Les révélations et les découvertes qu'apporte Eric Laurent sont édifiantes et montrent surtout comment une manipulation médiatique à l'échelle mondiale peut fonctionner et entraîner dans son sillage bien des certitudes. La Face cachée du 11 septembre a eu le mérite de lever certaines interrogations devant certains faits apparus avant et après les attentats. La longue investigation de l'auteur pendant dix mois s'est efforcée d'apporter des explications à certains événements ou du moins d'en souligner « la pertinence ». Il est vrai, cependant, qu'avant Eric Laurent, quelques journalistes ou politologues avaient souligné certaines « coïncidences » ou événements troublants. Il en est ainsi de l'énigme Oussama Ben Laden dont la cavale depuis le bombardement de Tora Bora en Afghanistan n'a jusqu'à présent pas pris fin et dont la tête a pourtant été mise à prix pour une somme de 25 millions de dollars par les Américains ! Eric Laurent n'a pas eu pour autant les coudées franches dans son long travail d'investigation. Il avoue dans la préface qu'il a été « confronté à une véritable loi du silence qu'il a fallu contourner ». Parmi ses interlocuteurs, certains se sont dérobés aux questions embarrassantes par peur ou par gêne. Mais cela semble s'être prolongé bien après la parution, en octobre dernier, de La Face cachée du 11 septembre. Très peu de comptes rendus dans la presse, l'auteur n'a pas eu droit aux faveurs de colonnes des quotidiens français. Pourtant, Eric Laurent n'est pas un inconnu. Grand reporter, ancien journaliste spécialiste des questions internationales, il est l'auteur, outre les deux ouvrages sur les Bush parus en 2003, de Guerre du Golfe avec la collaboration de Pierre Salinger publié en 1990. Un film tiré des deux livres sur les deux présidents américains père et fils et intitulé Le Monde selon Bush a connu un grand succès au cinéma et à la télévision. L'enquête d'Eric Laurent commence en Afghanistan d'où Oussama Ben Laden aurait revendiqué en quelque sorte la paternité des attentats du 11 septembre, à travers une cassette vidéo retrouvée, selon les Américains, en Afghanistan, plus exactement à Jalalabad, à la fin du mois de novembre. Une vidéo qui a suscité une véritable polémique sur son origine. Le ministère de la Défense américain ayant d'abord affirmé qu'elle a été trouvée dans une maison abandonnée, pour ensuite affirmer qu'elle a été transmise au Pentagone par un individu ou par un groupe. Sur les lieux où Ben Laden avait été signalé et repéré par les Américains, c'est-à-dire les monts de Tora Bora et où le Pentagone prétendait avoir localisé une base souterraine avec des salles pouvant contenir des centaines de personnes, un armement massif, un système d'aération ultrasophistiqué, l'auteur avoue n'avoir trouvé que quelques grottes minuscules creusées au flanc de la montagne et puant l'urine. Il a rencontré les combattants afghans qui ont participé à l'assaut du dernier bastion taliban et de Ben Laden qui lui ont montré « hilares » ce qui restait du centre névralgique du terrorisme d'Al Qaîda d'où auraient été dirigées, selon le Pentagone, les attaques du 11 septembre. Ainsi fut mis fin à un scénario à la James Bond repris par les médias dont certains journaux qui ont reproduit même des schémas de la base d'Al Qaîda en question. L'auteur s'interroge comment l'ennemi public des Etats-Unis et dont la tête a été mise à prix à 25 millions de dollars a pu s'enfuir alors que les avions américains tournoyaient au-dessus de Tora Bora. Pourquoi, durant toute cette opération, la frontière avec le Pakistan est-elle restée ouverte ? Il apporte un élément de réponse en reprenant les propos du général Myers, chef d'état-major de l'armée américaine, qui a affirmé, le 5 avril 2002, en présence de Donald Rumsfeld que « l'objectif n'a jamais été de capturer Ben Laden. » Des propos qu'il s'est empressé de démentir quelque temps après. Eric Laurent ne manque pas de relever la précarité de ces lieux dans les confins de l'Afghanistan et où il est difficile d'admettre que le chef d'Al Qaîda et le mollah Omar ont pu suivre en temps réel ou même avec un léger décalage, le déroulement d'événements tels que les attentats du 11 septembre. Plus grave encore, il apprendra de la bouche d'un responsable du FBI, que, depuis le 11 septembre, John Aschcroft, qui fut ministre de la Justice jusqu'à sa démission la semaine dernière, n'a jamais donné d'ordre pour qu'on délivre un avis de recherche contre Ben Laden. Pourquoi, s'interroge Eric Laurent, l'homme le plus recherché de la planète ne figure sur aucun avis de recherche aussi bien de la CIA que du FBI ? Spéculations boursières Mais avant cela, il ne manque pas de relever des faits inexpliqués et étranges, comme par exemple les troublantes spéculations financières qui ont précédé la tragédie du 11 septembre et qui ont particulièrement touché les deux compagnies aériennes United Airlines et American Airlines auxquelles appartenaient les avions détournés par les pirates de l'air et lancés contre les tours du World Trade Center et le Pentagone. Ces opérations d'achat et de revente des actions cotées en Bourse des deux compagnies aériennes choisies par les pirates de l'air et pas celles des autres ont permis à certains spéculateurs d'empocher, en quelques jours, pas moins de 4 millions de dollars. On a juste après parlé de délit d'initiés et avancé l'idée que ces transactions auraient sans doute permis aux commanditaires des attentats, à savoir Al Qaîda, de financer en quelque sorte les attentats. Deux ans plus tard, les autorités américaines ont démenti affirmant qu'il n'existait aucune preuve attestant qu'il y aurait un lien entre les attentats ce qui s'est passait à la Bourse de New York lors de ce mardi noir. Le Wall Street Journal avait lui aussi révélé le même type d'opération sur les bons du Trésor américain, la transaction aurait porté sur la bagatelle de 5 milliards de dollars ! Là aussi, l'auteur interroge les spécialistes et les observateurs avertis des marchés financiers pour savoir si les services de renseignements qui surveillent les marchés, faut-il le préciser, comme « le lait sur le feu » ne pouvaient pas ne pas remarquer de telles spéculations inhabituelles et étranges. Quant aux enquêtes menées dans ce sens par la Security and Exchange Commission (SEC), l'organe de surveillance des opérations en Bourse, elles n'ont pas abouti. Tous les responsables, rapporte l'auteur, ont démissionné pour se retrouver à la tête d'entreprises ou de cabinets d'affaires et dans de meilleures situations !!! C'est ce qui lui fait dire que c'est la plus grande arnaque mondiale. Les 300 pages de La Face cachée du 11 septembre regorgent d'énigmes de ce genre jusqu'à l'identité des 19 supposés pirates de l'air dont la nationalité laisse pour l'instant des doutes, des questions auxquelles la commission indépendante d'enquête sur les attentats, dont le rapport a été rendu public l'été dernier, n'apporte pas toutes les réponses. En effet, il s'est avéré que 5 parmi les auteurs des détournements d'avion auraient usurpé de faux passeports. Autre « découverte » d'Eric Laurent, il se trouve que le président de la commission en question, un certain Thomas Kean, était lié avec les milieux pétroliers et les sociétés qui ont opéré, entre autres, en Arabie Saoudite et dans lesquels certains membres de la famille royale ont des intérêts, comme c'est le cas du prince Abdellah. Toujours dans la même veine, l'auteur ne manque pas de s'interroger sur le rôle de la famille royale saoudienne dans cette tragédie. Il a, en effet, découvert que certains pirates de l'air se seraient entraînés dans des bases militaires aux Etats-Unis. Là aussi, les réponses du Pentagone sont restées évasives. Comment et pourquoi, s'interroge l'auteur, alors qu'à la suite des attentats du 11 septembre, l'espace aérien américain a été fermé à la navigation, plusieurs jets ont survolé le territoire américain avec, à leur bord, des membres de la famille royale saoudienne et ceux de la famille Ben Laden qui furent ainsi « exfiltrés » des USA en toute sécurité. Parmi les trois princes embarqués avec les 140 autres membres de la famille royale, figurait le neveu du roi Fahd. Les trois princes évacués des Etats-Unis après le 11 septembre connaîtront tous une mort étrange à quelques mois d'intervalle chacun. L'autre « énigme » tient au rôle qu'auraient joué les services de renseignements israéliens qui, selon toute vraisemblance, soupçonnaient que des attaques contre les territoires américains se préparaient quelque part dans les milieux intégristes. Et quand on sait les liens presque naturels qui lient les services du Mossad à la CIA et aux autres services secrets américains, on peut légitimement se demander si le premier n'a pas informé les seconds et pourquoi ? D'autant, rappelle E. Laurent, que les Israéliens ne cessent pratiquement jamais d'espionner et d'écouter les Américains jusqu'à la Maison-Blanche qui est espionnée tous les jours par le Mossad. Et pour la petite anecdote, l'auteur rappelle que Bill Clinton aurait d'ailleurs fait part à Monika Lewinsky de ses craintes d'être « écouté » par une ambassade étrangère. Il aurait aussi fortement conseillé à la petite stagiaire de White House de répondre à la moindre allusion, quant à leur relation qu'ils se savaient tous deux écoutés par des étrangers et que leurs propos téléphoniques relevaient plus d'un jeu que d'autre chose... C'est ce qu'elle déclara d'ailleurs au cour de son audition par le juge Kenneth Starr. On retrouve aussi dans l'ouvrage la présence signalée et des plus inexpliquées d'agents du Mossad non loin des lieux où les futurs kamikazes du 11 septembre résidaient aux USA. D'autres énigmes méritent aussi d'être relevées, comme celle d'un certain Zoubaydh, présenté par les Américains comme un des adjoints du Dr El Zawahiri, le numéro 2 d'Al Qaîda, arrêté en Afghanistan par les Américains qui lui ont fait croire qu'il allait être remis aux Saoudiens. Des terroristes et des princes saoudiens La mise en scène a été si parfaite, qu'après des heures d'avion, il atterrit sur une base américaine pas loin de celle de Bagram et admis dans un hôpital habilement transformé en structure saoudienne, tant et si bien que rassuré le fameux Zoubaydh se laissa aller en confidences devant des officiers américains d'origine arabe qu'il avait pris pour des agents des renseignements du royaume. Rassuré, l'adjoint d'El Zawahiri leur communiqua les numéros de téléphone d'un prince saoudien, Ahmed Ben Salman Ben Abd El Aziz, qui se porterait garant de lui et qui était censé les convaincre de sa présence auprès des talibans. Il aurait également donné plusieurs noms de princes dont celui de l'ancien chef des services secrets saoudiens Turki Ben Fayçal. Il mentionna aux « faux officiers saoudiens » qui l'interrogeaient, le nom du responsable de l'armée de l'air pakistanaise le maréchal Mir. Tout comme il précisa que ce dernier était au courant que des attentats devaient avoir lieu le 11 septembre sur le sol américain et qu'il en informa ses amis princiers saoudiens. La aussi, aucun des rapports d'enquête américain n'a mentionné les suites faites aux « révélations » faites par Zoubaydh, non loin de la base de Bagram. L'omerta, la fameuse loi du silence, a encore bel et bien fonctionné. Eric Laurent développe une série de faits avérés attestant le rôle de l'ISI, le service pakistanais de renseignement dans le noyautage de la nébuleuse islamiste et le choc en retour qu'aurait provoqué Al Qaîda aussi bien au sein de l'ISI que dans les services des renseignements saoudiens. Ce ne sont que quelques faits ou indices repris de La Face cachée du 11 septembre parmi la multitude d'autres « énigmes » et questions soulevées par Eric Laurent tout au long des 300 pages de son enquête parue, en octobre dernier, aux éditions Plon, à un moment où la campagne électorale pour la présidentielle aux Etats-Unis amorçait un virage décisif et où le monde entier avait les yeux rivés sur le duel Kerry-Bush. La conclusion de l'auteur n'est pas moins éloquente, lorsqu'il avoue ne pas avoir pu lever totalement le voile sur le 11 septembre et qu'il n'a pu trouver toutes les réponses sur l'implication de l'Arabie Saoudite qui détient le quart des réserves mondiales de pétrole et officiellement alliée de longue date des USA, comme le Pakistan d'ailleurs. « Au fur et à mesure que j'avançais dans cette enquête, le parallèle avec un autre événement historique s'imposait : l'assassinat du président Kennedy », écrit l'auteur. Le premier fut un mystère entouré de mensonges, le 11 septembre un ensemble de mensonges entouré de mystères.