Pitoyable était le spectacle, avant-hier à 23 h, devant la prison d'El-Harrach. Le suicide comme dernier recours, comme ultime moyen de protester. C'est la nouvelle stratégie des détenus dans les prisons algériennes, où les conditions de détention sont très souvent irrespectueuses des droits de l'Homme les plus élémentaires. Pitoyable était le spectacle, avant-hier à 23 h, devant la prison d'El-Harrach. , fillettes, pères de famille sont encore là, attendant des nouvelles, qui de son fils, qui de son mari. L'information de l'incendie de deux salles de la prison a fait le tour d'Alger en une heure de temps, et dès 20 h, les familles commencent à affluer vers l'établissement pénitentiaire, situé à Beaulieu. Le grand bâtiment d'où émergent plusieurs miradors et cerné par un imposant dispositif de police date de l'époque coloniale. Les murs repeints à la chaux ne cachent ni l'austérité, ni la froideur, ni même un début de vague appréhension de la prison. C'est pratiquement vers minuit que le ministre de la Justice quitte le bâtiment. Quelques rares familles persistent à «quémander» encore des informations concernant les leurs, bien que le directeur de la prison les eût apaisées auparavant en annonçant qu'il n'y a eu «aucun mort et que tous les blessés avaient été soignés dans les hôpitaux des alentours, Zmirli notamment». Selon des informations glanées, hier, auprès des familles qui ont pu discuter avec leurs enfants blessés, l'incendie a pris naissance dans les deux salles des mineurs, la 12 et la 13, dans le jargon pénitentiaire. Les deux salles sont situées juste à côté des cuisines et de la grande salle des . C'est vraisemblablement après une bastonnade entre des détenus mineurs, que l'agitation a commencé à gagner la salle n°12. Très rapidement, le feu a été mis aux couvertures, puis toute la literie y est passée. Les détenus de la salle n°13 font pareille tentative pour attirer l'attention sur eux. A 19 h 50, le feu est déclaré dans les deux salles et menace de «contaminer» celle des « ». Les hurlements éclatent, les premiers brûlés commencent à crier à tue-tête, puis toutes les autres salles leur répondent. Les pompiers de la Protection civile interviennent rapidement, et les langues de feu sont maîtrisées vers 20 h. Les blessés sont évacués vers Zmirli. Ils sont 25. Cinq seront soignés sur place, les seize autres recevront des soins appropriés et seront remis en cellule. Quatre, toutefois, demeurent sous surveillance médicale, et retenus à l'hôpital jusqu'à ce qu'ils soient en mesure de regagner leur cellule. Il s'agit de Ben Belkacem Noureddine, Ksita Kamel, Amiri Merzag et Megdoud Rédouane. La présence d'Ouyahia jusqu'à une heure tardive de la nuit renseigne sur la tourmente que celui-ci vit depuis que la série noire dans les établissements pénitentiaires a commencé. Si les drames survenus dans les prisons de Mostaganem, puis de Chelgoum Laïd (22 personnes carbonisées) ont pu «se passer sans encombres», ceux de Serkadji (19 personnes mortes brûlées, et mutinerie d'au-moins 300 détenus) puis d'El-Harrach ont été amplifiés à souhait, car survenus dans la capitale, véritable caisse de résonance médiatique et politique. Mieux, l'incendie d'El-Harrach est réellement le «coup de trop», car, une fois de plus, il relance le débat sur les conditions de détention dans les prisons algériennes et pose, ici et maintenant, la lancinante question des droits de l'Homme en Algérie. Il n'y a pas de doute que les ONG intéressées par le respect des droits de l'Homme en Algérie se saisiront du dossier concernant cette nouvelle méthode de la part des détenus, et qui consiste à recourir au suicide. Déjà, lors de la 58e session de la commission des droits de l'Homme de l'ONU, l'Algérie avait été sévèrement secouée par certains membres de la commission. Si, chaque mois, l'Algérie offre sur un plateau de quoi alimenter les suspicions que certains nourrissent envers elle, il n'y a pas de quoi, alors, les accuser de parti pris. Mais, celui qui est le plus «secoué» dans ces affaires d'incendies dans les prisons reste incontestablement, Ahmed Ouyahia, le ministre de la Justice et patron du RND. D'un côté, il doit assumer, en tant que premier responsable, tous les dysfonctionnements, les errements et la déshumanisation des milieux carcéraux, et de l'autre, il doit faire face à l'effervescence qui agite son parti, en proie à de profondes distorsions. Entre ces deux casse-tête qui se posent à lui avec acuité, et ne lui laissent pratiquement pas de temps, ni de marge de manoeuvre, il aura bien de la chance s'il peut sortir indemne d'un tel guêpier.