Des jeunes et moins jeunes, chômeurs, désoeuvrés,lycéens et étudiants, des célibataires ou des pères de familles s'inventent des métiers, le temps d'une saison. La saison d'été est, par définition, une saison de repos et de villégiature, notamment pour ceux qui ont été durant toute une année au labeur. Un repos bien mérité en somme. Mais pour d'autres personnes, l'été est synonyme de boulot, pour arrondir ses fins de mois en cette période de disette. On les appelle les saisonniers. A Béjaïa, comme dans toutes les régions touristiques, les travailleurs saisonniers sont légion. Ils sont là aux abords des Routes nationales, dans les stations balnéaires et sur les plages. Des jeunes et moins jeunes, chômeurs, désoeuvrés, lycéens et étudiants, des célibataires ou des pères de familles s'inventent des métiers, le temps d'une saison. Avec un faible apport financier, un abri de fortune et un petit coup de pouce du maire du coin, le tour est vite joué pour deux à trois mois de travail. Les emplois saisonniers sont légion en basse Kabylie. Les saisonniers vendent un peu de tout; des fruits et légumes sur les routes, des cacahuètes, cigarettes, friandises, biscuits, beignets maison, m'hadjeb, café, thé, crèmes glacées, colliers de coquillages sur les plages, tout y est pour le plaisir des baigneurs et des touristes en général. Les saisonniers viennent même du Sud. Du matin au soir, ils parcourent les plages, servant du thé et mettant un chameau à la disposition des familles pour des photos souvenir. Les saisonniers locaux se spécialisent plutôt dans les locations de parasols ou de cabines de toile ou dans le gardiennage de parkings improvisés. Autant les premiers sont reconnaissables à leurs tenues traditionnelles et leurs spécialités, autant les seconds le sont par les tickets en main et leur façon de vous guider au stationnement ou encore de vous proposer des équipements de plage. Ils ont un seul souci en tête, celui d'empocher le sou. Peu importe la manière, il faut faire le plein et lorsque le client hésite, on lève la voix. On se fait menaçant. La loi du plus fort prend le dessus. Jeudi, 7 août Il est 14 heures. La plage de Boulimat est pleine à craquer. Très peu d'espace entre les parasols. De loin, on distingue facilement une silhouette en bleu se frayant le chemin. Peu à peu on entend ses appels. «Latheie! Latheie!». La théière à la main, il vend du thé. «Je m'appelle Hassen», dit-il. Chaque été il fait de la plage de Boulimat son lieu de prédilection. Lui et ses camarades sont venus de Ghardaïa. Ils sont là depuis le mois de mai avec une khaïma, deux chameaux, des théières et du thé. Chacun a son rôle dans le groupe. Hassan s'est spécialisé dans la vente du thé. Il a l'art et la manière. «Je parcours cette plage jusqu'à trente fois par jour et à chaque fois je vends un ou deux thés.» A la question de savoir s'il s'en sort bien: «Dieu merci», répond- il avant d'ajouter: «Je me fatigue certes mais ce n'est pas pour rien.» Hassan et ses amis connaissent bien les plages de la côte ouest de Béjaïa. Ils sont à leur huitième année. L'été est leur saison préférée. Et pour cause! Ils joignent l'utile à l'agréable. «La journée, nous travaillons et le soir nous profitons de tout ce qui se fait ici», soutient-il. Hassan et ses camarades participent à l'ambiance de la côte ouest que nous quittons en direction de l'est. Tichy, Aokas, Souk El Tenine et Baccaro, autant de stations fortement fréquentées en cette période et donc autant d'occasions pour s'assurer une activité rentable. Les jeunes de ces localités ne se soucient pas des vacances. Leur préoccupation est d'assurer une saison avec des gains. Gagner le maximum d'argent voilà l'objectif qu'on se fixe dès l'ouverture de la saison estivale. A l'entrée des plages, des jeunes vous accueillent, un large sourire aux lèvres. Normal! Vous êtes parmi les estivants et touristes à la recherche d'un endroit pour stationner, un parasol, un appartement à louer. Donc un potentiel payeur. Lyes est de ceux-là. Il se poste généralement à l'entrée des bungalows de Baccaro. C'est là qu'il «possède» des appartements à louer. Aidé par d'autres jeunes qu'il paye à la commission, ils constituent ensemble ce qu'on peut aisément appeler les débrouillards. Karim, quatorze ans est assis sur sa chaise sous un parasol et derrière une table constituant son commerce. «Je suis un collégien. Chaque été je me poste ici pour vendre des cigarettes et autres friandises mais aussi pour guetter les touristes qui cherchent à louer des appartements», dit-il, donnant davantage de précisions sur sa méthode de travail. «Je n'attends jamais qu'on vienne me demander des renseignements. Je repère l'étranger et je m'approche de lui.» C'est comme cela que Karim a permis à Lyès de louer plusieurs bungalows durant le mois de juillet. Tout près de lui, un autre garçon invite les automobilistes à se garer. Entre deux stationnements, il indique que son travail nécessite une grande attention. «J'ai un espace qu'il faut rentabiliser au maximum», explique-t-il. Il faut entendre par là garer le maximum de voitures, les surveiller. Tout un boulot qu'il partage avec un autre gosse, un ami et voisin à lui, qui le remplace en début d'après midi. «Avec l'argent que nous gagnions, nous nous assurons une rentrée scolaire confortable et nous soulageons beaucoup nos parents», précise notre gardien de parking, comme pour se justifier. Sur les plages, le travail consiste à louer des embarcations, des parasols et des cabines de toile. Parfois, ils occupent tout l'espace de la plage avec leur matériel. Cela n'est pas sans provoquer le courroux des baigneurs locaux qui ne trouvent, par conséquent, pas d'endroit ou s'installer. Ces conflits naissent souvent de cette situation qu'il convient de réglementer. Une affaire relevant des autorités locales qui délivrent à tort ou à raison des autorisations d'exercer sans se soucier de leur efficacité. Les gardiens de parking, des carrés de terre plein, délimités par des cordes, prolifèrent au niveau de toutes les plages. Rien qu'à leur vue, on éprouve une gêne pour ne pas dire la peur. Munis de gourdins, ils se montrent d'emblée menaçants, une manière de dissuader les automobilistes de partir sans payer ou en rechignant. Une situation désolante à bien des égards et ce n'est, évidemment pas de cette façon qu'on va développer notre tourisme. Samedi, 9 août Brise de mer. Il est 22h. Le site grouille de monde. La circulation automobile est dense. Les terrasses des cafétérias et restaurants affichent «complet». Le vent est frais. On est bien à la Brise de mer! Des familles en profitent pour parcourir le môle de plaisance, de bout en bout. Pas loin de cette ambiance estivale où tout le monde profite au maximum, Karim fait de la plonge. «Je ne suis là que pour la saison estivale», dit-il comme pour nous expliquer sa situation de précarité. Une précarité qui touche des milliers de jeunes comme lui, contraints par la force de travailler avec des horaires impossibles. Hamid, la trentaine entamée, s'initie au métier de saisonnier dans un complexe touristique de la côte est de Béjaïa. «J'ai perdu mon emploi le mois de février dernier et ce n'est qu'au mois de juillet que j'ai déniché celui-ci», a-t-il indiqué. Devant son patron, tout allait bien pour lui. Il est hébergé et nourri mais ne donne, par contre, aucun détail sur son salaire. C'est une fois que le patron s'est retiré que sa langue se délie enfin pour nous faire part de ses péripéties. Nourriture sans viande, lieu d'hébergement insalubre et salaire dérisoire. Hamid ne compte pas rester ici. «Ce n'est qu'un emploi provisoire», rassure-t-il. Des promesses ont été faites à ce comptable de formation pour être réembauché. Mais en attendant des jours meilleurs, il bosse et accepte tout, sans rechigner. Les saisonniers sont rarement déclarés, nous a-t-on confié.Durant tout ce reportage nous n'en avons pas rencontré un seul qui nous a confirmé être déclaré aux organismes de sécurité sociale. Ils travaillent à leur risque et péril. On raconte même que certains patrons refusent de donner la totalité des dûs pécuniaires aux travailleurs sous prétexte que la saison n'a pas été rentable. Autant de dépassements qui ne font pas réagir les responsables concernés par cet aspect de la réglementation sociale, qui sont vraisemblablement en vacances. Pour les saisonniers qui travaillent à leur compte, outre l'absence de couverture sociale, l'exercice de toutes activités comporte des risques aussi bien pour les estivants que pour eux-mêmes. La faille réglementaire conduit souvent à des conflits parfois sanglants. Autant il est légitime de travailler pour assurer sa vie, autant il est nécessaire de le faire dans le cadre de la loi. Une loi qui reste du ressort des pouvoirs publics. Ces derniers se doivent de réglementer la situation du travail saisonnier. Il y va de l'intérêt des saisonniers, des touristes et des collectivités locales.