La copie signée par M.Abdelmadjid Sellini évoque vaguement les raisons de cette décision, qui a surpris plus d'un. Les avocats sont interdits de parole. Une instruction émanant du bâtonnât d'Alger datée du 10 juin dernier soumet les déclarations faites à la presse par les robes noires à une autorisation délivrée par cette instance. La copie signée par M.Abdelmadjid Sellini, le bâtonnier d'Alger, évoque vaguement les raisons de cette décision, qui a surpris plus d'un. Elle fait mention, entre autres, aux déclarations publiques jugées «inappropriées» faites par des membres du barreau. Mais selon nos sources, à l'origine de cette mesure, il y a les propos tenus par Me Fatima Ben Brahem concernant les «maisons de tolérance» dans une intervention au Forum d'El Moudjahid. Le bâtonnat, se référant au rapport de certains titres de presse, a selon la même source «mal apprécié les positions de l'avocate» Contactée par nos soins, Me Ben Brahem affirme avoir fait l'objet de diffamation de la part d'un journal à grande diffusion: «Toute la presse a rapporté avec précision mes propos sauf ce titre qui m'a fait dire des choses complètement erronées, notamment concernant la régularisation des maisons de tolérance.» Fatima Ben Brahem, qui ne nie pas que le dossier est très complexe, constituant un tabou dans notre pays, rappelle toutefois qu'en Algérie, il n'y a aucun texte de loi qui réprime la prostitution: «J'avais simplement averti que le Code algérien s'inspire du Code français, lequel consacre le droit de se prostituer sachant que cela relève strictement du droit au respect de la vie privée.» Pour Me Ben Brahem, «le Code algérien devrait plutôt s'inspirer du Code musulman qui place le respect de la morale sociale au- dessus des libertés individuelles.» «Je n'ai jamais accepté, ajoute-elle, de défendre une prostituée. Comment voulez- vous que je me permette de demander la régularisation des maisons de tolérance?» En tout état de cause, Me Ben Brahem refuse de se soumettre à la note du bâtonnat d'Alger: «Je ne me sens pas concernée par cette note. C'est une décision anti constitutionnelle.» «Aucune autorité n'est en mesure de m'interdire de m'exprimer sur des dossiers sur lesquels je travaille, tels que les droits de l'homme, les crimes contre l'humanité, le Code de la famille etc..» Pour Me Ben Brahem, ces interventions ne sont jamais faites au nom du bâtonnat: «On s'exprime, nous les avocats, au nom des libertés individuelles.» Les avocats voient d'un mauvais oeil les interférences du bâtonnat d'Alger. «Il n'est pas normal qu'on interdise à un membre du barreau de s'exprimer, ni le ministre de la Justice, ni le président de la République ne l'a fait. C'est un précédent grave», souligne un membre du barreau sous le sceau de l'anonymat. Pour notre interlocuteur, «la mesure serait bien accueillie si l'interdiction ne concernait que les questions liées à la profession ou encore à la gestion du bâtonnat. Ce qui n'est pas le cas.» «L'on veut nous interdire de parler. Ce qui n'est pas normal», ajoute cet avocat pourtant très habitué aux interventions médiatiques. Notre interlocuteur et malgré cette position, a décidé de se soumettre à la décision du bâtonnat, en refusant de faire de déclaration sur le bilan de la Réconciliation nationale, un dossier qu'il suit de très près depuis la promulgation de la Charte pour la paix: «Si vous souhaitez des informations sur cette question, vous devrez soumettre une demande écrite au bâtonnat d'Alger», souligne-t-il. Le juriste Ammar Khabab soutient que la note du bâtonnat «n'est pas très claire». Des membres du bâtonnat attestent que l'interdiction concerne uniquement les affaires internes au bâtonnat, mais l'on constate que la réalité est tout autre. Si les magistrats de par leur statut, sont soumis à l'obligation de réserve, les avocats en revanche, selon M.Khabab, ont le droit et le devoir de s'exprimer sur les dossiers qui préoccupent les citoyens. M.Khabab pense qu'effectivement, il existe des avocats qui ne maîtrisent pas les dossiers, donnant parfois des lectures falsifiées des lois, mais cela ne doit pas justifier la note du bâtonnat: «Moi je propose la création d'un conseil scientifique au sein du bâtonnat pour évaluer la capacité intellectuelle des avocats, parce que actuellement, les membres du bâtonnat ne sont pas en mesure de juger des compétences de la corporation.» M.Khabab a laissé entendre que le bâtonnât a opté pour la solution facile au lieu de traiter le fond du problème. Par ailleurs, le bâtonnât d'Alger a fait signer un engagement écrit à Me Azzi Merouane, président de la cellule juridique chargée de l'application de la Charte pour la paix au niveau de la cour d'Alger, l'obligeant à l'informer avant de faire des déclarations aux médias. Nous avons tenté dans la journée d'hier de contacter le bâtonnier d'Alger, en vain. Ses assistants nous ont répondu que Me Sellini était «occupé».