“Turkish chawarma : 130 DA.” L'écriteau est décliné en pleine rue Didouche-Mourad, tout près de la Fac centrale. Il annonce l'arrivée sur le marché de la restauration rapide d'un nouveau fast-food 100% turc. Et la précision est de taille avec toute cette faune de “charlatans ès chawarma” qui infestent les rues d'Alger. D'ailleurs, le nom du fast-food est typiquement turc : “Lezzet döner.” C'est le tout dernier chaînon de la filière turkish du kebab et compagnie. Il a ouvert à peine jeudi dernier (18 mai). Si besoin est, cela traduit parfaitement “l'appétit” des milieux d'affaires turcs à l'endroit du marché algérien. En effet, force est de constater que ces fast-foods où l'on vous propose un pack complet “chawarma-narghileh-bouzouki” sont la “vitrine” de l'effort économique turc en Algérie. “Lezzet döner” (littéralement “délice du chawarma”) tient à peine dans deux ou trois mètres carrés, avec une broche à cuisson, une caisse posée sur une dalle en marbre et deux ou trois tables débordant sur le trottoir. Il n'en faudra pas plus pour planter le décor et faire le bonheur de cette gargote. C'est le deuxième fast-food portant la même enseigne. L'établissement principal se trouve à Sidi-Yahia, jouxtant un ancien resto turc et l'un des premiers de la filière chawarma : “Kebab Istanbul.” Les préposés à la clientèle sont algériens, deux jeunes en casquettes et tabliers rouges. Le caissier, lui, est en revanche turc. Il est à Alger depuis seulement un mois. C'est le gérant de l'affaire. Son nom : Emin Göller. Nous avons essayé de l'accrocher pour nous raconter un peu son histoire. La tâche s'avère d'emblée rude, et pour cause : la seule langue que parle Emin, c'est le sourire. Sinon, il ne baragouine pas un mot d'arabe, encore moins de français ou d'anglais. Aussi, lorsque nous brandissons notre carte, il nous confie aux bons soins de son bras droit Salah. Debout toute la journée devant la broche rotatoire qui fait rôtir patiemment une grosse masse de dinde marinée, Salah, 27 ans, nous explique entre deux clients les raisons de l'intérêt porté par les Turcs à ce business. “Les Turcs ? C'est Bouteflika qui les a ramenés. C'est lui le grand patron, et il les encourage à investir ici. Ils ont remarqué l'engouement des consommateurs algériens pour les spécialités turques, une demande qui n'est pas satisfaite vu la piètre qualité de la plupart des fast-foods qui font dans la chawarma. Les restaurateurs algériens ne maîtrisent pas ce type de cuisine”, dit-il. Ainsi, Salah mise sur la qualité et entend conquérir très vite un bon segment du marché sur l'axe Didouche-Mourad - La Grande-Poste. “Moi, je prépare la chawarma exactement à la turque. J'ai beaucoup travaillé avec eux en Tunisie. Cela fait dix ans que je fais ce métier”, confie-t-il. Salah est formel : pour lui, l'argent, c'est en Algérie. “Les Turcs ont vite compris que le vrai business, c'est ici, surtout depuis que l'Europe leur a fermé ses portes.” Lui qui a visité la Turquie révèle : “Ils sont beaucoup mieux payés ici que dans leur pays. Ici, ils se font quatre ou cinq fois plus d'argent que là-bas.” Dans la foulée, il ne manque pas de rappeler l'importance du facteur historique dans le rapprochement algéro-turc, allusion à la présence ottomane à Alger avant 1830. “J'ai été en Turquie. Les Turcs nous ressemblent sur pas mal de choses. Ils ont des racines ici”, dit-il. Et de souligner : “Ce n'est pas que la restauration qui les intéresse. Il y a aussi l'industrie, le bâtiment…” Ce que confirme l'ambassadeur turc à Alger en affirmant dans un entretien accordé à notre confrère El Watan (édition du 20 mai) que le montant des investissements directs turcs en Algérie s'élève à 600 millions de dollars pour les cinq dernières années. Les trabendistes confirment, pour leur part, cet attrait des réseaux d'affaires turcs pour le marché algérien. “Nous achetons de plus en plus turc parce que, d'abord, il y a moins de tracasseries pour aller en Turquie, ensuite parce que la qualité du textile turc s'est améliorée”, analyse un jeune vendeur rencontré au marché Clauzel, avant de faire remarquer : “La plupart des vêtements qu'on importe d'Europe sont des produits de contrefaçon chinois. Les Turcs, eux, offrent une marchandise de meilleure qualité.” Mustapha Benfodil