Pour le diplomate, l'escalade verbale entre les deux capitales «ne facilitera la tâche ni à l'Algérie ni à la France». L'histoire continue de peser sur le dialogue algéro-français. Que ce soit dans les discours officiels ou par presse interposée, les passions du passé colonial animent désormais les débats, reléguant au second plan les relations économiques entre les deux capitales, notamment le partenariat d'exception escompté par les deux chefs d'Etat. En effet, les termes du message adressé par le chef de l'Etat aux participants au colloque sur le 8 Mai 1945, comparant les fours crématoires nazis aux fours à chaux où étaient incinérés des dizaines d'Algériens lors des évènements du 8 Mai 1945 à Guelma, ont suscité une véritable levée de boucliers côté Français. Des réactions en cascade, qui ont failli dégénérer en une affaire d'Etat. Les anciens combattants français sont allés jusqu'à justifier les massacres par l'impératif du «maintien de l'ordre», alors que la députée UMP, Michèle Tabarot, a carrément annulé son déplacement d'Alger, estimant que les propos de M.Bouteflika étaient «excessifs». Même le secrétaire d'Etat français aux affaires étrangères, M.Renaud Muselier, dont la visite coïncide avec les déclarations du chef de l'Etat, avait failli annuler son séjour, n'était l'accord du président Chirac, apprend-t-on de sources sûres. Lors d'une conférence de presse animée, mercredi dernier en début de soirée, M.Muselier, assailli par les questions des journalistes, avait de la peine à trouver ses mots, tant le dossier des relations tumultueuses entre Alger et Paris est on ne peut plus sensible. «Nous avons dans chacun de nos pays une opinion publique sensible», a souligné le conférencier, évoquant «des hypersensibilités et des codes de lecture qu'il faut aussi respecter». Pour M.Muselier, la France et l'Algérie ont l'obligation d'effectuer un travail de mémoire et de vérité sur leur histoire commune pour «apaiser les douleurs et avancer ensemble» Au cours de sa conférence de presse, qui intervient le jour même où le porte-parole du Quai d'Orsay, avait appelé au «respect mutuel», Renaud Muselier considère que l'Algérie et la France sont dans l'obligation de «qualifier les faits». «Nous avons l'obligation de qualifier les faits et nous ne pouvons le faire qu'ensemble (...) Quand les faits auront été établis, qualifiés, on pourra s'exprimer de façon, claire, précise, comme cela a pu se faire dans tous les conflits du monde avec des peuples qui ont fait la paix, sinon ce n'est pas possible» L'on comprend à travers les déclarations de M.Muselier que les faits ne sont pas établis, alors que des tortionnaires ont publiquement «revendiqué» leurs crimes et que des officiels français, à l'image de M.Hubert Colin De Verdière qui avait qualifié les massacres du 8 Mai 1945 de «tragédie inexcusable». D'ailleurs, invité à commenter les réactions de la classe politique française, le conférencier lance : «il faut garder son sang-froid.» Avant d'ajouter que l'escalade verbale entre les deux capitales «ne facilitera la tâche ni à l'Algérie, ni à la France». La France demanderait-elle pardon à l'Algérie comme l'avait fait Willy Brandt, qui s'est agenouillé devant la tombe de Jean Moulin et demandé pardon au peuple français? interroge L'Expression, Muselier manifestement surpris, indiquera que «les deux contextes sont différents». Par ailleurs, et à une question de savoir si ce climat tendu remettrait en question le rapprochement entre les deux pays, le secrétaire d'Etat Français, rétorque : «Nos dirigeants, nos présidents, nos peuples veulent travailler ensemble, vivre ensemble en paix», a par ailleurs affirmé M.Muselier, soulignant la volonté des gouvernements français et algérien de signer un traité d'amitié d'ici à la fin de l'année. Il n'a cependant pas donné la date précise de cette signature, laissant le soin au ministre algérien des Affaires étrangères de l'annoncer. Il est utile de rappeler que lors de son séjour en Algérie, M.Muselier a été reçu par le ministre des Affaires étrangères, le chef du gouvernement. Comme il a effectué une visite dans la wilaya d'Annaba où il s'est enquis de l'état des cimetières chrétiens, dont il dit, d'ailleurs garder une bonne impression quant à leur prise en charge. M.Muselier a également annoncé le détachement d'un assistant technique auprès de la direction des archives algériennes, chargé de mener à bien l'achèvement de la numérisation de l'état civil français d'Algérie.