La démobilisation est telle que ces élections constituent un non-événement. Mi-amusé de s'adresser à un journaliste, et mi-contrarié d'avoir à répondre à la question: «Iras-tu voter jeudi?», le jeune Hamid s'efforce de répondre: «C'est clair, les ârchs et les partis majoritaires en Kabylie ont rejeté les élections, j'y adhère totalement, car ce n'est pas à moi d'amender le monde.» Son ami, qui semble très à l'aise dans son maillot aux couleurs du club fétiche la JSK, enchaîne sur un ton plus accentué: «Les élections dont vous parlez n'ont pas lieu ici, c'est tout le monde qui les rejette.» Zahia étudiante et Nassima informaticienne ont, elles aussi, le même avis même si elles disent n'avoir jamais voté: «Nous ne voterons pas cette fois-ci vu la conjoncture et la répression subie par nos jeunes.» C'est en quelque sorte, le boycott-sanction. Quand on évoque les élections, on reçoit globalement la même réponse qui découle d'un syllogisme de conjoncture: «Nous sommes contre tout ce qui vient de ce pouvoir mafieux, le pouvoir organise des élections donc, nous sommes contre les élections.» Située à 30 km au nord du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, la daïra de Fréha a, elle aussi, ses martyrs de la démocratie. Pas moins de quatre jeunes ont trouvé la mort depuis le début des événements du printemps noir en 2001. Ville transitaire entre Tizi Ouzou-Azazga et Azeffoun, Fréha est aussi le fief du ârch des Ath-Djenad. Pas la moindre affiche indiquant qu'il y a des élections n'a été collée, aucun meeting n'y a été organisé à ce jour. Ici, c'est plutôt la campagne antivote qui a fait son chemin. Outre les graffiti «slogans» qui font parfois partie du décor: «Ulac l'vote, ulac smah, pouvoir assassin...». Une grève générale est annoncée à partir de demain jusqu'au jour des élections, nous a-t-on appris. Sadek, propriétaire d'une école d'informatique au centre ville, déclare: «J'ai affaire à beaucoup de gens quotidiennement et appartenant à toutes les couches sociales. Je vous affirme que c'est la démobilisation totale. Ce n'est d'ailleurs même pas à l'ordre du jour (parlant des élections)». Cette ville rénovée au début des années 90 abrite aussi des arabophones fonctionnaires pour la plupart. Il faut admettre que leur position vis-à-vis des élections n'est pas de tout aise. «Je n'irai pas voter, car c'est une tendance lourde ici», nous déclare A.M., originaire de Médéa. Et d'ajouter: «Même si on n'a reçu aucune menace qui nous empêcherait d'accomplir notre devoir, je ne veux pas prendre le risque, car tout peut arriver dans cet état d'anarchie et de confusion.» Ainsi, à deux jours du scrutin, les citoyens de Fréha vaquent à leurs occupations sans se soucier des élections. Dans la caserne de gendarmerie du centre-ville, entourée par une clôture portant les stigmates de violents affrontements, les gendarmes semblent endimanchés dans ce loft qu'il est aventureux de quitter.