Sans travail et sans occupation, les jeunes passent leur quotidien à siroter un café entre amis. Des bouts de carton, des papiers et même des cannettes de Coca sont éparpillés un peu partout dans les rues. Des sachets de toutes les couleurs vous collent aux pieds. Des poubelles à ciel ouvert. Pis encore, une odeur nauséabonde vous coupe le souffle. On dirait que nous sommes à la place des Martyrs, au coeur du marché ou quelque part du côté de oued El Harrach. Cette impression nous est venue à l'esprit lors de notre passage à la porte d'Aix, située au 2e arrondissement de Marseille. Il était 10h00 du matin ce vendredi 26 juin. Il faisait beau et même très chaud, près de 34 degrés. En sillonnant les ruelles de Marseille, nous sommes tombés sur un quartier typiquement algérois. «Wach, nous sommes à Alger, c'est la place des Martyrs!», commente un confrère d'un air étonné. Des foules interminables de gens se déplacent dans les deux sens. Les bras chargés, ils viennent faire leurs courses au marché Soleil. Ici les prix, parait-il, sont moins chers. Par curiosité, on y fait le tour. A l'entrée, c'est la bousculade. Pas moyen de trouver un passage. Les personnes avancent à pas de tortue. Elles circulent même entre les voitures. Les trottoirs sont envahis par les vendeurs qui squattent le moindre coin pour étaler leurs marchandises. Sur des tables et même parterre, ils «exhibent» leurs différents produits. Ce sont pour la plupart des vendeurs à la sauvette, à la recherche de quelques sous pour subsister. Le marché offre l'embarras du choix. On y trouve pour tous les goûts et pour toutes les bourses. Le client a le choix entre le magasin et les petits revendeurs. Du moderne au traditionnel, des magasins et des boutiques se suivent, les uns derrière les autres. Sacrée est la prière du vendredi L'endroit est beaucoup fréquenté par les Algériens. Les futures mariées viennent faire leur trousseau ici. «C'est la rue de la Lyre à Alger», nous déclare une jeune dame, croisée sur place. Portant un hidjab moderne aux couleurs chamarrées, cette Algéroise native d'El- Biar dit qu'elle ne se sent pas du tout dépaysée. «Il n'y a que les parents qui nous manquent ici, sinon machi ghorba», remarque-t-elle le sourire en coin. Effectivement, le décor et l'ambiance qui règnent nous font oublier que nous sommes dans la ville phocéenne au nord de la Méditerranée. Les gens parlent en arabe et quelques mots en français. Ils négocient les prix en arabe. En cette période d'été, l'endroit est pris d'assaut. Les gens sont à la recherche des prix les plus bas. En avançant un peu plus loin, des versets du Coran se font entendre. C'est le vendredi. L'heure de la prière approche. Les pratiquants ne dérogent pas à la règle. Malgré l'absence d'une mosquée, ils ont réussi à créer des lieux de culte. Des locaux ont été aménagés spécialement pour l'exercice du deuxième acte fondamental de l'Islam. A l'entrée, il est écrit «Moussala». En ce jour de vendredi, tenue oblige: kamis, djellaba et chéchia, les pratiquants sont repérés de loin. Dans leur intégralité, ce sont des commerçants qui travaillent à leur propre compte. Ils baissent le rideau pour observer une pause, comme le «dicte» la religion. D'ailleurs, dans les quartiers arabes visités, le vendredi se distingue des autres jours. A 13h00 précises, les rues sont presque vides. Pas âme qui vive. Même les cafés sont désertés. Un calme total s'installe. Les quelques personnes croisées se précipitent pour ne pas rater le prêche de l'imam. Ce sont des vieux, des jeunes...Il y a aussi des petits qui accompagnent leurs pères. Ces chérubins maîtrisent bien la langue et récitent quelques versets du Coran. Plusieurs associations activent dans ce sens. Une ligue des parents d'élèves, spécialisée en «langue et culture algériennes», a été créée depuis une année. L'enseignement de la langue arabe et de la culture algérienne est inscrit dans les programmes des écoles publiques. Le consulat d'Algérie à Marseille chapeaute cette action. Une enseignante à l'école publique, au 15e arrondissement, originaire de l'Est algérien, affirme que nos ressortissants sont nombreux à y adhérer. Elle estime cependant que beaucoup d'enfants ignorent leurs origines. Sans boulot et sans occupation, les jeunes passent leur quotidien à siroter un café entre amis. Du matin au soir, ils meublent les cafés du coin de la Cannebière et la rue de la République. Ils sont arabes, la plupart des Algériens qui traînent le pas. Là où nous sommes attablés, dans un café de la Cannebière, ils sont nombreux. Des jeunes âgés entre 25 et 35 ans se retrouvent ici pour passer le temps. On entend parler que du bled, des vacances et du fric. «Tu as la chance de descendre au bled et de voir ta famille, moi ça me manque énormément el-Assima», disait un jeune, la mine fatiguée, à son ami. Ce dernier lui répond: «Laakouba like, fais d'abord tes papiers et puis tu pourras descendre chaque semaine.» Sans avoir à les approcher, leurs regards disent et décryptent leur malaise. Malgré le beau temps et l'endroit paisible, ils restent soucieux. Mines fatiguées, ils décompressent avec un café et quelques cigarettes comme au bled. «La plupart qui viennent ici n'ont pas de papiers», nous dit le gérant du café, un Algérien originaire de Tigzirt. Ce sexagénaire ne quitte pas son comptoir. Il les connaît tous et même il a sympathisé avec eux. «Les jeunes croient que l'Europe c'est l'eldorado, alors que c'est tout à fait le contraire. Ici, marche ou crève», prévient-il. Beaucoup de jeunes, témoigne-t-il, ont regretté d'être venus en France parce que la vie est chère et elle ne pardonne pas. Sur la rue de la République comme à la Cannebière, les tables sont réquisitionnées. Sur place, il est difficile de voir un Français qui traîne. Il n'y a que des Arabes qui squattent les lieux. «Ici, c'est plutôt rare de voir un Français», remarque le vice-consul. Ceux qui ont réussi à trouver un job, travaillent dans les taxiphones. Dans les quartiers arabes, ce genre de commerces pousse comme des champignons. Entre deux cafés, on trouve deux taxiphones. Il n'y a que l'étiquette Djezzy qui les diffère de ceux de la capitale. L'option Maghreb, à savoir Algérie, Tunisie, Maroc, fait rage. Les taxiphones sont plus prisés que les portables. La galère des émigrés Les vacances sont un plaisir pour certains et un calvaire pour les autres. Voyager en Algérie est devenu un luxe pour les immigrés. «Le billet coûte les yeux de la tête», s'indigne Saïd. Rencontré au niveau de l'agence Méditerranée Europe Voyage, ce père de quatre enfants ne cache pas sa colère. «Je ne comprends pas pourquoi le billet vers l'Algérie reste trop cher, alors qu'au Maroc et en Tunisie les prix sont à la portée de tout le monde», s'interroge-t-il, bougon. «Vous savez combien ça m'a coûté le tout, c'est plus de 2000 euros», nous apprend-il. Salarié, Saïd travaille comme agent de sécurité dans une surface commerciale. Seul, il n'aurait jamais pu s'offrir un voyage. «Heureusement que ma femme travaille, sinon avec 1200 euros par mois, on ne peut rien faire», affirme-t-il. Ce dernier n'est pas le seul à s'emporter. Une dame venue se renseigner sur le prix a piqué une crise. «Ce n'est pas le bout du monde mon Dieu! Une heure et demie de voyage coûtent 540 euros, le billet pour les Etats-Unis est moins cher», martèle cette dame. Cela sans compter les autres frais du voyage et les petits cadeaux pour la famille. En raison de la flambée des prix durant cette période, beaucoup d'émigrés renoncent au voyage. Ils préfèrent les promotions durant l'hiver où le billet est soldé à 250 euros. Les Algériens sont de plus en plus nombreux à opter pour la nationalité française. «Plus de 50% des demandeurs de visa sont des Algériens», nous a confié un haut responsable au consulat d'Algérie à Marseille. Les touristes étrangers sont moins captés par la destination. Ils représentent quelque 20%, selon notre interlocuteur. Quelques moments après, nous avons pu avoir confirmation de ces informations. Au service des visas, les étrangers se comptent sur les bouts des doigts. Sur une trentaine de personnes assises dans la salle d'attente, il n'y avait que trois Français. La plupart étaient des ressortissants algériens. Passeport rouge à la main, «j'ai opté pour la nationalité française car il y a plus de facilité pour accéder à des postes de responsabilité», justifie Tarik, un Algérien originaire de Guelma. A l'intérieur comme à l'extérieur, des files interminables sont en attente dans la cour. Des familles entières avec leurs petits enfants font le déplacement. «Le consulat devient une véritable mairie», affirme un agent du consulat. Renouvellement du passeport, de la carte d'identité, retrait de l'autorisation paternelle, sont les documents les plus demandés. Pour permettre aux gens de regagner leur boulot, l'enregistrement commence à 06h30 du matin, explique l'agent. Interrogé sur ce monde, il dit que «les ressortissants attendent les grandes vacances pour régler leur paperasse». Durant cette période, la moyenne des rendez-vous atteint les 200 personnes par jour. Même avec plusieurs guichets, les agents sont dépassés. Afin de savoir comment se déroule l'accueil, nous avons approché quelques-uns. «Franchement, c'est bien organisé. C'est vrai, il y a beaucoup de monde, mais chacun attend son tour», témoigne Karim, croisé juste à la sortie. Sa femme atteste que les conditions d'accueil se sont nettement améliorées. Or, d'autres affichent leur mécontentement. «Ils nous traînent trop, ça fait deux fois que je me déplace pour un seul papier. On n'a pas que ça à faire», clame Selma d'un air agacé.