Un long trajet sur des chemins tortueux et défoncés nous a conduits à travers certains douars de Aïn Defla et Médéa. Malgré les énormes difficultés auxquelles nous fûmes confrontés, nous avons pu quand même lever un coin du voile sur des situations étouffées pour d'évidentes raisons. Au sud-est de Médéa, un récit nous a été rapporté avec une extrême crudité: «En 1995, j'ai souvenance d'une jeune fille âgée de 16 ans, violée par un groupe sanguinaire qui écumait Ghaba Kahla. Relâchée au bout de deux jours, la victime s'est confiée à sa mère: ‘‘Tu aurais dû mourir'', lui a-t-elle répondu en guise de soutien moral», témoigne un riverain. Même si ce cas est la synthèse d'une multitude de femmes algériennes, il n'en demeure pas moins qu'elles restent enfouies sous la «honte», «l'opprobre» et les mauvaises langues. Djbel Moula Gomer, Changoura, Atael, des noms à la résonance anonyme, et pourtant lourde de 400 personnes assassinées entre 1993 et 1997 à Mongorno. Le chemin y menant est quasiment désert si l'on excepte quelques guérites témoins d'une sécurité encore longue à rétablir. Nos investigations ont buté fréquemment sur le silence imposé par la pudeur, mais grâce à des connaissances, les langues ont fini par se délier: «Là haut (Mongorno, ndlr), des personnes ont été achevées à coups de machette, des femmes violées sous les yeux de leur famille. Le colonialisme n'a pas fait pire», raconte un rescapé qui a fui les lieux, il y a cinq années. Dans ces boyaux géographiques de Zoubaïria, le GIA a poussé quelque 2000 personnes aux portes de la commune. Même si plusieurs zones chaudes ont été nettoyées par l'ANP, des tribus entières comme les Béni Kyor, Krabib, Ouled Menaâ et Chaâbna ont abandonné ce paradis insulaire où même «une femme de soixante ans n'a pas fait reculer la bestialité des émules de Sayah Atiya», dira notre interlocuteur. A Aïn Defla, autres cas parmi mille... «Avec son mari invalide et ses cinq enfants, une femme s'est battue avec un courage stupéfiant contre un groupe terroriste qui a fini par arriver à ses fins avant de l'abandonner dans à la lisière de Djelida», explique Moulay Hafidh, un fellah. Ecoutons cet autre récit de l'épouvante, recueilli à Djendel: «Un soir de l'année 1996, une adolescente du douar a été enlevée par les terroristes. Ils lui ont fait subir des sévices sexuels incommunicables après l'avoir violée et sodomisée. Elle a survécu.» Depuis Khemis Miliana, nous nous sommes rendus à Ksar El-Boukhari. Une mère de famille, recherchée par un chef de groupe terroriste, sera enlevée de son domicile situé en pleine ville. Le lendemain, «elle a été retrouvée égorgée, le corps tailladé et l'organe génital coupé», nous dira un autochtone. Pour les terroristes, le viol est un autre moyen d'humilier et de briser le mari, la femme et les enfants.