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«Tamazight a évolué positivement»
BRAHIM TAZAGHART, ECRIVAIN
Publié dans L'Expression le 16 - 10 - 2008

Il est l'un des romanciers en langue berbère les plus en vue.
Il vit et travaille à Béjaïa. Auteur de romans, nouvelles et recueils de poésie, Brahim Tazaghart a fini par ouvrir une librairie dans la capitale des Hammadites ainsi qu'une maison d'édition. Dans cet entretien, il parle du livre en tamazight, de l'édition et de l'avenir de la deuxième langue nationale.
L'Expression: Vous baignez entièrement dans le monde du livre. Après avoir écrit plusieurs ouvrages dans la langue chère à Lounès Matoub, vous devenez, en même temps, éditeur et libraire. Vivre ainsi au milieu des livres, n'est-il pas quelque peu étouffant?
Brahim Tazaghart: Partir de l'écriture vers l'édition et la vente des livres est un parcours épuisant. Je suis parti en tant qu'auteur, interpellé par une situation qui est celle du livre amazigh qui peine à se faire une place dans le champ éditorial national. Je suis parti sans grands moyens et sans soutiens effectifs. Les soutiens moraux n'ont pas fait long feu. La réalité du marché ne tient compte que du concret et du tangible. Elle est implacable. C'est à ce niveau que je situe l'étouffement, au niveau financier et comptable. Sinon, être entouré de livres qui portent, pour beaucoup, des noms prestigieux, durant chaque époque ayant marqué l'histoire de l'humanité, est attrayant.
Pouvez-vous nous parler de vos activités en tant qu'auteur d'expression amazighe, en Algérie et à l'étranger?
En plus de l'écriture, il m'arrive d'intervenir dans des rencontres autour du roman ou carrément concernant le développement de la langue et de la culture amazighes. Dernièrement, j'ai répondu à l'appel de l'association Tamusni de Aïn El Hammam qui a organsiné un hommage à feu Tahar Djaout à la Maison de la culture de Tizi Ouzou. J'ai fait une petite lecture poétique suivie d'un intéressant débat qui a touché aux nécessaires renouvellement et modernisation de la poésie amazighe. Bien avant, en févier dernier, j'ai participé aux ateliers européens de traduction tenus à Alger et organisés par l'association Cadmos de la dynamique poétesse Samira Negrouche et parrainés par Littérature sans frontières. A l'étranger, je venais de participer à une rencontre à Barcelone, et qui a regroupé des poètes catalans et des poètes amazighs. Elle a été organisée par l'Institut des lettres catalanes, avec des partenaires, entre autres, Pen Catalane et l'Observatoire de la langue amazighe de Barcelone dirigé par Mohamed Tilmatine. La rencontre, «Les voix parallèles», était une belle opportunité pour faire connaître la poésie amazighe dans ces terres proches mais combien lointaines de Catalogne. Le public était très réceptif et d'un goût certain. J'étais en compagnie du prolifique romancier, poète et traducteur Salem Zinia, ainsi que Boualam Rabia et Hadjira Oubachir.
Vous étiez militant de la cause amazighe. Actuellement, vous recevez les honneurs des institutions algériennes (le prix Apulée de la Bibliothèque nationale) et vous avez même participé, en tant qu'éditeur, à la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe». Est-ce un reniement ou une évolution?
Je milite toujours pour tamazight et la démocratie. Avec, certes, d'autres moyens que ceux des années 1980 et 1990, mais avec autant de conviction et davantage de clairvoyance. Le combat pour tamazight est un combat pour la dignité et le bonheur pour tous. Etre militant, c'est assumer son statut de citoyen et d'homme conscient et utile. Etre militant conséquent et constant, c'est savoir actualiser son combat et l'adapter aux évolutions qui surviennent et qui peuvent survenir à chaque instant de la vie. En ces moments d'incertitude et de doute généralisé, je continue mon petit bout de chemin, car refusant la stagnation, la fatalité et le nihilisme. Ecrire un texte, animer une discussion, organiser une rencontre, c'est ce que je tente de faire sans grande prétention. Je crois que les solutions aux problèmes humains relèvent de la construction quotidienne, effective, elles n'émergent pas comme un don du ciel. Depuis le premier séminaire d'Iaâkouren tenu en 1980, le MCB a posé le problème de tamazight dans le cadre de la redéfinition de la nation algérienne et de la démocratisation de son Etat. Le 2° séminaire, venu replacer la question amazighe dans le contexte de l'Algérie du pluralisme, a approfondi cette perspective. Respectueux de cette ligne, je dirai que la situation de tamazight a évolué positivement, résultat de notre lutte incessante, nationale, démocratique et non violente. D'une langue totalement occultée et réprimée, à une langue ayant un statut constitutionnel de langue nationale, le changement est notable. Pour avancer dans la direction du règlement de cette question éminemment stratégique, il faut savoir capitaliser cet acquis pour partir vers d'autres, tout en sachant que beaucoup de choses restent à faire, que des fractions négatives au sein du pouvoir sont toujours là pour tenter des remises en cause. Comment permettre à tamazight de remplir sa fonction de langue nationale? Comment, quand et avec quels moyens pourrions-nous généraliser l'enseignement de tamazight en commençant, raisonnablement, par les régions amazighophones? Telles sont les questions - parmi tant d'autres - auxquelles il faut répondre. Le véritable combat, c'est celui-ci, ici et maintenant! L'histoire ne s'accommode pas des états d'âme ni des nobles intentions. L'histoire est le produit du travail, de l'effort, de la production des idées, des projets et des richesses. De ce qui précède, je ne vois aucune contradiction entre le fait d'être un militant de tamazight et de la démocratie et celui de recevoir un prix d'une institution algérienne qui est la Bibliothèque nationale. Je suis Algérien à part entière.
A ce titre, il est de mon devoir de réclamer une Algérie forte par son Etat et un Etat fort par l'adhésion consciente de son peuple, parce que juste et respectueux du droit et de l'éthique. Travailler à l'instauration d'un projet de société ce n'est pas cesser de vivre tant que celui-ci demeure en chantier. Pour moi, c'est l'absence de tamazight dans ce genre de rendez-vous qui m'aurait choqué!
Vous n'avez pas répondu à la question concernant votre participation à «Alger, capitale de la culture arabe»?
Le premier livre édité par ma maison d'édition est sorti le 30 mars 2008. C'est une traduction d'un recueil de poésie de la grande poétesse syrienne Maram Al Masri. Un recueil écrit en langue arabe, que j'ai moi-même traduit en langue amazighe. C'est vous dire que je ne pouvais pas participer à ce rendez-vous en ma qualité d'éditeur, car l'activité a été déjà clôturée. Si vous voulez avoir mon avis sur l'événement, je vous dirai que malgré quelques ratages qui sont propres à toutes les manifestations, «Alger, capitale de la culture arabe» était un moment fort de la vie culturelle. Il est venu après une décennie de vaches maigres et d'absence de toute vie culturelle. La violence massive qu'a vécue le pays, a étouffé toute possibilité de partage. Des dizaines d'écrivains et d'artistes sont assassinés, des centaines d'autres ont pris le chemin de l'exil. Les temps étaient pénibles. Avec le recul plus ou moins significatif de la violence, les choses commencent à reprendre. Je dirai que ce fut un moment fort, surtout si la dynamique d'ouverture sur les cultures des autres continue, et échappe, avec le temps, aux calculs conjoncturels. «Alger, capitale de la culture africaine», «Alger, capitale de la culture méditerranéenne», «Alger, capitale de la francophonie», etc. Il faut ouvrir le maximum de fenêtres sur le monde qui nous entoure, découvrir les autres et savoir les connaître, tout en veillant à ne pas sacrifier ses racines. C'est un exercice qui réclame de la lucidité et de l'esprit.
C'est une perspective qui découle d'une confiance en soi et qui renforcera davantage la personnalité algérienne. Je crois qu'avec une attention soutenue pour tamazight qui est la matrice de l'identité algérienne et un réexamen de notre position dans le «monde» arabo-musulman, nous pourrons affronter les défis qui s'annoncent. Pour me résumer, je dirai que je ne suis pas contre la culture arabe, je suis pour le développement de la culture amazighe.
Vous écrivez toujours, ou bien vos deux autres activités de libraire et d'éditeur vous prennent-elles tout votre temps?
Mes deux autres activités sont harassantes et stressantes à plus d'un titre, d'autant plus que je suis dans la période de l'entame. Dans ces conditions, écrire est plus qu'un exercice littéraire, c'est un atout sans lequel je ne pourrai guère tenir. D'ailleurs, sans l'écriture, j'aurais lâché prise, tant les difficultés sont énormes. L'écriture est mon compagnon fidèle. Dans toutes les situations, je trouve un temps pour écrire. C'est un contrat entre l'auteur que je suis et l'éditeur que je suis devenu. Pour cela, je travaille davantage que d'habitude.
De tout ce que vous avez écrit, quel est le livre où vous avez l'impression de vous être le mieux exprimé?
Ldjerrat (Les traces) est le livre que j'aime le plus, car il est mon premier pas dans le monde de la publication après des décennies d'écriture sans voix. Quant au livre dans lequel je me suis le mieux exprimé, je crois que chaque livre porte en lui une partie qui véhicule un maximum de clarté. De ce fait, je ne peux distinguer un parmi les autres. D'autant plus qu'ils sont de genres littéraires différents.
La production de roman en tamazight reste très pauvre. On ne voit plus sur les étals que des recueils de poésie et des contes. Pourquoi, selon vous?
L'année 2007, nous n'avons enregistré, à ma connaissance, aucune publication de roman en tamazight. Pour 2008, nous enregistrons avec plaisir le premier roman de Mohand Aït Ighil qui passe de l'écriture du théâtre et de la nouvelle à celle du roman. C'est bon, mais c'est infiniment insuffisant. Une année sans aucun roman en tamazight, c'est vraiment mal-venu pour une langue qui désire se positionner parmi d'autres! Nous sommes conscients du déficit. Me concernant, j'ai cru avoir terminé un roman l'année passée, puis j'ai tout arrêté, car j'étais insatisfait de mon travail. Je le traîne encore et je pense le clôturer et le publier avant la fin de l'année. Je suis tenu par l'exigence de qualité! Chaque oeuvre doit apporter un plus. D'autres amis sont en phase finale d'écriture. Pour revenir à votre question, je dirai que c'est avant tout une question d'habitude et de maîtrise. Les gens sont plus à l'aise avec la poésie et dans la collecte des contes qu'avec le roman qui reste un genre nouveau pour tamazight. J'ai remarqué qu'une grande partie des poètes ne lisent pas beaucoup, d'ailleurs, pour eux, lire n'est pas indispensable pour «dire» de la poésie. Ils font dans la poésie de la reproduction, surtout au niveau de la forme et des métaphores. C'est cette approche qui domine encore. Alors que pour le roman, la lecture est une condition essentielle. Pour me résumer, je dirai que la poésie et le conte relèvent de l'oralité, alors que le roman est indissociable de l'écriture. Le passage à l'écrit est difficile, mais il s'opère lentement mais sûrement.


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