Scène n Lahadate Masrah (Instants de théâtre), une production du Théâtre régional de Guelma, a été présentée, hier, au Théâtre national. La pièce est à la fois adaptée du roman de Jean-Jacques Roumain Le Gouverneur de la Rosée, et mise en scène par Haïdar Ben Hocine. L'originalité de la pièce réside dans le fait qu'elle ne raconte pas la même histoire que celle décrite par Jean-Jacques Roumain dans son roman. Dans le livre, il est question d'un vieux couple de Haïtiens qui, depuis 15 ans, attend le retour de son fils Manuel, parti chercher du travail à Cuba. A son retour, celui-ci découvre son village divisé par d'anciennes querelles et une terre aride et désolée. Avec courage et obstination, il part à la recherche d'une source ; il finit par trouver l'eau et tente alors de réconcilier les deux clans rivaux. Or, la version de Haïdar Ben Hocine met en scène les moments de gens de théâtre : des comédiens qui répètent leur rôle. Ils disent leurs textes, récitent des dialogues parfois sans fin. Ils préparent la pièce devant être présentée au public. Une musique tantôt endiablée tantôt sage et fluide marque la gestuelle de chacun des comédiens, ponctue leur jeu et rend compte de l'ambiance qui y règne. La pièce se déroulant dans une mise en scène presque sombre où plusieurs tableaux sont expressément privés de lumière, a été jouée dans un langage aéré, simple et dont l'accès au contenu sémantique est aisé. En outre, elle a été dite dans un langage cru, direct et chargé d'images et de clins d'œil : confusion, angoisse, crainte, sentiments permanents ressentis par des artistes d'être incompris de leur public, des instants continuellement vécus par les comédiens avant la représentation. La pièce raconte une vie et des impressions. Tous les états d'âme d'un artiste sont convoqués pour tordre le cou à la réalité cynique du quotidien. Le metteur en scène a mis l'accent sur la psychologie des personnages, psychologie rendue perceptible grâce au jeu pertinent des comédiens qui ont tenu à jouer de manière à exprimer des émotions et des états d'âme, des sentiments intimes comme des moments vécus. Les comédiens se sont alors illustrés dans un jeu distingué et régulier : l'expression scénique était telle que l'interprétation s'est révélée accrocheuse. Le jeu, juste et ayant du caractère, illustrait une étonnante esthétique par laquelle apparaît l'essence même de la pièce. Le travail de Haïdar Ben Hocine est novateur, car, en réécrivant le texte, en l'adaptant autrement, selon une sensibilité nouvelle, a apporté du nouveau dans la pièce, c'est-à-dire une manière autre de faire du théâtre. Et cela pour ne pas tomber dans un travail identique et quadrilatère. Car le texte change d'une lecture à l'autre, d'un jeu à l'autre et d'une scène à l'autre. Et c'est au fil de ces changements que le travail de Haïdar Ben Hocine s'inscrit et prend tout son sens et sa portée dramaturgique. Par ce travail, le metteur en scène réorganise le texte, le décompose et le reconstruit, il y réfléchit, donc il réfléchit sur de nouvelles expériences. Ainsi, ce qui est intéressant dans la pièce, ce n'est pas le contenu, mais la forme qui en dit long sur la pièce et sa mise en espace.