La visite de l'éblouissante créature à la taille élancée survolta l'assistance de la piscine d'El-Madania, et l'invita à partager à ses côtés de grands moments de passion où les larmes d'allégresse font baigner l'amour dans une tendresse que l'auteur du poème, Benslimane, a su décrire avec une magie qui n'est pas sans nous rappeler Ben Sahla. L'Etablissement Art et Culture d'El-Madania a réussi le tour de force de mobiliser d'une manière hors du commun la paisible et magnifique population de l'un des quartiers les plus populaires de la capitale. Autour bien sûr d'un programme artistique et culturel dont le moins que l'on puisse dire est qu'il fut royal. Un programme porté par l'imagination d'une structure d'animation qui progresse chaque jour davantage car s'appuyant, en premier lieu, sur des besoins culturels évidents et la mobilisation consciente des artistes venus en force pour cette première nuit du chaâbi. Une nuit qui ne sera pas sans lendemain puisque l'Etablissement Art et Culture de la wilaya d'Alger envisage sérieusement de s'investir pleinement pour un public en or qui aura suivi dans un incroyable recueillement les qassidate somptueusement et généreusement restituées par de grands noms du répertoire d'un genre qui a ses lettres de noblesse à travers le territoire national. C'est donc à une overdose de chaâbi à laquelle fut convié un public connaisseur réagissant sempiternellement aux agréables ritournelles, planant merveilleusement en réponse aux arabesques suggérées par la profondeur des poèmes et se laissant aller à quelques magnifiques transes arrachées par le mouvement particulièrement vif des khlass. Pour Abdelmadjid Meskoud, ce fut simplement merveilleux. Une sorte de sublimation justifiée par une revanche sur le sort imposé et aux artistes et aux mélomanes réduits, une décennie durant, à comptabiliser le nombre de morts et à n'avoir, comme espace culturel, que les céans où devaient être enterrés des amis, des alliés, parfois même des parents ou, comme alternative l'exil, intérieur comme extérieur. Survolté par autant de considération, l'interprète de Dzaïr ya el-Assima s'est dépensé, dans la nuit du jeudi à vendredi, d'une manière telle que l'assistance ne lui ménagea point ses applaudissements et sa reconnaissance. Une reconnaissance qui enveloppa tous les autres chanteurs à l'image de Abdelkader Chaou, Abdelkader Chercham, Mehdi Tamache, Sid-Ali Driss, Abdelmalek Imansouren, El-Hadi El-Anka, Sid-Ali Tchekiken et les nombreux jeunes loups présents à l'occasion de ce concert. Egal à lui-même et sortant à peine de sa timidité légendaire, Abdelkader Chaou a séduit l'assistance tant par ses penchants pour les airs vifs, histoire d'accrocher son auditoire, que par des morceaux d'anthologie qui ont abreuvé le chaâbi. Elégant dans sa façon de restituer l'argumentaire du genre qui lui tient le plus à coeur, il passe non sans une certaine facilité des morceaux gais à ceux plus élaborés, de l'ambiance de fête au recueillement, le tout libéré par une pressante invitation à l'allégresse et à la danse. Plus proche du cardinal dont il a été le disciple et le bras droit ensuite, Abdelkader Chercham a tout simplement émerveillé un public ankaoui à souhait, même s'il fit une sorte de concession aux organisateurs en interprétant El-Harraz, un morceau qui n'est pas particulièrement porté par l'école chère à Hadj M'hamed El-Anka. Un tour de chant cependant très apprécié par les fans d' El-Hachemi Gerrouabi qui souhaitaient ardemment une visite du chantre enfin de retour parmi les siens. Notamment de son neveu Sid-Ali Driss qui, comme à l'accoutumée, ne pouvait s'empêcher de rappeler à notre bon souvenir de mélomanes quelques envolées de l'incomparable chanteur de Youm el-djemaâ kherdjou leryam. C'est dans la pure tradition de Hadj M'hamed El-Anka que le talentueux Mehdi Tamache a gratifié l'assistance d'un merveilleux bouquet de chansons à la mémoire de son maître dont il sait restituer, d'ailleurs, la touche magique, la façon toute personnelle de chanter qui nous va droit au coeur. Il y a eu bien sûr l'incontournable Lehmam li rabitou, mais le morceau qui a le plus emballé l'assistance fut incontestablement Zarani Mehboubi. Bien que dans le rêve, La visite de l'éblouissante créature à la taille élancée survolta l'assistance de la piscine d'El-Madania, et l'invita à partager à ses côtés de grands moments de passion où les larmes d'allégresse font baigner l'amour dans une tendresse que l'auteur du poème, Benslimane, a su décrire avec une magie qui n'est pas sans nous rappeler Ben Sahla et son merveilleux texte El-Ouerchane (le Ramier). Enfin, fidèle à son auguste père, El-Hadi El-Anka se mit, lui aussi, au diapason pour donner la pleine mesure de son talent et démontrer que les disciples ont tendance, de plus en plus, à se singulariser par leur volonté d'imprégner, à leur manière de déclamer et d'exécuter un morceau, une touche toute personnelle. Une soirée magnifique donc, somptueuse autant qu'inoubliable que l'Etablissement Art et Culture entend renouveler à El-Madania, dans un cadre que la réouverture de la piscine a transformé et rendu des plus conviviaux, agréables, à la grande satisfaction des familles venues en force jeudi dernier, comme dans d'autres quartiers populaires de la wilaya. C'est M.Mohammedi, directeur de cet établissement qui souligne car, de son point de vue, limité qu'il était au seul Ramadhan, le chaâbi risquait de devenir la sempiternelle cerise sur le gâteau : «Il convient de permettre à ce genre musical éminemment populaire de recouvrer sa vocation première par la réhabilitation de sa fonction sociale. Le travail de proximité que nous essayons d'encourager à notre niveau a été grandement favorisé par l'adhésion des artistes présents qui souhaitent s'impliquer davantage dans l'animation culturelle des quartiers, y compris ceux catalogués de difficiles, de chauds, et l'aide matérielle apportée par des entreprises de wilaya comme Edival et Erma, sans oublier GFC, une société privée qui a entièrement pris en charge les artistes.»