Aucune thèse n'est confirmée et Ouyahia de déclarer: «De tels accidents sont encore possibles.» «Mon fils est mort brûlé et je dois éviter de faire el fawdha ! Je suis prête à défoncer ce portail», crie cette vieille femme face au policier qui tente de a raisonner. Ambiance de début d'émeute, hier, dans l'enceinte de la seconde cour d'entrée de la prison de Serkadji à Bab Ejedid à Alger. Toutes ces et tous ces hommes sont venus prendre des nouvelles de leurs fils, maris et proches. A 22h30, dans la nuit de mardi à mercredi, un incendie s'est déclaré dans la salle numéro 10 faisant, selon un bilan officiel, 19 morts et six blessés parmi les détenus âgés, selon un gardien de prison entre 18 et 21 ans. Les raisons de cet incendie, rapportées par l'agence APS, seraient une tentative de suicide d'un jeune détenu de 19 ans. «Le jeune détenu a réussi à échapper à la vigilance de ses gardiens, a bondi sur une rampe le long d'une coursive, pour arracher un néon avec lequel il tentera de se trancher la gorge après s'être porté plusieurs coups au visage. Cet acte, ainsi que les tentatives de calmer le jeune détenu ‘‘probablement drogué qui ne cessait de proférer des insultes ont fait réagir les autres prisonniers de la salle dix, qui après avoir eux aussi beaucoup crié, ont entrepris de mettre le feu à leurs paillasses, des matelas en mousse. Le feu s'est vite propagé dégageant une épaisse fumée noire.» Le mercredi coïncide en plus avec le jour des visites. Les familles de prisonniers venues dès 6h et demie n'arrivent pas à comprendre pourquoi les autorités de la prison n'affichent pas la listes des détenus morts dans d'effroyables circonstances: «Beaucoup de corps ont été retrouvés coincés devant les bouches d'aération», racontent des témoins. Les prisonniers tentaient de fuir les flammes et l'épaisse fumée. «Je les ai vus la nuit évacuer les cadavres dans des sachets noirs», rapporte, ému, un riverain venu chercher des nouvelles de son voisin. Des frappent nerveusement l'énorme portail bleu en criant: «Donnez-nous la liste!». «Pourquoi ils (les gardiens, ndlr.) ne surveillaient-ils pas les cellules? Où étaient-ils? Pourquoi ils n'ont pas donné l'alerte à temps?», s'insurge le père d'un détenu. Un gardien de prison tient la main d'une vieille femme au visage défait par les larmes et la peur. Elle n'a aucune nouvelle de son fils. Le gardien tente de la calmer: «Ton fils n'est pas dans cette salle, je te le jure!» Mais ces larmes ne tarissent pas pour autant. 11 h, un policier sort de l'enceinte de la prison, deux feuilles à la main. «C'est la liste!», crie t-on de partout. L'homme s'installe sur le parapet du mur externe avant de commencer la lecture des 25 noms de détenus qui occupaient la salle n°10. «Celui qui entend un nom qu'il reconnaît, qu'il reste, les autres n'ont plus aucune raison d'être ici», lance le policier qui répète l'énoncé des noms trois fois sous l'insistance de la foule. Quatre corps restent en cours d'identification, les brûlures occasionnées compliquent le travail des enquêteurs. Impossible de voir les blessés au niveau de la clinique de brûlés de Pasteur, à Douéra, au CHU Mustapha. Les policiers ont reçu, disent-ils, des instructions pour un black-out total. Les cadavres ont été transférés au cimetière d'El-Alia (14km à l'est d'Alger). Une enquête judiciaire a été ouverte par le parquet général d'Alger pour déterminer les causes et les circonstances. Pour rappel, et suite à la mutinerie dans la même prison en février 1994, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Méziane Chérif avait mis sur pied une commission d'enquête le 27 du même mois, soit une semaine après la mutinerie qui avait fait, officiellement, 93 morts parmi des «islamistes». Jusqu'à aujourd'hui, dix ans après, cette commission n'a pas livré publiquement ses conclusions alors qu'elle devait le faire dix jours après sa constitution. En 1994, une mutinerie dans la prison de Berrouaghia, wilaya de Médéa, avait fait plus de 200 morts. En juin 1997, des magistrats soulèveront le cas des 27 détenus morts asphyxiés dans un fourgon cellulaire. Plusieurs versions se chevauchent pour expliquer ce qui s'est réellement passé. L'une d'elles, une rixe entre le jeune détenu qui tenta de se suicider, avec des gardiens lorsqu'il demanda de changer de salle de détention. D'autres sources sur place évoquent le retard des premiers secours vu que le responsable du matériel de lutte contre l'incendie était, cette nuit-là, absent. Alors que des rumeurs suggèrent carrément des violences sexuelles comme source de la rixe et des affaires de drogue. Ces différentes versions pourraient combler le vide de causalité entre la tentative de suicide et la colère soudaine des détenus de la salle n°10. Mais pour le moment, aucune thèse n'est confirmée et toutes les interrogations sont ainsi posées. La situation des milieux carcéraux se détériore de mal en pis. Ahmed Ouyahia, ministre de la Justice, qui s'était rendu à la prison de Sarkadji dans la nuit même de l'incendie, a déclaré sur place à l'APS: «Ces morts et ces blessés sont nos compatriotes et ils sont sous notre responsabilité», avant de rappeler les faits similaires qui se sont déroulés à Mostaganem et plus récemment encore à la prison de Chelghoum Laïd, wilaya de Mila. Il a prévenu: «Malgré les mesures prises, telles que l'interdiction des briquets, allumettes, ou encore le contrôle des prisons pour ce qui concerne l'aération ou les moyens de lutte anti-incendie, de tels accidents sont encore possible.» De nouvelles actions du genre sont-elles à craindre dans le futur proche? Ouyahia le laisse penser. Le ministre de la Justice a ajouté: «Nous avons engagé d'autres mesures, tel le changement de la literie, mais cela ne suffira pas (...) il faut transformer en démarche réelle les nouvelles normes de manière à réduire au maximum ces risques.» Est-ce à dire que les réformes bloquent quelque part comme cela a été explicité par l'avocat Ksentini, président de la Commission nationale consultative de défense et de promotion des droits de l'homme? L'état des lieux dans les prisons semble en être un indice révélateur.