Un rapport rédigé bien avant les attaques du 11 septembre 2001, affirmait de manière prémonitoire «qu'il sera difficile de capturer Ben Laden sans la complicité d'autres nations». La National Security Archive a rendu publics des documents déclassifiés. On y apprend comment les USA voyaient le chef d'Al Qaîda à la fin des années 1990. L'administration Clinton a peut-être sous-estimé la menace, malgré les analyses. Pour la majorité de la population de cette planète, le nom d'Oussama Ben Laden ne disait rien, avant que deux avions ne viennent se fracasser sur les tours jumelles du WTC à New York, le 11 septembre 2001. Pas pour le gouvernement américain qui, dès les années 1990, disposait de renseignements assez précis sur le terroriste saoudien et ses liens avec les talibans. La National Security Archive, une organisation basée à Washington, a diffusé il y a quelques jours, d'intéressants documents déclassifiés sur cette période critique qui a précédé les attentats de New York et de Washington. Il y a dix ans, le 20 août 1998, les Etats-Unis avaient lancé des missiles sur les camps d'entraînement d'Al Qaîda en Afghanistan, pour riposter aux attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. Ce fut l'une des rares actions entreprises par l'administration Clinton pour combattre la menace grandissante que constituait Ben Laden. Aurait-il fallu faire plus? Choisir la manière forte plutôt que les tractations avec les talibans? Beaucoup le pensent après coup. Le 21 août 1998, une dépêche de l'ambassade américaine à Islamabad, aujourd'hui rendue publique, indique que la réaction aux tirs américains était, en Afghanistan, assez prévisible: les talibans étaient en colère, la population ne manifestait pas contre les Américains et un certain Hamid Karzaï, alors réfugié à Quetta (Pakistan), informait que Washington avait le soutien des Afghans qui ne voulaient pas de Ben Laden sur le sol afghan. Karzaï, aujourd'hui président du pays, affirmait aux Américains «qu'il avait parlé avec un certain nombre d'officiels talibans qui exprimaient leur mécontentement de voir le mollah Omar amener les Etats-Unis contre l'Afghanistan». La réaction du chef des talibans était tout autre: «Nous n'allons jamais livrer Ben Laden à quiconque. Nous allons le protéger avec notre sang à tout prix», avait lancé, furieux, le mollah Omar. La relation entre les deux hommes était forte, basée sur la confiance, l'hospitalité pachtoune, mais aussi sur l'ascendant panislamique qu'imposait Ben Laden au mollah afghan, d'inspiration Deobandi.«Je crois que Ben Laden a été capable d'entrer dans les bonnes grâces d'Omar, qui est peu éduqué et incertain dans les affaires étrangères», susurre aux Américains un homme d'affaires afghan qui se rend souvent à Kandahar. Mais le document le plus intéressant, publié mercredi, fait 400 pages. Il est signé en 1999 par Gary Richter, de Sandia National Laboratories. Il dresse un portrait très précis de Ben Laden et de son réseau. Ben Laden y est décrit comme «un homme à l'ego surdéveloppé, charismatique, habile avec les médias et capable de nouer des alliances avec les politiques». Déjà à cette époque, on décrivait le Saoudien «plus comme un sponsor du terrorisme que comme un terroriste lui-même». «Son vrai génie est sa capacité à puiser dans le réservoir sans fond de mécontentement ethnique et religieux et de le diriger vers les Etats-Unis», écrit Richter. L'homme, poursuit-il, n'est pas un micromanager. Il délègue et sert de caisse de résonance à des actions menées par d'autres. L'auteur du rapport fait deux prédictions. D'une part, que la menace ne risque pas de s'éteindre avec la mort de Ben Laden. D'autre part, qu'il sera difficile de capturer Ben Laden «sans la complicité d'autres nations». Le rapport Sandia était bien prémonitoire. Et Ben Laden court toujours.