La pratique théâtrale africaine est relativement récente et, malgré une formidable créativité, reste bien limitée. Le fait de ne pas considérer les formes artistiques africaines comme n'obéissant pas sérieusement aux normes du théâtre, même si elles comportent quelques éléments de théâtralité, ne constitue nullement une péjoration ou un mépris. Bien au contraire, ces formes correspondent à la réalité des peuples de cette région qui, comme toutes les autres populations, possèdent leurs représentations artistiques propres. Les formes africaines obéissent à des normes et à des logiques discursives qui leur sont particulières. Le griot, par exemple, est à la fois acteur, metteur en scène, décorateur et auteur. Il est porteur et producteur d'une parole qui donne à l'espace une certaine réalité et met en branle toute une série de médiations sociales. La parole est donc un lieu de liberté et un univers marquant les différents échanges qui s'opèrent dans la société. Le théâtre est, à notre avis, une discipline encore récente en Afrique noire. C'est la colonisation qui a imposé la découverte de l'art théâtral, contribuant ainsi à la marginalisation des formes populaires. C'est grâce aux écoles de Bingerville (Côte d'Ivoire) et de William Ponty (Sénégal) que les Africains ont commencé à faire du théâtre. Les missionnaires ont également fait connaître cet art en mettant en scène des pièces à caractère religieux et didactique. L'objectif de ces missions était d'assurer un enseignement biblique et de soutenir la présence coloniale. Un homme, Charles Béart, directeur de l'Ecole normale supérieure de Bingerville en Côte d'Ivoire en 1931 et de l'établissement William Ponty (au Sénégal) en 1934, a permis l'introduction de l'art dramatique dans les programmes scolaires. Ce furent les Dahoméens (aujourd'hui Béninois) qui montèrent la première pièce africaine. Elle était intitulée, La dernière entrevue du roi Béhanzin et de l'explorateur Bayol. Cette troupe présenta d'ailleurs une de ses productions à la comédie des Champs-Elysées à Paris en 1937, Sokamé et les Ivoiriens mirent en scène un texte intitulé Les prétendants rivaux.Ce type de spectacles était soutenu par les autorités coloniales qui veillaient au grain, censurant toute parole subversive. On tentait de mettre en situation les formes dites traditionnelles et la structure européenne de représentation, mais la forme dramatique « traditionnelle » perdait ainsi son essence et se transformait en simple lieu d'illustration ajoutant peut-être à la représentation « moderne » une dimension folklorique. L'école William Ponty a soutenu l'éclosion d'un groupe de futurs animateurs du mouvement théâtral africain. Bernard Dadié, Amon d'Aby, Coffi Gadeau, Keita Fodéba et bien d'autres auteurs et metteurs en scène, formés par Charles Béart, ont marqué de leur empreinte l'art scénique et ont donné le ton à la pratique dramatique qu'ils ont grandement orientée sur les plans thématique et esthétique, du moins durant une assez longue période. C'est vrai qu'après les indépendances, de jeunes dramaturges et metteurs en scène, nourris des nouvelles techniques de représentation et influencés par les nouveaux courants dramatiques de l'époque représentés par Brecht, Piscator, Beckett, Artaud, Craig… ont apporté une dimension sociale et politique à la représentation dramatique et ont essayé de nouvelles méthodes de mise en scène. Avant cette période, on ne pouvait nullement parler de mise en scène puisqu'on ne se souciait que de la mise en place des comédiens. Les indépendances acquises, certains Etats africains ont tenté de prendre en charge l'activité théâtrale. Ils ont construit des salles, formé des comédiens et des metteurs en scène. Au Mali par exemple, dans le cadre des semaines de la jeunesse, l'Etat prenait en charge l'élaboration de compétitions théâtrales à tous les niveaux : quartier, village, ville. Puis, des troupes « indépendantes » ont vu le jour grâce à des animateurs de renom qui ont permis l'existence de ces structures quelque peu singulières. Tchikaya U Tamsi et Sony Labou Tansi, écrivains de renom, ont créé leurs propres troupes. De nombreuses formations d'amateurs ont vu le jour un peu partout dans les pays africains. Le théâtre en Afrique subsaharienne allait, après les indépendances, commencer à traiter de sujets politiques et sociaux. On peut délimiter quatre grands thèmes : la critique de certains éléments de la vie « traditionnelle » , la contestation du système colonial, la critique de certains travers de la société et désenchantement après les indépendances, la remise en question du pouvoir politique considéré comme responsable de tous les maux. L'Afrique noire, mal partie, selon l'expression de René Dumont, allait être l'objet de nombreuses pièces d'auteurs résidant essentiellement en Europe. L'Histoire et la politique constituent les sujets de choix des dramaturges qui tentent une plongée dans le passé pour dénoncer un présent décevant. Mais, pour autant, les sujets sociaux et moraux ne sont pas négligés. Les dramaturges en exil dénoncent les bourgeoisies arrivistes et mettent en scène des problèmes sociopolitiques. L'Ivoirien Charles Nokan, par exemple, dans Les malheurs de Tchakô et La traversée de la nuit dense tente de démonter les mécanismes du fonctionnement des structures sociales et politiques. Ce type de thématiques est aussi perceptible dans le roman et le cinéma. D'ailleurs, la plupart des textes sont édités à l'étranger alors que les films sont souvent produits par des Européens. Alexandre Kum'a N'dumbe III (Le soleil de l'aurore, Amilcal Cabral, Lisa, la putain de… , Kafra Biatanga ,etc.) évoque lui aussi les problèmes postindépendances. Ce discours du désenchantement et de la désillusion traverse une grande partie des œuvres. Les romans de Kourouma, Ouologuem, Tierno Monenembo, Sony Labou Tansi, Mongo Béti, Fantouré et d'autres écrivains mettent en situation des personnages désabusés et gagnés par l'amertume. La corruption, le pouvoir absolu, le charlatanisme, le clientélisme constituent les éléments-clés de la situation postcoloniale. Les cinéastes comme Souleymane Cissé, Sembène Ousmane, Oumarou Ganda, Ouedraogo posent les mêmes problèmes. Le soleil de l'aurore d'Alexandre Kum'a N'dumbé III et Le président de Maxime N''débéka présentent un président de la République, cruel, dictateur qui refuse de partager son pouvoir. La lecture de nombreuses pièces africaines nous permet de comprendre qu'elles mettent souvent en question le pouvoir d'un homme sur tous. Ce personnage, chargé de plusieurs qualifications négatives, représente l'Etat dans ce continent toujours marqué par une absence de liberté d'expression et de parole. A côté de pièces se revendiquant du théâtre dit politique, existent d'autres textes orienté vers le social. C'est le cas des œuvres de Bernard Dadié qui privilégie la problématique sociale sans rejeter totalement les questions politiques. Monsieur Thôgô Gnini est une très subtile critique des pouvoirs absolus en Afrique. Mais en Afrique, comme d'ailleurs dans d'autres régions anciennement colonisées, la question linguistique traverse tous les débats et sous-tend même les choix esthétiques. Ecrire des pièces implique la rencontre avec un public qui, souvent, ne maîtrise pas la langue française utilisée par la plupart des hommes de théâtre qui, dans de nombreux cas, préfèrent l'exil dans les pays européens à une vie morose, sans éclat dans leurs pays marqués par une absence manifeste de liberté. Il faut ajouter à tout cela l'existence d'un millier de langues parlées mais souvent ne disposant pas de tradition textuelle ni même d'écriture. Ainsi, écrire en français, c'est exclure le public populaire auquel on veut, en principe, s'adresser. Les intentions des auteurs qui aspirent à un théâtre populaire sont vite contredites par la réalité. Le peuple ne fréquente pas le théâtre. Il préfère de loin les formes populaires. Ainsi, le griot, le mvet ou le kotéba, espaces populaires utilisant les lieux linguistiques et esthétiques de la cité, séduisent encore, même si leur diffusion rétrécit dramatiquement. Ils réussissent à drainer un certain nombre de personnes, d'autant plus que le lieu où se déroulent les spectacles est ouvert, ce qui facilite la communication et la proximité qui convoque un spectateur qui n'hésite pas à participer à l'action. Le problème linguistique demeure posé. Des tentatives d'écriture en langues locales n'ont pas connu le succès attendu. Le théâtre dans ces pays rencontre surtout de sérieux problèmes matériels : manque de salles, aides presque inexistantes des pouvoirs publics, absence de formation et de recyclage. Les conditions d'ancrage de cette discipline restent très aléatoires et marquées par une sorte d'anomie qui maintient l'art théâtral dans une sorte d'asphyxie provoquée par le manque flagrant de moyens matériels et financiers. Les formes populaires deviennent des espaces d'illustration, des « instantanés » folkloriques et des marques locales d'identification. Nous avons affaire à un simulacre formel, à un masque. Aucun pays africain ne possède de centre de documentation spécialisé. Paradoxalement, c'est en France que se trouvent les grands espaces s'intéressant à la culture de ce continent. Même les textes les plus sérieux sont édités en France (Présence africaine, P.J. Oswald, Actes sud, Le Seuil…). On ne peut être reconnu dans son pays que si on est édité à Paris, à Londres ou à Bruxelles. Une fois consacré, le dramaturge peut rentrer sans trop de risque. Mais parfois, la réputation et la consécration internationale ne semblent pas décourager les pressions et la persécution. C'est le cas de l'écrivain nigérian Wole Soyinka qui a été condamné à mort par le pouvoir en place. Les années 1990-2000 ont certes connu un certain regain d'activité, mais les choses restent encore très limitées. Malgré toutes ces failles, les troupes se multiplient et les metteurs en scène tentent des expériences originales associant danse et théâtre et traitant de thèmes nouveaux. C'est le cas du Guinéen Siba Fassou qui a magistralement mis en scène une pièce au titre ouvert : ça peut arriver. Au Mali et en Guinée, des metteurs en scène talentueux comme Habib Dembele du Guimbana National du Mali et Siba Fasou, comme d'ailleurs Perkys Mbainoudjim de l'Atelier théâtral de Centrafrique n'ont pas peur de tenter des aventures risquées en faisant cohabiter formes populaires, danses et images plastiques. La parole est souvent clandestine, ce qui pose le problème du rôle et de la fonction sociale de l'art théâtral en Afrique. Que peut un texte dramatique s'il n'est pas diffusé dans le pays qui lui sert d'espace thématique ? Quel est l'impact réel d'une pièce jouée en français dans des sociétés à majorité analphabète ? Les intentions de l'auteur ne sont-elles pas contredites par les dures réalités ?