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Papon et nous...
17 OCTOBRE 1961
Publié dans L'Expression le 16 - 10 - 2008

«La France est un pays de flics, à tous les coins d'rue y'en a 100, Pour faire régner l'ordre public, Ils assassinent impunément...»
Hexagone (Amoureux de Paname) 1975. Renaud Séchan.
Le 17 octobre 1961, un crime d'Etat a été commis sous un ciel obscur de la capitale française par un certain Maurice Papon, préfet de police, sur instruction de son gouvernement. Paris! Capitale des droits de l'homme, des égalités et de la fraternité. La capitale de la paix quoi! à se référer aux concepts ostensiblement affichés sur les armoiries de ses institutions et de ses municipalités. Une cité qui s'est distinguée encore une fois, volontairement, par une effusion de sang et de larmes de ses concitoyens. Ces Français-musulmans, au statut d'indigènes, dont la valeur humaine est monnayée en heure de travail, et son usage n'excède pas le seuil du serf au service de la race des Gaules et de ses rebuts.
En une seule nuit, 200 à 300 morts, dont la plupart noyés dans la Seine, selon le décompte des historiens, alors que les chiffres dépassent en réalité le double de ces estimations, subirent les affres de la haine raciale. 12.000 arrestations d'Algériens (11.538) opérées en l'espace de quatre heures. Des milliers de handicapés à vie à cause des blessures, des coups de crosse et d'actes de torture. La soirée s'est soldée, selon certains analystes, par la plus grande rafle enregistrée depuis celle du jeudi noir du 16 juillet 1942, qui emprisonnera 12.884 juifs étrangers.
Et c'est également à Paris que la France s'est emparée d'une nouvelle performance historique, inscrite celle-là dans les annales de sa préfecture de police en matière de «crimes contre l'humanité». Une tache indélébile supplémentaire dans les exploits inhumains qui caractérisent la conquête coloniale de la France, depuis la Commune de Paris.
Plus de 7000 policiers, 1400 CRS, et gendarmes mobiles réveillés par la police de la préfecture et sur ordre express de Papon, ont tenté d'étouffer dans l'oeuf, les cris de liberté exprimés pacifiquement par une poignée de manifestants, sortis un soir défiler leur sentiment de refus de la servitude. «Les manifestants de l'époque protestaient contre un ´´couvre-feu´´ qui avait été instauré par les autorités françaises», injustement, bien sûr, pour délit de faciès. Et le temps avait donné raison à ces indigènes.
Un devoir de mémoire
Toute agression, qu'elle soit verbale ou physique, n'est à mon sens, que l'émanation du refus de l'autre. La traduction parfaite de la xénophobie. Un sentiment d'une extrême anxiété, mêlé à une crainte permanente, et poussé à son paroxysme, agresse, sans retenue, la moindre forme jugée néfaste à son équilibre vital. C'est le sentiment d'exclusion. C'est en fait, l'expression ultime de la haine, voire même un racisme pur et dur. Ce qui s'oppose indéniablement aux vertus d'abnégation, de justice et d'équité. Quand les agressions sont d'une extrême violence, elles n'ont d'autre versant que les meurtres, les massacres, les razzias et les exterminations. Et ne peuvent être en conséquence être qualifiés que d'actes «inhumains» et «barbares».
La France officielle refuse aujourd'hui de qualifier ses crimes. Et Dieu en est témoin, qu'elle n'en a pas commis un ou deux, mais des milliers depuis qu'elle a foulé cette noble terre. Nous n'avons pas encore dressé le bilan exhaustif de ses multiples agressions pour le lui coller à la figure et l'inviter à y répondre. Elle refuse ensuite de les reconnaître et s'entête par-dessus tout, arrogante comme elle est, à les circonscrire. Les gouvernements se succèdent, moulés pour certains d'entre-eux dans un révisionnisme désuet ou un positivisme dénués, et dans bien d'autres concepts, vidés de leur essence pour nous proposer de suite, la lecture et l'écriture commune de l'histoire pour éloigner l'offense.
La France, de droite ou de gauche, reste gauche et titube à chaque occasion qu'elle fait face à son destin pour buter encore une fois sur ce dur os qui la tient par la gorge, pour avaler de travers ses échecs. Impossible de la faire changer d'avis malgré sa maladresse. Tous les coups sont permis pour infléchir les tendances et rediriger les préoccupations vers d'autres soucis. Sarko dribble, slalome, navigue sans fins et sans buts. Au lieu de prendre son courage à deux mains et faire face en homme responsable, à sa propre histoire, comme l'ont déjà fait de nombreux pays à travers le monde, pour ne citer que la récente sortie de l'Italie sur la Libye, il s'entête dans de faux-fuyants, inféconds, qui tôt ou tard, le pousseront à buter sur une désagréable impasse entre nos deux pays.
Cette attitude négative ne peut qu'alourdir encore plus le poids historique du contentieux qui pèse déjà sur le dos fragile de notre communauté à l'étranger. Les banlieusards, les nouveaux indigènes de la République et les «désintégrés» sont la face visible de ce refus de reconnaissance. S'ils sont fragiles par leurs origines, la sélectivité pèsera bientôt lourdement dans les sondages. Et la citoyenneté, bien qu'elle s'acquière, elle n'est pas un don du ciel. Elle se pratique dans la civilité, l'urbanité et l'acceptation de l'autre. Le 17 octobre 1961 est le dernier acte de la répression coloniale dans toute la splendeur de sa haine envers l'autre. L'indigène, à qui la France de Tocqueville rappelle qu'elle a enseigné la démocratie naissante, la fraternité et l'égalité, inspirées du modèle américain tant vénéré, reste muette devant ces crimes. Elle lui a appris la soumission, imposé le mercantilisme, la razzia, le brûlé vif, le gain facile. Elle l'a déraciné, spolié et transformé en vagabond, en journalier, en khamas au point d'avoir oublié, voir perdu, ses propres valeurs. Elle l'a exterminé, utilisé comme chair à canon. Tel un baliseur du vide, rescapé d'un système oppressif, l'Algérien erre aujourd'hui, insouciant dans les méandres de l'insaisissable légèreté du quotidien.
Une positivité qui ne profite pas à tous. Comme modèle, elle peut en être fière. Bourré de tous les défauts du monde, résultats d'un apprentissage pratique, elle lui a par contre appris à réfléchir, à méditer sur le sort qu'elle lui a réservé. Si elle semble lui avoir transmis la culture de ses aïeux, de ses proches, car elle en a fait d'abord usage pour instaurer sa suprématie, elle lui a appris également l'entêtement à ne penser qu'à restituer cette mémoire perdue ou chipée par «inadvertance» dans les bagages des pieds-noirs.
L
'Histoire rattrapera Papon
Le décès de Maurice Papon ne nous fait ni oublier les crimes qu'il a commis au nom de l'Etat français, ni l'exonère de ses exactions. Les plaies sont encore ouvertes et les blessures aussi profondes que l'horreur commise à l'encontre d'innocents, martyrs et oubliés, pour que l'amnésie gagne les esprits et les coeurs se raffermissent sur l'innommable. Il avait pourtant l'occasion de se repentir et reconnaître ses méfaits au nom de la pénitence.
Souffrant jusqu'à l'os d'une maladie ravageuse, il avait choisi la voie du mépris et de l'entêtement, fidèle à ses agissements d'Octobre 1961 sous l'emprise fiévreuse du racisme et de la xénophobie. Le refus de l'autre...,il s'éteint.
Il peut continuer à jeter la faute sur ses semblables, les autres, les donneurs d'ordre, même sous sa tombe, le jugement des hommes retentira, alors que celui de Dieu, c'est peut-être déjà fait.
Maurice Papon est un criminel qui a agi au nom de l'Etat français. Et comme l'avait si bien exprimé notre ami, le professeur Olivier Le Cour Grandmaison et non moins président de l'association du 17 Octobre 1961: «la répression du 17 Octobre 1961, est un crime d'Etat». En s'interrogeant sur le fait que: «Qui peut croire enfin,que le Premier ministre, Michel Debré, n'ait pas été informé de cette mesure et du massacre perpétré en ces jours d'octobre 1961»? Ce qui vient à l'esprit, est comme si De Gaulle ne savait rien sur les massacres de Mai 45.
Nous. Nous avons pris un mauvais pli, une triste habitude, en pauvres assistés que nous sommes, à attendre que les autres fassent le boulot à notre place. Même le devoir de mémoire est assujetti à cette situation d'attentisme. Hier, ce fut la loi du 23 février 2005 qui allait passer inaperçue et sans encombre, si ce n'était ces perturbateurs d'intellos français - et de quoi je me mêle encore dirait l'autre - qui avaient crié haut et fort leur indignation, dénonçant ce pseudo concept du «rôle positif de la colonisation», et ses intentions occultes.
Il a fallut attendre la réaction du président de la République criant tout haut son indignation, pour que certains politiques, associations, réagissent à l'effet de décider de se réunir pour mijoter une «déclaration commune». Pour que, six mois après, nos institutions hautes et basses fassent montre d'une dénonciation, timide et inconséquente. Alors que nos pseudo-historiens, ceux qui ne produisent que des inepties, avaient réagi tardivement, sans rassembler pour la circonstance leurs efforts et faire preuve de discernement en faisant converger leurs idées et aiguiser leurs esprits, au lieu de verser chacun à sa manière, en solo, dans sa diatribe inféconde, sur des questions pourtant sensibles ayant un rapport direct avec l'histoire récente de notre pays.
Nous assistons aujourd'hui à une réplique semblable à celle d'il y a quelques années. Identique dans le fond comme dans sa forme. L'Association du 17 Octobre 1961, nous devance, elle récidive en dénonçant encore une fois le fait colonial et déclare son soutien à la revendication légitime du peuple algérien qui s'exprime en fait dans l'un des articles du statut de notre fondation.
«...Exiger des autorités concernées et des instances compétentes de la communauté internationale, la reconnaissance de ce crime contre l'humanité, sa condamnation et son imprescriptibilité...»(1). C'est à cette fin que compte parvenir notre fondation, comme souhaitent l'exprimer, ce vendredi 17 Octobre à Paris, des associations, partis politiques et syndicats par un rassemblement: «Exiger la reconnaissance officielle du crime commis par l'Etat français.»
(*) Président de la Fondation du 8 Mai 45
(1) Art 3 des statuts de la Fondation du 8 Mai 1945.


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