A Bounoura, le cimetière dépourvu de toute pierre tombale ostentatoire, a miraculeusement échappé à l'onde dévastatrice. La nature, contrairement à l'homme, respecte les morts. Passé l'effet surprise, les plaies se refermant, les citoyens de Ghardaïa prennent conscience de l'importance et de la gravité des dernières inondations. Les doyens de la cité sont formels, depuis 1951 jamais pareille crue n'a été observée! Celle de 2008 est, de loin, plus meurtrière, estiment-ils. En outre, nombreux sont ceux qui tirent les leçons de ce drame tout en incriminant la responsabilité de l'homme. «Beaucoup de gens ont construit à la lisière de l'oued, au péril de leur vie. Pire, le béton et les dalles en ciment ont envahi le lit de la rivière, à telle enseigne que l'oued n'arrive plus à creuser la terre sur son passage, d'où le débordement spectaculaire!», finit-on par reconnaître. Dix jours après son naufrage, la ville du M'zab continue à se réveiller sur les bruits des sirènes des ambulances. La Protection civile est toujours à pied d'oeuvre, sur les principaux points de débordements où les dégâts sont encore visibles. Alors que de nombreux commerçants, le plus souvent non assurés contre les risques majeurs, font le décompte désolant de leurs pertes. A l'instar de M.Ramdane Slimane, propriétaire de la maison d'édition «Nouzhat El Albab», abasourdi par ce coup du sort, il déplore quelque 7 millions de dinars en livres et en matériel. Ce dernier lance un appel pressant aux autorités et au département de la culture comme pour exorciser sa déception. A l'instar de Ramdane Slimane, tous les commerçants de la place Mohamed-Lotfi sont désormais sinistrés à 100%. Et c'est la mort dans l'âme que ces derniers nettoient, grâce à des motopompes, leurs nombreux locaux. Du côté de Thniet El Makhzen, une intense animation règne. Dans ce quartier, une association consacre ses locaux, dès les premières heures du sinistre, à la collecte de sang au profit des nombreux blessés alors que l'unité de soins de proximité de la wilaya est opérationnelle jusque tard dans la nuit. La vallée inondée Les nombreux médecins mobilisés en cette conjoncture spéciale, s'attellent à juguler la menace, le spectre des épidémies et à traiter les pathologies des yeux et les différentes allergies observées en pareille circonstance. En fait, la récente découverte de cratère où sont ensevelis des carcasses d'animaux, alimente les pires craintes chez la population. Alors qu'au siège du Croissant-Rouge algérien (CRA) l'on continue à recenser les sinistrés et à dispatcher l'aide. L'importante affluence quotidienne que connaît le CRA dénote les besoins non encore complètement satisfaits, essentiellement dans les zones les plus enclavées, comme El Ghaba. Cette aide, et de l'avis même du wali de Ghardaïa, aura malheureusement été entachée, au début, du moins, de quelques irrégularités. La région se voit désormais appuyée par un apport de 4500 tonnes en matériel divers, parvenu des quatre coins du pays. Alors que le travail des équipes en charge du rétablissement de l'électricité et des lignes téléphoniques est rendu particulièrement ardu, du fait, notamment de l'envahissement des caves «dihlizes» qui sont légion dans les demeures de la région. Sur invitation du commandement militaire, la presse est encore une fois invitée à survoler, à bord d'un hélicoptère, la vallée du M'zab afin de mieux apprécier l'étendue des dommages. L'embarquement se fait à partir de l'aéroport de Ghardaïa. Le commandant des Scouts musulmans algériens (SMA), Noureddine Benbraham, les officiers Hakim Chikh et M'Barek Lakhal du secteur militaire de Ghardaïa, sont du voyage. Le premier responsable des SMA rappelle, à l'occasion, que les jeunes louveteaux, dont la réserve compte cinq mille volontaires, se relaient chaque semaine pour prêter main forte à la Protection civile. Le vol prend la direction Bounoura, dans le sens d'El Atteuf, via Dhaia Ben Dahoua. Une heure et demie durant, nous survolons la cité. Au-dessus de la vallée de M'tlili la terre est encore humide, preuve de l'importance des crues. Du ciel nous observons quelques écoliers quittant vers midi, leurs établissements. Tout un territoire sépare la commune d'El Atteuf de celle de M'tlili. Il est d'une aridité extrême. Seuls quelques sillons d'oueds creusent la roche à l'aspect basaltique. L'horizon, de part et d'autre, s'étale, nu, à perte de vue. El Atteuf apparaît enfin comme un joyau émergeant de la vallée. L'oued qui sépare, de part en part, ses oasis semble avoir sérieusement eu raison des cultures. En bas, des engins de la Protection civile sont à l'oeuvre. Ils tentent de restituer un semblant de vie aux commerces et aux maisons complètement inondés. Dans un décor d'apocalypse, des ponts totalement effondrés sont perceptibles, alors qu'une eau pérenne semble narguer les rescapés. Ici, toutes les maisons, en majorité construites sur les rives de la rivière, ont pris l'eau. Au moment où toute une forêt de palmiers est encore prisonnière des eaux. Même topo à Bounoura que nous découvrons d'en haut. L'eau, comme à Ghardaïa-ville, a débordé de son lit submergeant les routes et les arcades limitrophes qui abritent de nombreux commerces. A Bounoura, le cimetière dépourvu de toute pierre tombale ostentatoire, a miraculeusement échappé à l'onde dévastatrice. La nature, contrairement à l'homme, respecte les morts. Par endroits, des bulldozers s'acharnent contre la boue qu'ils évacuent des voies de communication traversant l'oued. Au-delà du centre-ville de Bounoura, des oasis féeriques abritent, néanmoins, des maisons à l'architecture typique et prodigieusement épargnée. Cependant, nombreuses sont les palmeraies envasées, presque ravagées. Des bassins servant à l'irrigation sont gorgés d'une eau verdoyante et contrastent avec un paysage lunaire. A Beriane, non loin de la RN1, une digue intacte donne l'impression d'avoir efficacement protégé la ville. A quelques encablures de là, une caserne de la Police a été récemment construite. El Guerara, distante de 150km du chef-lieu de wilaya, est une immense oasis. Elle reproduit fidèlement le style architectural de la ville ibadite. La vie reprend La vue en plongée que permet l'hélicoptère, fait apparaître quelques îlots inondés de la palmeraie. Toutefois, les dégâts sont nettement moindres. Une sorte de stade que nous survolons est totalement immergé et donne une idée sur l'importance de l'événement naturel que vient de connaître la vallée du M'zab. Finalement Ghardaïa, le centre-ville, vient en tête des localités malmenées par les torrents en furie, puisque atteinte à 50%. Elle est suivie par El Atteuf. A Ghardaïa, la vie reprend progressivement ses droits. Particulièrement après le rétablissement des réseaux électrique et téléphonique. La population qui fait preuve d'un courage exemplaire, panse ses blessures. Pourtant, des scènes poignantes comme le fait de trouver des photos de bébés ou de familles victimes sur les lieux de la catastrophe, ravive la douleur. Même si l'on garde sur des portables des vidéos de ce 1er octobre fatidique, où l'oued M'zab a exceptionnellement gonflé, l'on tente tant bien que mal de prendre ses distances par rapport à la tragédie. Mais c'est loin d'être une sinécure.