Le Président reprend l'initiative sur le dossier le plus sensible de ces dix dernières années. On s'y attendait depuis un bon bout de temps, le Président de la République préparait en secret un appel aux ârchs pour les inviter à lui remettre la plate-forme d'El-Kseur. Aujourd'hui c'est chose faite. Depuis la mort, dans les locaux de la gendarmerie de Beni-Douala, du jeune lycéen Guermah Massinissa et l'interpellation des jeunes de Oued Amizour, la Kabylie était entrée en rébellion ouverte contre le pouvoir central, et plus rien ne semblait calmer sa colère. On y sentait une rage contenue, un cri étouffé, celui d'une région qui s'est soulevée comme un seul homme pour réclamer justice et liberté. Ce qu'il y a de plus important à souligner, c'est l'écho et le mouvement de sympathie que ce cri de révolte a rencontrés auprès des autres wilayas d'Algérie, qui ont compris sa profondeur et la légitimité de sa revendication. Cette amazighité, qui est l'un des fondements de notre identité, aux côtés de l'arabité et de l'Islam, tire ses racines du plus profond de notre histoire. Sans rappeler ici les différentes actions qui ont été initiées par les ârchs pour faire entendre leur voix, par des marches, des conclaves, des communiqués (voir Chronique d'une révélation) ; il est un fait important à souligner: en s'interdisant de se transformer en parti politique, en rejetant le chant des sirènes de ceux qui ont voulu les dévier de leur mission, en optant même pour une forme d'organisation à l'horizontale pour éviter toute récupération et toute caporalisation, les ârchs ont su inscrire leur action dans le sens d'un mouvement citoyen responsable et conscient qui porte aujourd'hui ses fruits. Le message des martyrs du printemps noir, et dont le nombre dépasse largement la cinquantaine, ne sera pas dévoyé. Il gardera sa pureté pour que des générations futures sachent être fières d'une action citoyenne qui est restée fidèle aux objectifs qu'elle s'était fixés. Et l'on gardera sûrement en mémoire la marche grandiose du 20 août à Ifri Ouzelaguen, haut lieu de la Révolution où s'était tenu le Congrès de la Soummam. En brandissant en longue banderole le drapeau national frappé de l'étoile et du croissant, en respectant la consigne d'une marche faite dans le calme, le deuil et le recueillement, en empêchant en outre quiconque de prendre la parole pour haranguer la foule, les ârchs avaient donné une leçon de maturité, de patriotisme et un sens de l'intérêt national à tous ceux qui auraient aimé profiter de ce large rassemblement pour distiller des mots d'ordre contraires aux principes qui sous-tendaient l'action des ârchs. Et c'était sûrement la première fois que la célébration d'une date historique était réappropriéé par les couches populaires et le mouvement citoyen, redonnant son sens à une histoire de la Révolution qui a plus d'une fois été manipulée. Mais les conclaves succédant aux conclaves, on a eu l'impression, vers la mi-août, que le mouvement des ârchs était arrivé devant une impasse, et que devant le silence sidéral du pouvoir, il ne pouvait que se radicaliser et conduire inévitablement à des dérapages. L'Algérie touchée dans sa chair, et déjà meurtrie par plus de dix années de terrorisme; ne voyait plus par quel bout prendre ce problème sans solution, alors même que les solutions existent. A maintes reprises, lors des entretiens que les représentants des ârchs ont accordés à nos collaborateurs, le même leitmotiv revenait comme une litanie: «Notre mission consiste à remettre la plate-forme d'El-Kseur au Président de la République». La lecture de cette profession de foi est pourtant d'une simplicité déroutante. En cherchant à s'adresser directement au premier magistrat du pays, les ârchs ont, dès le départ, inscrit leur action dans la plus stricte légalité républicaine. Aujourd'hui, on peut dire que les ârchs sont sur la bonne voie et que les nuages qui s'étaient amoncelés dans le ciel de la politique nationale vont enfin se dissiper, et le Président de la République reprend l'initiative sur le sujet le plus brûlant de la rentrée. Les choses sérieuses vont certainement commencer maintenant. Le référendum tant souhaité pour modifier la Constitution sur la question de l'officialisation de tamazight pourra maintenant être abordé en toute sérénité et l'Algérie, en tant qu'Etat et nation, pourra s'atteler à d'autres tâches, pour gagner la bataille de l'emploi, de l'école, de la justice, du développement. Il faudra le dire, il n'y a eu ni gagnant ni perdant. C'est toute l'Algérie qui va gagner à initier un dialogue fécond entre tous ses enfants, et notamment entre le pouvoir et le mouvement citoyen. C'est un succès politique considérable pour les ârchs qui montrent, pour la première fois, que la détermination du mouvement citoyen peut aboutir, et ce sera certainement aussi un succès pour le Président de la République qui avait, dès le départ, cherché à nouer le dialogue avec les ârchs, en promettant dès les premiers jours de reconnaître l'officialisation de tamazight, de lutter contre la hogra et, par la satisfaction de cette revendication, Abdelaziz Bouteflika aura désamorcé la crise la plus profonde de ces dix dernières années pour ouvrir la voie à une ère nouvelle.