«Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur, et rien d'autre.» Paul Eluard (Le Château des pauvres) La communauté internationale a été prévenue lundi 1er décembre, à l'ouverture de la conférence de l'ONU sur le changement climatique à Poznan, qu'elle avait un an pour se rassembler afin de sauver la planète d'un réchauffement fatal. «L'humanité déclare le Premier ministre polonais, par ses comportements a déjà poussé le système de la planète Terre jusqu'à ses limites». «Poursuivre ainsi provoquerait des menaces d'une intensité jamais vue: énormes sécheresses et inondations, cyclones dévastateurs, pandémies de maladies tropicales (...) et même conflits armés et migrations sans précédent», a-t-il lancé en appelant les négociateurs à ne pas «céder à d'obscurs intérêts particuliers (quand) nous devons modifier la direction dangereuse qu'a prise l'humanité». Le président du Groupe d'experts sur l'évolution du climat (Giec), le Prix Nobel de la paix 2007 Rajendra Pachauri, a également rappelé les graves impacts de «l'inaction»: 4,3 à 6,9 milliards de personnes supplémentaires, vivant dans les grands bassins fluviaux, risqueraient d'être affectées par les sécheresses, «presque la majorité de l'humanité». Les participants sont convenus de plusieurs sessions de négociations avant de se retrouver du 7 au 18 décembre 2009 à Copenhague, où doit être conclu un nouvel accord. «Nous avons un programme de travail pour l'année prochaine, qui va conduire à intensifier les négociations», a expliqué Yvo de Boer. Il s'est également félicité de «la mise en place d'un fonds d'adaptation d'une importance critique pour les pays en voie de développement». Ce fonds doit leur permettre d'affronter les conséquences du réchauffement climatique. Mais les sommes disponibles, quelque 60 millions de dollars (45 millions d'euros), sont jugées dérisoires par les pays en voie de développement comparativement aux besoins réels, estimés à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Le délégué indien Prodipto Ghosh a dénoncé «le refus de certaines parties de consentir une minuscule perte de profits sur le marché du carbone», alors que les conséquences du changement climatique sont déjà là, privant les plus démunis de toit et de pain. Yvo de Boer a reconnu que les pourparlers avaient suscité de «l'amertume» chez les pays en voie de développement. L'Afrique, une victime Cela est d'autant plus vrai que le continent africain est peu responsable de la crise climatique, alors que plusieurs études ont conclu qu'il en serait une victime majeure. Or, sa pauvreté l'empêche de se préparer aux contraintes nouvelles imposées par le réchauffement. Depuis le début des négociations climatiques, les pays africains se sont rangés sous le drapeau du «G77», qui regroupe les pays en voie de développement aux Nations unies. Mais les leaders de ce groupe -Chine, Inde ou Brésil- n'ont pas vraiment les mêmes intérêts qu'eux. C'est pourquoi, les Etats africains ont adopté à Alger une déclaration fin novembre manifestant leurs besoins spécifiques. Une délégation de cinq d'entre eux devait les représenter à Poznan, où ils insisteront sur la question des forêts et sur les mécanismes financiers. Bien que l'Afrique contribue de manière significative aux gaz à effet de serre (GES) émis à partir d'autres sources que les carburants fossiles, il semble qu'elle absorbe plus de carbone qu'elle n'en relâche dans l'atmosphère, selon CarboAfrica, un programme de recherche international auquel contribuent 15 institutions africaines et européennes ainsi que la FAO.(1) Pourtant de l'avis des experts, la conférence véritable zerda qui a regroupé près de 10.000 personnes - qui ont dû polluer pour des milliers de tonnes de CO2- a été un échec. Elle «a échoué sur trois volets essentiels de la négociation», a estimé Greenpeace samedi 13 décembre, citant la réduction des gaz à effet de serre, l'aide aux pays en développement et la protection des forêts. La meilleure chose à faire, c'est de tirer un trait sur la conférence de Poznan. Selon l'organisation de défense de l'environnement, la conférence de Poznan «a échoué» sur l'objectif de réduction des gaz à effet de serre. «Les pays industrialisés ont répété mot pour mot les déclarations déjà faites 12 mois auparavant. Où est le progrès?» s'interroge l'organisation. Concernant le financement de l'aide aux pays en développement, «les caisses restent vides», regrette Greenpeace. «Les pays industrialisés ont refusé de s'engager à débloquer les financements supplémentaires pour renflouer ces caisses», affirme le communiqué. Enfin, concernant la protection des forêts, Greenpeace estime qu'il n'est pas ressorti de «progrès substantiel» à Poznan.(2) Pour sa part, l'Europe se vante d'avoir un accord sur le réchauffement climatique sans tenir compte de ce qui se passe à Poznan. Ce qui était surréaliste, c'est la position de la Pologne, grand pollueur devant l'éternel (95% de ses centrales fonctionnent au charbon) et qui ne veut pas en démordre au point d'avoir eu les dérogations qu'elle voulait...pour polluer allègrement, pendant ce temps, son Premier ministre déclare à l'ouverture du sommet de Poznan que la maison brûle. Ainsi, on apprend que les dirigeants de l'UE sont parvenus, le vendredi 12 décembre, à un accord en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Les Européens vont devoir atteindre un triple objectif pour 2020: réduire de 20% leurs émissions de gaz à effet de serre par rapport à leurs niveaux de 1990, porter la part des énergies renouvelables à 20% de la consommation et réaliser 20% d'économies d'énergie. Au final, avec toutes les exemptions obtenues par les uns et les autres, la proportion de permis à polluer que devront acheter les industriels restera encore très faible en 2013, même si elle augmentera graduellement d'ici 2020. Les centrales électriques au charbon de Pologne et des autres pays de l'Est n'auront, elles, rien à payer en 2013, mais devront tout de même payer la totalité de leurs droits d'émission en 2019.(3) Pour Karine Gavand, responsable de la campagne climat chez Greenpeace: «C'est l'accord qui sera négocié fin 2009 à Copenhague qui devra changer la situation environnementale. La conférence de Poznan est une étape intermédiaire, elle n'en reste pas moins cruciale, puisque nous sommes à mi-chemin aujourd'hui du processus qui doit sceller l'accord qui pourrait laisser une chance à notre planète. Greenpeace intervient auprès des délégations des différents gouvernements représentés à Poznan pour essayer d'influer sur les positions qu'ils adoptent pendant les réunions et pendant les négociations. L'Union européenne est d'accord, malheureusement, sur l'essentiel: aucun pays membre n'est prêt à se faire le champion de la lutte contre le changement climatique. Tous s'accordent pour défendre leurs propres intérêts nationaux de court terme. Et force est de constater que la présidence française de l'Union européenne leur accorde une oreille très attentive, puisque depuis le début de son mandat, c'est tous les jours Noël: un jour, on accorde des cadeaux aux compagnies automobiles allemandes, le lendemain, on accorde des permis de polluer gratuits aux électriciens polonais. Et progressivement, on vide le paquet énergie-climat de toute son ambition. Bien sûr, cela décrédibilise l'Union européenne vis-à-vis du reste de la communauté internationale, d'autant plus qu'en l'absence de la nouvelle administration américaine, les pays en développement notamment, ont les yeux rivés sur l'Europe, qui s'est toujours targuée d'être le leader dans la lutte contre les changements climatiques. Or si tous les pays industrialisés adoptaient le plan européen, le monde serait en route pour une augmentation des températures de plus de 4 °C. Ce serait catastrophique».(4) Même son de cloche pour le WWF (Fonds mondial pour le climat). Toutes les exemptions obtenues ont d'ailleurs fait dire aux organisations de défense de l'environnement, dont Greenpeace, le WWF et Friends of the Earth Europe - avant même l'annonce de l'accord - qu'il constituait «un échec». L'après-Kyoto Pour le scientifique Jean Etienne: Les enjeux sont cruciaux avant la date butoir de décembre 2009, qui marquera le début de «l'après-Kyoto». Un an après le petit accord de Bali et dans le difficile contexte de la crise financière mondiale, les deux semaines de négociations de l'Unfccc), c'est véritablement le début d'un compte à rebours au terme duquel les 192 pays signataires de la Convention de l'ONU sur les changements climatiques (Cnuccc) devront obligatoirement aboutir à Copenhague en décembre 2009. Si les émissions de gaz à effet de serre se sont légèrement améliorées du côté des pays industrialisés entre 1990 (année de référence dans les négociations) et 2006, avec une réduction de 4,7%, le bilan est nettement moins reluisant si l'on ne considère que la période 2000 - 2006, marquée par une augmentation de 2,3% dans la foulée des anciens pays de l'Est (+7,4%). Tout au fond de la classe, là où se tiennent par tradition les plus mauvais élèves, on aperçoit les pays d'Amérique du Nord avec (par référence à 1990) une augmentation de 21,7% pour le Canada, 14,4% pour les Etats-Unis, ainsi que l'Australie (28,8%). L'Europe du Sud fait figure de cancre avec une hausse des émissions espagnoles de 50,6% et portugaises de 40%. Dans son premier rapport, le Giec prévoyait une augmentation probable des températures au niveau mondial de 1,8°C à 4°C d'ici l'an 2100 relativement à 1990, alors que la température s'est accrue de moins de 1°C au cours du dernier siècle. Les experts scientifiques estiment que limiter la hausse des températures à 2°C implique de commencer à faire décroître les émissions de gaz à effet de serre à partir de 2015 au plus tard, puis de véritablement renverser la tendance d'ici à 2050 (5). Sunita Narain, directrice du Centre for Science and Environment ne dit pas autre chose en faisant porter la responsabilité aux pays riches: Or les pays riches - si l'on met à part l'ex-bloc soviétique - ont laissé croître leurs émissions de 14,5% entre 1990 et 2006, trahissant leurs engagements de Kyoto pour ce qui est des émissions actuelles. Mais nous avons calculé la somme de celles de différents pays sur la période 1980-2005: celles des Etats-Unis font à peu près le double de celles de la Chine, et plus de sept fois celles de l'Inde. Le monde occidental doit nous expliquer ce qu'il compte faire pour réduire ses émissions. «Nous ne sommes pas les coupables, mais les victimes du changement climatique. Nous sommes préparés à agir, mais nous voudrions vous voir d'abord faire ce que vous êtes supposés faire.» Il est temps que vous agissiez, sinon nous sommes sur la route de l'enfer commun.(6) Comme conséquences prévisibles, écoutons l'interview de François Gemenne, chercheur à l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales): «La géopolitique ne pourra plus faire l'économie du facteur environnemental. (...) Des migrations, si elles ne sont pas maîtrisées, pourraient susciter des conflits régionaux ou tout au moins, produire des effets aux frontières. Par exemple, un pays, estimant ne pas avoir la capacité de répondre à ces flux migratoires, fermerait ses frontières: l'Inde édifie ainsi une clôture à sa frontière avec le Bangladesh, en prévision d'un afflux de réfugiés chassés de chez eux par d'éventuelles inondations ou montées des eaux. Ou encore, des réfugiés pourraient faire peser une pression telle sur les ressources naturelles que certaines régions ne pourraient plus fournir assez d'eau et de nourriture aux populations: je pense particulièrement au cas des villes en Afrique où des populations rurales, du fait de la désertification, s'agglomèrent. Le risque y existe de troubles sociaux, cette fois-ci à l'intérieur même d'un pays. Le problème essentiel est que les pays qui sont responsables du changement climatique, les pays du Nord, en subiront le moins les effets: ils seront surtout subis par les pays du Sud, qui connaîtront le plus les migrations climatiques, mais essentiellement du Sud vers le Sud».(7) Que dire en conclusion? En face d'un Nord plus que jamais déterminé à ne rien lâcher, souvenons -nous de la phrase de G.W.Bush: «Le standing de vie américain n'est pas négociable» qui nous a amené les guerres d'Irak d'Afghanistan. Les PVD qui ne sont pour rien dans les changements climatiques ont des raisons d'être inquiets. Jules Fischer tance le comportement des pays industrialisés: «Nous vivons dans une société de consommation. Qui dit consommation dit production. Qui dit production dit pollution et réchauffement climatique, épuisement des ressources limitées (matières premières et énergie). Nous avons consommé en un siècle la moitié des énergies fossiles accumulées en 100 millions d'années (...)Quelles sont les solutions? Changement de mode de vie?: Avec le pétrole et la grande croissance économique pendant les 30 glorieuses, on a eu l'impression de vivre dans un monde sans limites, en progression permanente, où tout serait possible...Il y a des gens qui pensent que les avancées technologiques résoudront tous nos problèmes. On aime bien remettre à plus tard, mais dans le cas de la santé de notre planète, c'est quand même dangereux...».(8) Je suis d'accord. (*) Ecole nationale polytechnique 1.http://www.notre-planete. info/actualites/actu_1824.php 26/11/2008 2.La conférence sur le climat de Poznan «a échoué» sur trois volets essentiels, selon Greenpeace AP 13 12 2008 3.Réchauffement climatique: les 27 trouvent un accord. Lexpress.fr, 12/12/2008 4.Karine Gavand Climat: «L'Union européenne se décrédibilise!» Le Monde.fr 04.12.08 5.Jean Etienne, Réchauffement global: le crucial sommet de Poznan s'annonce difficile: Futura-Sciences le 2 décembre 2008 6.Sunita Narain: «Mode de vie ou changement climatique, il vous faut choisir» Le Monde 04.12.08. 7.François Gemenne.: Interview par Hervé Kempf La crise écologique va-t-elle créer des tensions internationales? Le Monde du 3 12 2008 8.Julien Fischer: Vers un monde durable: Croissance économique et écologie, une équation épineuse. Agoravox. 13 décembre 2008.