Autrefois utilitaires, source de nourriture et de vêtements, les animaux domestiques ont investi les foyers algériens pour devenir des peluches vivantes pour les petits et les compagnons des plus âgés. De plus en plus présents dans les rues avec leurs maîtres, dans les maisons avec leurs niches, c'est un nouveau phénomène qui pointe son nez pour nourrir le nouveau dada des Algériens. Fini les caniches pour signifier la richesse et l'abondance, fini les tortues et les poussins pour les moins riches, désormais toutes les classes sociales confondues s'adonnent à ce nouveau plaisir d'avoir des animaux de compagnie. Ils ravissent les petits et les grands, les vétérinaires qui se voient de plus en plus sollicités, mais aussi les commerçants conscients de cette nouvelle aubaine économique. Avec des étals sur les trottoirs, des boutiques ambulantes ou encore des grands magasins, les marchands de «peluches géantes» ont très vite compris qu'ils détenaient «la poule aux oeufs d'or». Abdelbassat, vendeur dans une boutique pour animaux, à Meissonnier, l'a, lui aussi, très bien compris. Selon lui, il est vrai qu'il existe une très nette évolution de l'intérêt des Algériens pour les animaux. Et c'est d'autant plus visible, toujours selon cet animalier, au nombre de clients qu'il reçoit tous les jours «C'est sûr qu'il y a une augmentation, ces dernières années et, même durant l'année elle-même», a-t-il déclaré. Cette boutique située dans un quartier marchand de Didouche Mourad est implantée là depuis 3 années et se porte «à merveille» selon ses dires. Après avoir marchandé avec son petit étal installé sur un trottoir, mettant en vente quelques hamsters, poissons, tortues et leur nourriture, le propriétaire s'est vu chasser de là, pour revenir, quelque temps après, ouvrir cette boutique qui affiche un rush journalier impressionnant au point de voir ses clients attendre leur tour pour pouvoir rentrer. Les commerçants ne sont pas les seuls à profiter de ce «filon d'or», puisque les vétérinaires affichent eux aussi des ambitions quant à cette relation des Algériens avec les animaux, allant jusqu'à créer des cliniques et des centres spécialisés pour cette population animalière à l'instar du Centre hospitalier vétérinaire et cynophile (Chvc) de Ouled Fayet. Ce «complexe» de 9000 m², abrite, à lui seul, toutes les spécialités animalières, la pharmacie spécialisée en produits vétérinaires pour animaux de compagnie, hospitalisation, médecine, chirurgie, radiologie et laboratoire de diagnostic. Complet, le Chvc comprend aussi un centre d'élevage de chiens de race berger allemand, sloughis, azawaks et rottweillers, avec en outre, un centre d'éducation canine (dressage). A ce sujet, le docteur vétérinaire et président du Chvc, Amine Bensemmane, a déclaré: «Nous faisons tout ici: dressage, toilettage, élevage, (...) on a une zooboutique et un service d'hospitalisation (...), on a aussi un service d'urgence avec un numéro où appeler en cas d'urgence avec un vétérinaire de garde qui peut se déplacer si cela est nécessaire.» Ce centre a même poussé le détail encore plus loin, en mettant en place des pensions de vacances pour animaux avec, pour ceux qui en ont les moyens, un «hôtel 5 étoiles». La poule aux oeufs d'or Ce dernier, construit récemment, affiche une douzaine de boxes «climatisés» dont les murs ont été recouverts de faïence et équipés de petites buvettes. «Notre fierté, c'est le nouvel hôtel 5 étoiles construit spécialement pour les clients qui veulent amener leurs chiens, généralement c'est des étrangers qui partent en vacances et qui veulent les laisser entre de bonnes mains», a expliqué M.Bensemmane. Ce docteur qui a très vite compris l'intérêt d'investir et de s'investir dans le domaine, a entamé ses activités en 1988 dans un petit cabinet à Bologhine. Etant une spécialité quelque peu rare à cette période, il se voit très vite sollicité par un nombre de clients, de plus en plus croissant, et se trouvant dans l'impossibilité de les satisfaire, il décide de déménager à Ouled Fayet pour ouvrir ce qui représente actuellement «le temple» des animaux domestiques. «On s'est très vite retrouvés débordés, alors on a décidé de déménager, pour venir à Ouled Fayet au début où il n'y avait pas tout ça, on faisait seulement du dressage et des soins et puis, peu à peu, on s'est agrandi et on a élargi notre gamme de services», a-t-il indiqué. Toujours dans ce registre, il explique que l'évolution de la demande des clients, qui se trouvent de plus en plus attirés par les animaux, est intervenue à la faveur d'une croissance économique d'abord, puisque, selon lui «pour avoir un animal de compagnie, il faut de l'argent pour s'en occuper, et c'est un signe que le niveau de vie est de plus en plus aisé et donc les Algériens s'autorisent à avoir des animaux», mais aussi d'un intérêt intellectuel. Car, en effet, avoir un animal et savoir s'en occuper vont de pair. Et ce dernier point nécessite un savoir-faire. M.Bensemmane a indiqué dans ce contexte que «généralement, les gens qui adoptent des animaux de compagnie ont un niveau intellectuel élevé, parce qu'il faut savoir s'en occuper: quand le nettoyer, le vacciner, le faire sortir, c'est (...)tout un travail». C'est donc à une classe sociale d'un niveau intellectuel et économique assez élevé que M.Bensemmane attribue ce «phénomène national», se référant aux clients qu'il a l'habitude de recevoir. L'antidote au stress Mais est-ce suffisant pour expliquer ce phénomène? Sans doute non, d'autant plus qu'il n'est pas spécifique à une classe sociale bien particulière, puisque les fortunés et les moins nantis se permettent aujourd'hui d'acheter et d'élever un animal de compagnie. De retour d'un voyage au Sahara algérien, Djalal, un fonctionnaire d'une quarantaine d'années et père de 3 enfants, a ramené avec lui, dans le coffre de sa voiture, transformé pour l'occasion en une vraie «Arche de Noé», un putois, un lapin sauvage, un dindon, un canard, un lézard, des scorpions et un serpent. Son frère Nabil, touché lui aussi par cette fièvre animalière, possède un fennec, un singe et une horde de chats. Tous ces animaux, vivent avec eux, dans la maison qu'ils partagent avec leurs autres frères et soeurs. Les cas de Djalal et Nabil, ainsi que de beaucoup d'autres, vient nourrir encore davantage cette constatation manifeste qui ne traduit pas moins qu'un changement de la relation qu'entretient l'Algérien avec les animaux. En effet, de l'homme mangeur d'animaux, l'Algérien s'est «mué» en compagnon, n'hésitant pas à débourser des fortunes pour les entretenir. Plus qu'une simple relation d'homme à animal, elle est devenue, en l'espace de quelques années, une relation affectueuse, et même de soutien pour l'un et l'autre, parfois plus pour l'homme que pour l'animal. Selon certains spécialistes, sociologues et psychologues, ceci tend à mettre en évidence l'existence d'un besoin humain fondamental, celui d'être associé avec les autres êtres vivants pour ainsi permettre une évasion du cadre de vie et de la conjoncture actuelle du pays pour un autre «espace» de vie moins contraignant, fait de contacts sociaux presque «primitifs» mais pourtant bien évolués. L'animal est donc considéré comme le nouvel antidote à la solitude et au stress. Il se présente alors comme un «catalyseur social» ou plutôt un «lubrifiant social», facilitant les interactions entre individus. Et pour cause. Etant de nature très sociables, les animaux agissent comme de véritables exemples et forment des «modèles sociaux» à suivre. Le chien, avec son infaillible loyauté, le chat avec sa fière sensualité, le cheval avec son hypersensibilité, tout un univers dans lequel amour, connaissance de soi et de l'autre mais aussi respect, cohabitent ensemble de manière homogène permettant «le bien-être des uns et des autres». Par ailleurs et contrairement aux idées reçues, associant personnes seules et animaux de compagnie, ce sont les foyers de plus de deux personnes qui accueillent le plus les animaux de compagnie. Leur principale motivation est le rôle social attribué à ces animaux comme étant créateurs de liens et agents actifs contre la solitude et antistress. En outre, parmi les animaux les plus adoptés en Algérie, les chiens figurent au premier rang à hauteur de 80%, les chats étant au deuxième. «Les chiens sont les animaux les plus adoptés, ils atteignent un taux de 80% parce que ce sont les plus communs à l'Algérien», a déclaré M.Bensemmane à ce sujet. Toutefois, cela n'empêche pas les Algériens d'avoir des préférences pour d'autres animaux moins communs et plus exotiques comme les serpents, les lézards, les scorpions et les singes.