«Je crois qu'on ne fuit jamais sa douleur, du moins pas pour longtemps.» Arezki Hamdad, enseignant au département de français de l'université de Tizi Ouzou a surpris tout le monde suite à la publication de son premier roman intitulé ironiquement: L'année du Rat et du Destin. Non seulement parce que, même dans son entourage immédiat, personne ne savait qu'il s'adonnait à l'écriture mais surtout parce qu'il a écrit un très beau roman. Un livre qu'on ne referme qu'une fois terminé. Et encore... L'Expression: Comment est né le projet d'écrire un roman? Je dois vous dire qu'on ne s'improvise pas écrivain du jour au lendemain. Certes, il y a des prédispositions telles qu'«une sensibilité à fleur de peau» mais je crois qu'on n'écrit en définitive qu'à partir du moment où l'on a des choses à dire et surtout à partager avec ses lecteurs.Un roman n'est jamais un projet en soi mais plutôt quelque chose de vécu au quotidien. L'écrivain est pour ainsi dire un témoin de son époque. On peut donc devenir écrivain? De la même manière que l'on devient jardinier, boulanger ou professeur d'enseignement. Plus sérieusement encore, je dirais qu'une carrière d'écrivain se construit. Il y a d'abord et avant tout le préalable de la lecture. Il va sans dire qu'on ne peut écrire soi-même si on n'a pas lu des tonnes de livres. Un deuxième préalable est d'ordre technique: je veux parler de la maîtrise plus ou moins parfaite de la langue dans laquelle on écrit. Enfin, au risque de me répéter, on écrit lorsqu'on a des choses à dire, un message à transmettre, un rêve à construire avec les lecteurs. Vous avez écrit ce roman pour fuir une douleur profonde. Ce livre vous a, en quelque sorte, sauvé d'une dépression certaine. Je commence un des chapitres de mon roman par une belle citation de Lord Byron qui disait: le souvenir du bonheur n'est plus du bonheur, le souvenir de la douleur est douleur encore. Je crois qu'on ne fuit jamais sa douleur, du moins pas pour longtemps. Il me semble que c'est le lot commun des poètes, des écrivains et de tous les artistes en général, c'est une sorte de carburant dont nous avons besoin pour nos folies livresques. Si j'avais été heureux, moi personnellement, je n'aurais jamais écrit ce roman. C'est aussi pour cette raison d'ailleurs que j'ai dit en prologue «Je ne remercierai jamais assez mon personnage». Quant à la dépression, je vous ferai seulement cette remarque, c'est en étant en plein dedans que j'ai écrit l'essentiel de ce roman. On ne peut donc pas dire que j'ai écrit pour l'éviter. Une dernière chose pour terminer, je vous dirais que la névrose est aussi appelée «génie» par certains et si jamais vous connaissez un écrivain qui ne soit pas névrosé, présentez-le moi. L'écriture constitue, donc, pour vous, une forme de thérapie. Il y en a qui font du vélo, d'autres se tournent vers la prière. Quant à nous, les poètes, je crois bien que seuls les mots peuvent nous aider à combattre d'autres maux. Le vélo ne peut rien contre les monstres et, du reste, l'écriture a toujours été au centre de tout et donc forcément au centre de toutes les thérapies. J'ai remarqué que, lorsque j'écris, je réussis à faire le vide autour de moi. Seuls mes personnages sont en quelque sorte témoins de mes délires. Quels sont les créneaux horaires où vous êtes le mieux inspiré? D'abord, il faudrait savoir que l'inspiration n'est pas quelque chose qui vient et qui part, on l'a ou on ne l'a pas. Maintenant, il est vrai que chacun d'entre nous a une préférence pour un moment ou un autre de la journée. En ce qui me concerne, j'avoue écrire au milieu de la nuit, lorsque seuls les jappements des chacals me parviennent. Comme j'habite le plus beau village de Kabylie, je veux parler de Djemaâ Saharidj, il m'arrive souvent d'entendre également le ruissellement de l'eau d'une fontaine toute proche (tala mezziyene). Je crois bien que la nuit a toujours été le moment privilégié de tous les poètes. Votre roman a été salué aussi bien par la presse que par les lecteurs. Comment expliquez-vous ce succès? Je n'aime pas trop le mot «succès», je préfère dire que les lecteurs ont été agréablement surpris. Un de vos confrères a, d'ailleurs, très bien saisi la chose. Je crois que c'est précisément parce que l'édition s'est enlisée ces dernières années dans une médiocrité irréversible que lorsqu'on a enfin quelque chose qui sort du lot, forcément, ça plaît. Que pensez-vous de l'état du secteur de l'édition en Algérie? Malheureusement, rares sont les éditeurs dignes de ce nom. Savez-vous que la plupart de ces «marchands de livres» n'osent pas prendre de risques dès lors qu'il s'agit d'un nouvel auteur? Pire encore, très peu disposent de comités de lecture. Autant dire que publier un livre chez nous relève de la mission impossible. Les seuls éditeurs à avoir accepté de me publier ont voulu me faire supporter tous les frais d'impression. C'est de l'arnaque pure et simple. Voilà pourquoi j'ai préféré le faire à compte d'auteur. On m'a proposé de le publier gratuitement dans le cadre de «Alger capitale de la culture arabe 2007», chose que j'ai refusée catégoriquement. Ça aurait été tout simplement risible pour l'écrivain francophone et militant de la cause amazighe que je suis. Autre chose: je préfère garder ma liberté de ton, de mouvement et surtout de pensée. Avez-vous été contacté par des éditeurs étrangers? Les choses se passent différemment de l'autre côté de la Méditerranée. En France, et dans tout l'espace européen, nous avons affaire à des siècles de traditions en matière d'industrie du livre. Les éditeurs sont de véritables professionnels qui accompagnent les auteurs tout au long du processus de production de leurs livres (maquette, mise en page, correction, impression...) Pour revenir à votre information, oui, j'ai été contacté par trois maisons d'édition et pour ne rien vous cacher, je compte confier la publication de mon premier roman ainsi que l'exclusivité de mon second à une maison d'édition installée au Canada. Justement, parlez-nous un peu de votre deuxième roman. «Le serment d'hypocrite» est un coup de gueule d'un jeune villageois qui découvre que tout son univers est finalement faux; un peu comme s'il baignait dans un monde virtuel. Une plongée sociologique dans laquelle un personnage atypique raconte toutes ses déceptions à commencer par les relations biaisées qu'il entretient avec les siens, déception sur le plan social, professionnel, affectif...Encore une fois, un jeune cadre trahi par sa dulcinée pour des considérations bassement matérielles. Mes amis de la presse m'ont pourtant conseillé de sortir un peu de l'écriture à l'eau de rose mais je crois bien que je vais devoir les décevoir (rires). Je crois que l'amour, le vrai, est au centre de tout et c'est pour cela que je compte bien briser un certain nombre de tabous. Vous savez, c'est au milieu de la trahison amoureuse que l'homme que je suis devenu est né, alors, comme disait l'immense Paulo Coelho: «C'est ma nature et je ne peux rien changer car sans doute trop habitué à moi-même» Au passage, je salue le talent fulgurant de ce géant de la littérature qui a été mon véritable médecin de l'âme. N'oubliez pas aussi que j'ai promis dans L'année du Rat... de vous raconter l'histoire d'une brebis qui part trouver une coiffeuse pour espérer trouver chaussure à son pied. Une histoire de fous, quoi. Un dernier mot? Je voudrais parler du village qui m'a vu naître, l'antique «Bida Municipium» aujourd'hui Djemaâ Saharidj. Ce n'est pas pour faire dans le micro régionalisme mais je crois bien que mon village est un cadeau du ciel où les hommes, les bois, les fontaines et les montagnes vivent en harmonie. Je salue l'extrême générosité de notre jeunesse qui ne veut faire exploser qu'une seule chose, son immense talent sur tous les plans.