Aujourd'hui, les douleurs que rencontraient jadis les montagnards kabyles, ont tendance certes à s'estomper mais pas totalement, certaines douleurs subsistent encore mais elles sont d'un autre genre. Rabah Toumert, qui vit dans les montagnes d'Aït Abdelmoumen (Ouadhia), publie son premier roman aux éditions Le Savoir de Tizi Ouzou. Il s'agit des Montagnes de la douleur. Sur plus de 200 pages, cet auteur humble, fait voyager le lecteur dans la Kabylie de son enfance. Celle de la fontaine et de la misère. Une Kabylie belle mais dure. L'Expression: Vous semblez très marqué par les romans de Mouloud Feraoun. On le retrouve dans votre premier roman, n'est-ce pas? Rabah Toumert: L'écrivain Mouloud Feraoun est un auteur qui m'a, naturellement, beaucoup séduit par son sens inné dans l'art de la littérature, en dépit du fait qu'il n'eût pas de grands bagages intellectuels, il était arrivé tout de même à écrire et avec une virtuosité extraordinaire, mais pour vous dire vrai, quand on écrit sur les souffrances de ces montagnes, on est, en quelque sorte, obligé d'emprunter le chemin tracé par cet illustre écrivain qu'est Mouloud Feraoun. Pourquoi ce titre pessimiste, Les Montagnes de la douleur? Voilà une question qui vaut son pesant d'or. Autrefois, en Kabylie, là où l'on allait, on ne rencontrait malheureusement que des douleurs et des déceptions. Pour pouvoir remplir une simple cruche d'eau, la femme kabyle était dans l'obligation de descendre jusqu'au fond d'un ravin pour y accomplir sa tâche qui consiste à alimenter son foyer en eau potable, car c'est l'unique endroit où l'on pouvait rencontrer une source d'eau. Aussi, en hiver, quand la neige venait à tomber sans discontinuer durant des jours et des jours, l'amoncellement de la dite neige empêchait effectivement les paysans de se rendre dans leurs champs pour y faire paître leurs troupeaux. Ils étaient alors contraints de puiser dans leurs maigres réserves de fourrage pour que leurs animaux pussent survivre. Aujourd'hui, les douleurs que rencontraient jadis les montagnards kabyles ont tendance certes à s'estomper mais pas totalement, certaines douleurs subsistent encore mais elles sont d'un autre genre. Et cela n'est qu'un échantillon de maux parmi tant d'autres que rencontraient naguère les infortunés montagnards kabyles. Pour clore cette réponse, je dirai simplement, qu'habiter autrefois en pleine montagne, ressemblait fort bien à un univers carcéral. L'écrivain est souvent hanté par ses souvenirs lointains. Est-ce la raison pour laquelle vous avez décidé d'écrire ce livre? Parfaitement, les souvenirs lointains qui ont chamboulé mon existence sont encore vivaces dans mon esprit, et il n'y pas de jour où je n'y pense pas. Nous avions reçu, tous les jeunes de ma génération et moi-même une éducation brutale. A peine nés, nous étions confrontés à la guerre que faisait la France aux Algériens qui voulaient se débarrasser du joug colonial. Et une fois l'Indépendance acquise, nous avions pu constater, hélas, que les pratiques de ceux qui ont libéré le pays étaient parfois pires que celles de la France coloniale! Voilà donc ce qui me pousse à écrire pour dire toute ma tristesse et ma souffrance qui sont, d'un caractère abusif et injuste et pour dénoncer les actes criards ne respectant pas les règles de l'équité. Parlez-nous de l'impact obtenu par votre roman, particulièrement, en Kabylie. En Kabylie, plus particulièrement dans la wilaya de Béjaïa, ce roman a connu un succès relatif et il se vend plus ou moins bien. Il y a aussi Alger qui lui a réservé un bon accueil. Par conséquent, je pense que pour un auteur débutant que je suis, j'estime plutôt que c'est prometteur, et j'espère qu'à l'avenir, avec l'arrivée de mon deuxième roman, ils auront, tous les deux, un bon rayonnement. Toutefois, je crois savoir que pour un ouvrage nouvellement édité, il faut bien laisser le temps aux férus de la lecture de le découvrir. Vous êtes en train d'écrire un deuxième livre. Est-ce toujours un ouvrage autobiographique? Absolument! Quels sont les auteurs qui vous inspirent le plus? L'auteur qui m'inspire et me charme le plus, c'est bien Albert Camus, dont le style est particulièrement éblouissant, notamment, ses meilleurs romans: L'étranger et La peste. Et s'il faut inclure même les écrivains de notre pays, je choisirai sans hésiter le regretté Rachid Mimouni qui a, lui aussi, une manière d'écrire très épatante. Pour vous, c'est quoi être un écrivain? Un écrivain, c'est cet individu qui souffre sans que les gens le sachent. De ses souffrances naissent des phrases. Lesquelles phrases étalées sur du papier deviennent un roman. Et lorsque les lecteurs auront à le lire, ils diront alors de son auteur: «Voilà un homme heureux!» Heureux? Hein, encore faudrait-il qu'ils en aient la preuve!