L'histoire de l'entrée de l'homme dans l'Histoire, la recherche de la vérité serait-elle dans le passé? Animer le monde, c'est le rêve de tous les chercheurs, - mais comment? La Création serait-elle un acte vain? Sous le soleil d'un reste d'humanité, l'humilité - ou l'orgueil - pousse la créature simple à refaire le monde. Des hommes d'intelligence exhibent leurs bonnes intentions, inventent leurs instruments, toujours dépassés à l'instant même où ils croient avoir aperçu le fil de l'histoire. Apercevoir, non saisir le cordon ombilical qui conduit à la raison, c'est-à-dire à la cause et à l'explication de la cause! Les grands penseurs nous disent: «Il faut penser à côté.» Mais où, «à côté»? Alors on verse dans la fiction, et il ne se trouve pas de sujet qui ne soit intéressant. Qu'est-ce que notre Histoire? La version nouvelle de la question que nous présente le préhistorien Nour-Eddine Saoudi, nous viendrait-elle de son amour de la tradition musicale andalouse, de sa Noûba Dzîriya, aux multiples séquences? En vérité, comme je crois l'avoir entendu dire. «L'essentiel réside dans l'écriture de l'histoire.» Et cette conviction tranchée qu'il n'a cessé de préciser par des concepts, se retrouve encore aussi forte, encore aussi enracinée dans ce qu'il essaie d'inventer et d'expliciter dans L'Autre rive du paradis (*). L'histoire de l'humanité est «dramatisée» dans cette oeuvre. C'est en quelque sorte l'Histoire dans l'Histoire. C'est l'histoire d'une «communauté humaine» en quête de réalisation de sa survie, jour après jour, sous «l'astre du jour» et sous «l'astre de la nuit». Ce microcosme primitif, mais naturel, invente, progressivement, ses moyens d'existence: son agriculture, ses instruments de production et de défense, ses valeurs par instincts, par essais et erreurs. Par l'expérience de la vie. C'est le début d'une ère prometteuse d'une vie meilleure, nécessairement parsemée de conflits, de regrets, d'amour et d'espérance: c'est ce qu'on appelle, aujourd'hui, histoire et civilisation, identité et gloire. Un groupe d'hommes - les anciens -, à une époque très lointaine, vivant dans le désert, sont saisis de nomadisme. «La saison des pluies était déjà bien entamée [...] Aucune ombre généreuse ne se découpait à l'horizon. [...] Cette fois, les anciens devaient se résoudre à abandonner les bords du lac asséché et aveuglant, pour se diriger vers le pays de la montagne qui crache du feu. Là, ils pourraient tenter de s'établir. [...] Rani [la narratrice] revoyait ce grand périple qui les mènerait à travers le pays de la solitude et de la soif, là où le soleil se confondait avec la terre dans une communion de feu. Dans ces moments de détresse, Rani se plaisait à rêver et à se remémorer les veillées où, toute petite, blottie contre le corps apaisant et protecteur de sa mère, elle écoutait la vieille du village raconter l'Histoire des premiers matins. Celle de la création du monde, des arbres et des montagnes, des rivières et des fleurs, des bêtes et des hommes, de leurs ancêtres à partir de l'astre du jour mais aussi de la colère des dieux.» Ici commence l'histoire des «premiers matins du monde». Ici commence le conte fantastique, ici la genèse de l'humanité, et ici maintenant ceux qui vivent se mettent «tous ensemble à penser à ce qui pouvait donner vie à la vie, et remplir l'atmosphère de mélodies.» Un vrai dialogue de vie, plein de symboles, s'établit entre les hommes: la vie est de continuer de féconder la terre et de combattre les bêtes fauves. C'est une leçon, une recommandation faite à l'humanité. Une itinérance sous le soleil brûlant est peu à peu organisée; et puis l'espérance aide à atteindre un univers nouveau. En quelque sorte le miracle est au bout de la volonté des hommes. Rani, «la protégée des dieux», a vécu le miracle: le rêve a enfin trouvé l'escale de la destinée de la tribu primordiale. Pourtant, rien n'est tout à fait terminé; la vie doit continuer: «Une nouvelle existence s'offre à nous, maintenant, dit la narratrice. Nous devons réapprendre la vie dans cet environnement nouveau, que les dieux, pour avoir guidé nos pas jusqu'ici, ont voulu pour nous. Nous avons surmonté des épreuves et gagné notre salut...» Il ne faut pas voir là une image inspirée du mythe de Sisyphe, une sorte de désillusion, l'acceptation du destin contraire édicté par la philosophie grecque, mais la réflexion juste, positive de ce qu'est le devoir de l'humanité vivante, capable de tous les défis. L'autre rive du paradis est une étape nouvelle, aussi enthousiasmante, car elle relance la vie, c'est-à-dire le culte du vivre dans l'honneur et la gloire d'une société productrice d'histoire et de civilisation. Ce premier roman de Saoudi mérite d'être encouragé, j'espère beaucoup de lui une suite, la poursuite, dirais-je, des mauvaises ombres d'aujourd'hui. C'est en révélant notre passé, en comptant sur nous-mêmes, que nous saurons, peut-être, que Le Premier homme est maghrébin et si tel n'est pas le cas, peu importe, le bonheur est dans le fait d'avoir cherché. (*) L'AUTRE RIVE DU PARADIS de Nour-Eddine Saoudi Casbah Editions, Alger, 2007, 175 pages.