Charité n Toutes les portes auxquelles il frappe se ferment devant lui : on ne lui prêtera rien, car il a fait la preuve que c'est un mauvais payeur ! Tout malin qu'il est, Djeha est souvent affamé. Bien souvent, il rentre chez lui, le couffin vide. Ce jour-là, justement, il est allé au marché, espérant glaner quelques légumes abandonnés par les marchands. Une pomme de terre par-ci, une carotte par-là, un chou avarié, et sa femme pourrait faire un bouillon. Son bonheur serait complet si, passant, du côté des bouchers, il récoltait un os à moelle : on aurait un bouillon gras ! Mais Djeha a beau fureter, il ne trouve rien : des crève-la-faim comme lui sont déjà passés ! Il supplie quelques marchands de lui céder quelques légumes, mais à chaque fois il reçoit une fin de non-recevoir. Au lieu de passer ton temps à jouer des tours aux gens, va travailler ! — Tu n'auras rien du tout ! Il finit par rentrer chez lui, la tête basse. Sa femme s'écrie. — Tu n'as rien ramené ! — Hélas, les vautours sont passés ! — Et moi, que veux-tu que je te donne à manger ? — J'ai faim ! Il n'y a même pas un bout de galette, même pas un grain de blé ou d'orge à croquer. Djeha se creuse la tête. Comment faire ? A quelle porte frapper ? Qui voudrait lui faire crédit ? — Je vais sortir, dit-il à sa femme. — Alors ne reviens qu'avec de la nourriture, sinon ne me demande pas de te faire à manger ! Djeha flâne dans la rue. La faim se fait de plus en plus tenace et toutes les portes se ferment à son passage : on ne lui prêtera rien, car il a fait preuve d'être un mauvais payeur ! Il y a pourtant une épicerie à laquelle il ne s'est pas rendu. — Bonjour, respectable épicier . L'épicier, qui a déjà eu affaire à lui, se renfrogne. — Que veux-tu ? — Je viens te demander de me rendre un service… L'épicier fait un geste de la main. — Va-t-en, je suis épicier, je vends, je ne rends pas service. Djeha se fait suppliant. — Je t'en prie, ma femme et moi avons faim ! Prête-moi un sac de blé ! — Je ne te prêterai rien ! Djeha insiste. — Dans une semaine, je te payerai… — Je ne veux rien savoir ! — J'ai faim, ma femme a faim… Le musulman ne doit-il pas aider le musulman ! — Toi un musulman ? tu n'es qu'un mécréant ! Comme Djeha voit qu'il ne peut attendrir l'épicier, il tire un couteau, le frappe à la main et s'empare d'un sac de blé et prend la fuite. — Ah, on me tue ! on me vole !