Le plan de la ville est simple: des murs d'enceinte, une place de marché, une seconde enceinte et des ruelles, parfois couvertes, qui montent vers la mosquée en haut de la ville. «Le voyage est une espèce de porte où l'on sort de la réalité comme pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble être un rêve.» Guy de Maupassant. Parce que toute la richesse d'un voyage se trouve, bien plus encore dans les pays traversés, dans les émotions ressenties. Parce qu'un voyage et d'autant plus beau qu'il est personnellement vécu. Parce que tant de livres regorgeant d'informations pratiques ne pourront jamais vous faire sentir ces battements de coeur que l'on ressent pour ces vastes horizons qui nous dépassent. Pour toutes ces raisons, nous vous conterons en détail ce récit de notre voyage au coeur du M'zab. Six touristes allemands ont choisi le Sahara algérien pour se plonger dans l'inconnu. Cette année, ce n'est pas seulement l'année de la réconciliation nationale, mais c'est aussi celle de la réconciliation touristique. «Je garderai de ce voyage une image de paix», nous disait Philippe qui n'avait pas visité notre pays depuis le fameux enlèvement des touristes dans le Sud. A peine a-t-on décollé de l'aéroport d'Alger et passé le patchwork des plaines de la Mitidja et des Hauts-Plateaux que le désert envahit l'espace jusqu'à l'horizon. Et là, surprise, ce n'est pas une vulgaire étendue plate et monotone comme le mot désert le suggère. Sept cités Brun, gris, doré, rosé ou presque rouge, c'est un paysage griffé d'une multitude d'oueds qui ont disparu au temps où la terre se contorsionnait et soulevait des massifs déchirés: une tache plus claire signale le sable, une plus foncée, presque noire, une oasis. Nous sommes à Ghardaïa, à 600 km au sud d'Alger, on découvre sept cités dont les plus anciennes sont presque millénaires. Leur architecture est si particulière qu'elle est devenue emblématique de l'architecture algérienne tout entière. Porte du désert, la vallée de l'oued Mzab déroule son chapelet de cités fortifiées en forme de pyramides entourées de palmeraies où l'on a inventé il y a plusieurs siècles le développement durable du système de gestion égalitaire de l'eau, si rare. Au sud et à l'ouest, le Gourara, le Touat et la Saoura ont vu s'édifier au-dessus de palmeraies des ksur comme ultime protection contre les «rezzou» et les souffles chargés de sable du Grand erg occidental. Mais ce qui nous a le plus enchanté, ce sont les couleurs. En effet, Ghardaïa est une palette de couleurs complémentaires: le vert de la palmeraie, le bleu vif du ciel, le bleu pastel de l'ensemble architectural presque cubiste de maisons étagées les unes au-dessus des autres comme autant d'alvéoles d'une ruche pyramidale qui prennent sous le soleil des reliefs étonnants. Le plan de la ville est simple: des murs d'enceinte, une place de marché, une seconde enceinte et des ruelles, parfois couvertes, qui montent vers la mosquée en haut de la ville. Les rues du bas de la ville sont suffisamment larges pour permettre aux chameaux bâtés de parvenir jusqu'à la place du marché qui, contrairement à la tradition musulmane, n'est pas le centre de la vie urbaine. Après la place du marché, les ruelles et impasses deviennent plus étroites et sinueuses mais restent toujours accessibles à un âne. Quant à l'intérieur des maisons, une douce harmonie y règne. La maison de Youcef, notre hôte, est desservie par une entrée en chicane qui ne laisse rien transparaître de son intérieur, elle est organisée autour d'une pièce principale dont le plafond est percé d'une large ouverture carrée. C'est dans ce patio que se trouve la famille. Dans un coin, une petite cheminée signale l'espace «cuisine». De chaque côté du patio, deux petites pièces, l'une pour les hommes et leurs hôtes de passage, l'autre pour les . Un escalier miniature mène au premier étage et à une terrasse qui donne de la lumière au patio. Les chambres distribuées autour de cette terrasse sont minuscules. On y dort mal en été mais les terrasses du toit par leur petite taille permettent d'y conserver une certaine douceur en hiver. En guise de meubles, des niches sont façonnées dans l'épaisseur des murs, seule une étagère peinte de fleurs faisant partie de la dot de la mariée et quelques ustensiles de cuisine apportent une note de couleur. En complément de la lumière naturelle filtrée par d'étroites meurtrières, les sources de lumière artificielle sont cachées dans les angles derrière de simples modelages de plâtre. Les fenêtres sont rares, tant pour dissimuler la vie du foyer que pour protéger des excès du climat. Dans la ville basse, récente, nous avons visité le Musée folklorique du Mzab inséré dans les remparts extérieurs. Là, est reconstituée une maison traditionnelle où souffle presque l'esprit d'invisibles habitants (meubles, objets usuels, tapis...). Sur les hauteurs, un grand bâtiment ocre clair domine la ville. L'hôtel Rostémide était une caserne désaffectée quand Fernand Pouillon a été chargé de la réhabiliter pour la transformer en «Grand hôtel». Devant la désaffection des touristes, il a été fermé en 1994, passant le relais au Djanoub. Nous avons sympathisé avec les gardiens pour qu'ils nous ouvrent les portes du musée, fermé depuis: la vue sur Ghardaïa permet de comprendre l'organisation urbaine du Mzab et l'écho des pas dans les immenses salles de réception à colonnades fait naître une douce nostalgie des jours fastes. Après le centre commercial marqué par les trois rues principales (rue Emir-Abdelkader, rue du 1er-Novembre et rue Taleb-Larbi), nous avons passé une porte ouverte dans l'axe de la rue Emir-Abdelkader et nous avons débouché sur la vaste place du marché bardée d'arcades. C'est sur cette place, en cours de rénovation, que se réunissaient autrefois les notables pour traiter les affaires de la cité (djemaâ), mais si les pierres sur lesquelles ils s'asseyaient ont aujourd'hui disparu tout comme l'aire de prière surélevée, le marché le plus important a toujours lieu le vendredi. Il faut passer une porte ouverte dans la plus grande longueur de l'esplanade pour pénétrer dans la «vieille» Ghardaïa. L'atmosphère change tout à coup. La lumière rendue moins agressive par la proximité ocre des murs, laisse entrevoir les vieillards qui surveillent la rue du seuil d'une minuscule boutique, les enfants qui se faufilent entre mobylettes et ânes chargés de provisions ou de gravats d'une rénovation et les silhouettes blanches et anonymes des pressent le pas avant de disparaître. C'est en bas de la rue principale qu'on trouve le bureau des guides de la ville signalé par une enseigne en bois vieillotte. Au fur et à mesure de l'ascension, les rues sont de plus en plus étroites et tortueuses, se transformant parfois en véritables escaliers. Certaines d'entre elles sont des impasses desservant plusieurs foyers. Par les portes basses laissées ouvertes mais voilées par un rideau, on devine sans jamais pouvoir y glisser un oeil indiscret, la vie des familles vivant ici. De chaque côté des portes, des petites niches fermées par une porte en métal ajourée abritent les compteurs de gaz et d'électricité. De temps en temps, on est ébloui par l'éclat bleuté d'une citerne d'eau en métal fixée sur le toit d'une maison, à côté de la parabole. On arrive enfin à la mosquée dont le minaret aux quatre doigts tendus vers le ciel comme un appel à la présence divine et légèrement penchés, non pas pour résister au vent mais parce que la main de l'homme est imparfaite, domine la ville. Nous l'avons visité en compagnie d'un guide, seulement le matin. Sous cette mosquée, un passage souterrain permet à ceux qui habitent sur l'autre versant de la colline de gagner plus rapidement l'entrée de la salle de prière. De retour dans la ville basse, on peut marcher jusqu'à la maison Sidi Bou-Gdemma en remontant l'oued Mzab vers le nord. Cette mosquée, toujours d'une grande simplicité, aurait été bâtie à l'emplacement du campement du fondateur de la ville. En gravissant les marches du grand escalier qui traverse le cimetière, on est frappé par l'état d'abandon des tombes. Les morts sont enterrés couchés sur le côté droit face à la Mecque. Une pierre dressée marque l'emplacement de la tête et deux pierres pour les pieds pour l'homme et l'inverse pour la femme. Une quatrième pierre fichée au milieu de la tombe signale que la femme est morte enceinte. Des poteries vertes et des tessons permettent aux familles de reconnaître les leurs. S'il y a tant de cimetières autour des villes du M'zab, c'est parce que dans la tradition musulmane ibadite, un terrain ayant accueilli des morts est consacré à tout jamais et il ne saurait être question de concessions limitées dans le temps. Vers le sud, la route contourne la ville ancienne et mène à la palmeraie de Ghardaïa. Sur la droite, un point de distribution d'eau potable où viennent se ravitailler les camions citernes qui alimentent encore les villages, marque l'entrée de la voie d'accès au barrage puis la palmeraie. En suivant la rue du 1er-Novembre, nous arrivons à l'entrée principale, sur la droite en venant à Ghardaïa de Beni Isguen. La lourde porte en troncs de palmiers, qui il n'y a pas si longtemps, se refermait chaque soir, donne accès à une place du marché vaguement triangulaire. Ici aussi, des panonceaux malhabiles nous demandent respect et décence. Et comme il est également demandé de ne pas photographier les habitants, il vaut mieux visiter Beni Isguen vers 17h, avant que la vie reprenne dans la ville. La balade, en compagnie d'un guide, mène le long des ruelles de plus en plus étroites à la mosquée puis à une petite terrasse surmontée d'une tour dont les guides détiennent la clé. Avant la terrasse, un curieux bâtiment bleu en saillie abrite maintenant l'école des filles, celle des garçons se trouve hors de l'enceinte. La tour de guet est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité. Au sommet de ses 43 marches, on découvre presque toute la vallée du M'zab et c'est magnifique. En redescendant, on nous fait remarquer de vieux puits communaux, la plupart du temps flanqués de dattiers qui bénéficient des inévitables éclaboussures et maladresses des habitants du quartier. Marché à la criée De retour sur la place du marché, un curieux spectacle mérite une pause. Tous les soirs, sauf le vendredi, se tient ici un marché à la criée. Il s'agit d'une espèce de vide-grenier où chacun vient vendre tout et n'importe quoi. Chaque pièce est mise à prix par un crieur désigné par la mosquée. C'est d'ailleurs lui qui mène la transaction. Comment différents peuples voient-ils le monde? Ou le comprennent-ils? A Ghardaïa, tout ce qui n'est pas médiéval est complètement neuf. Ces gens-là pensent que le monde que nous voyons est sans importance, éphémère comme un songe. Les yeux sont constamment tournés vers le ciel. En revanche, leur hospitalité ne connaît pas de limites. Si vous ne vous plaisez pas chez lui, ce n'est pas la faute de votre hôte, mais plutôt le résultat de votre incapacité à vous adapter, car tous les efforts sont faits pour veiller à ce que vous soyez heureux. Au fond, nos touristes allemands ont-ils vraiment appris à découvrir les facettes cachées de Ghardaïa? Ont-ils vraiment découvert tous ces petits coins secrets blottis à l'écart des hôtels clubs? Bref, ont-ils réussi à saisir la véritable âme de Ghardaïa? Pas si sûr ! Mais leur voyage ne fait que commencer. Une chose est sûre, dans notre étrange désert, les touristes subiront le baptême de la solitude, une sensation unique qui peut changer un homme.