur Mohamed Salah Abed, l'une des figures emblématiques de l'impulsion islamiste dans le région. Il décide d'abord de créer la première «mosquée libre» d'Algérie, indépendante du ministère des Affaires religieuses dans sa ville natale Bouabaz, alors qu'il n'avait que 20 ans. Mais, Djaballah voit déjà «grand» et décide de créer les «djamaâte» s'inspirant du procédé célèbre de Malek Benabi, qui a doté la Fac centrale de sa propre mosquée libre. Une liberté de prêche qui lui a valu d'être incarcéré une première fois en 82, où il passa deux ans de prison, puis une seconde fois en 85 où il est resté jusqu'en 86. Au lieu de le faire sombrer dans le nihilisme, la prison avait comme pour Malcolm X ou encore Ali Benhadj forgé en lui une personnalité plus déterminée et plus apte à affronter les vrais problèmes politiques. Durant la période anté-88, Djaballah est resté en retrait de la scène islamiste et préféra se consacrer à l'étude et à l'idjtihad sous l'égide d'une association caritative Ennahda. Et ce n'est qu'avec l'avènement de la démocratie et du multipartisme qu'il décide enfin, de revenir sur la scène nationale et de faire d'Ennahda un parti politique à part entière en 1989. Un mouvement qui était implanté au départ à l'Est et qui se présente comme un concurrent direct du FIS dans la région. A 34 ans, Djaballah faisait déjà figure de leader dans son parti et dans sa région. Il avait rejoint en 1990, à contrecoeur, quelques mois avant les élections communales, la Rabitat de daâwa Islamiya, dirigée par le cheikh Sahnoun, mais pilotée en réalité par Abassi Madani et Ali Benhadj. Après le raz de marée du FIS, en 1990, le mouvement de Djaballah, s'est quelque peu estompé et décide de ne pas aller aux législatives. Une halte politique qui a donné à son mouvement un aperçu de son impact sur le terrain. Après l'annulation des élections en janvier 92, le leader d'Ennahda préside «un comité pour le respect du choix du peuple» face au parti de Nahnah. Débarrassé de la concurrence de l'ex-FIS, Djaballah entend prendre la pérennité du mouvement islamiste et surtout récupérer l'électorat du parti d'Abassi pour les prochaines échéances électorales. Mais le scénario est faussé, puisque les «fisistes» tardent à rejoindre les rangs d'Ennahda. Conscient de la position encore délicate dans laquelle il se trouve, Djaballah décide de ne pas prendre part à l'élection présidentielle de 95 et décide de coller au train de l'opposition pour aller à Sant'Egidio. Le jeune leader participe en revanche avec son parti aux élections législatives de 97. Il obtiendra plus de 30 sièges et se fait spolier une cinquantaine de places par le RND. Quatrième force politique à l'Assemblée, Ennahda fait désormais parti du gotha de la scène politique. Une main dans l'opposition et un pied dans le pouvoir, il participe à toutes les actions politiques dans le pays. Avec le départ de Zéroual, l'organisation d'une élection présidentielle anticipée, et le choix consensuel d'un candidat, provoquent un séisme politique dans le pays. Djaballah n'y échappe pas, puisqu'il se fait éjecter «légalement» du parti par son propre frère de combat politique dans le parti, Lahbib Adami, alors maître de cérémonie au majliss echouri du parti. Alors que tout le monde le disait politiquement fini, Djaballah, fidèle à son ambition d'être toujours le meilleur partout, décide de se présenter à la présidentielle comme candidat «indépendant» pour prouver à son adversaire direct et surtout à ses militants qu'il était apte à faire partie des candidats. Non seulement il a réussi là où des anciens chefs de gouvernement ont échoué - à rassembler les 75.000 signatures - Djaballah nargue ses adversaires, en accomplissant à la mosquée d'Hydra la prière d'El-Asr avant de remettre son dossier de candidature au Conseil constitutionnel. En parallèle, il crée Harakat El-Islah El-Watani (le Mouvement de la réforme nationale) et évite de justesse le verrouillage des partis politiques imposé par Zerhouni. Entré dans une alliance avec les autres candidats à la présidentielle, il dénonce la fraude anticipée et se retire des élections. Les résultats officiels le donne même troisième après Taleb Ibrahimi Djaballah et El-Islah étaient devenus une force politique reconnue et surtout respectée par les autres partis même s'ils ne partageaient pas le même programme politique. Après l'interdiction de Wafa, le parti de Taleb, Djaballah se retrouve encore une fois la seule expression d'opposition du mouvement islamiste. Le MSP de Nahnah et Ennahda d'Adami ayant perdu leur crédibilité aux yeux du peuple, El-Islah est devenu la seule et unique alternative pour l'électorat islamiste. Refusant d'inclure sur ses listes les repentis et les ex-Wafa, El-Islah de Djaballah possède d'ores et déjà la force perdue par l'ex-FIS. Celle qui avait remporté les élections locales de 90 et législatives de 92, le jeune prédicateur ignoré par Abassi est devenu aujourd'hui un homme aguerri et possédant une maturité politique exemplaire. Ne voulant pas se séparer de sa taquia (symbole du musulman) Djaballah qui cache bien son bon français, qui s'habille en costume-cravate et qui dissimule son projet futur d'une République islamique moderne, prône la démocratie à l'algérienne. Une démocratie basée sur la cohabition entre démocrates et islamistes et qui risque de faire «barrage» au programme dessiné par le pouvoir et remporter une majorité à l'Assemblée.