A une semaine de la commémoration du 20e anniversaire de la mort de Mouloud Mammeri, la localité d'Ath Yenni n'a rien oublié. Pour les villageois de cette localité qui fait face à la célèbre «Main du juif», Mouloud Mammeri restera toujours l'habitant de leur village. La modestie du romancier est légendaire aussi bien dans son village Taourirt Mimoun que dans les autres bourgades. A notre arrivée, le programme des activités n'a pas encore été communiqué au siège de l'espace culturel «Mouloud-Mammeri», qui devrait les abriter. La dame qui assure la permanence nous a indiqué que c'est l'association culturelle «Talwit» du village Ath Lahcène qui s'occupe des préparatifs. Un citoyen de ce village nous accompagne pour rejoindre M.Sami Cherrat, le président de l'association. Le président est absent mais on nous remet le programme des activités qui s'étalera du 25 février au 1er mars. L'ouverture des festivités commémoratives s'effectuera en présence des membres de la famille Mammeri, des représentants du ministère de la Culture, du Haut Commissariat à l'amazighité et des autorités locales, sans oublier les représentants du mouvement associatif. Un spectacle théâtral est prévu pour cette première journée. Il sera animé par la troupe El Ferdja de Draâ Ben Khedda. D'autres animations sont au menu, comme des conférences-débats, des expositions, des récitals poétiques. Une nouveauté est signalée cette année. Il s'agit de la tenue simultanément avec cette commémoration, du Salon national du livre amazigh, qu'organise régulièrement le Haut Commissariat à l'amazighité. Plusieurs éditeurs y seront représentés comme Imedyazen, Numidia, Assirem, l'Odyssée, le Savoir... Après la petite halte au village Ath Lahcène, nous nous dirigeons vers Taourirt Mimoun. Des jeunes nous orientent avec amabilité. «Il faut suivre le chemin de l'ancien siège de l'APC puis vous montez tout droit», expliquent des jeunes qui demandent à un membre de la famille Mammeri, qui tient un magasin au chef- lieu d'Ath Yenni, de nous livrer un témoignage sur son oncle. «Il vaut mieux aller au village. Il y a des personnes plus âgées qui se souviennent mieux de lui», répond- il avec modestie. Et d'ajouter: «Tu trouveras une épicerie. Le propriétaire est un proche de Dda Lmoulud», ajoute-t-il. Le village de Mouloud Mammeri est situé sur une colline. Il s'agit d'un village minuscule. Comme activité commerciale, nous n'avons remarqué que l'épicerie dont on nous a parlé. Comme il fait froid, le village est désert. Sur notre chemin, nous n'avons croisé que trois petits écoliers que nous interrogeons encore une fois pour nous rassurer que nous ne nous sommes pas trompés de village. «C'est ici, Taourirt Mimoun», répond une petite fille avec l'accent typique du kabyle d'Ath Yenni. Deux fresques accueillent le visiteur. Sur l'une, on peut voir le portrait de Mouloud Mammeri, avec à côté, transcrites en gros caractères trois célèbres citations de l'écrivain dont l'une sur l'olivier. L'autre fresque représente Mammeri en compagnie du chanteur Idir, lui aussi originaire d'Ath Yenni. Abad Youcef a 49 ans. C'est lui qui gère l'épicerie. Il a des liens de parenté avec Mouloud Mammeri et il garde plusieurs souvenirs de lui. «Oui, je me souviens de ma dernière rencontre avec lui avant sa mort. Il était venu avec sa femme dans sa voiture. Le pare-choc avant de son véhicule était endommagé. Nous avons profité du moment où il était rentré chez lui pour réparer le pare-choc en compagnie de mon père. A son retour, il nous a remerciés», raconte Abad Youcef qui dit se souvenir même de Dda Salem, le père de l'écrivain. Notre interlocuteur précise que la majorité des gens de sa génération sont malheureusement morts. Un autre citoyen entre dans le magasin et apporte à son tour un témoignage: «Dda Lmulud s'entendait beaucoup avec Aggoun Mohamed. Ils se côtoyaient parce que ce dernier aimait la poésie. Il est originaire de Beni Douala. Maintenant, il n'habite plus ici.» Un jour, se souvient notre interlocuteur, Dda Lmulud était en train de discuter avec Aggoun Mohamed et sa femme est venue lui dire que le moment est venu de partir à Alger. Dda Lmulud se plaisait tellement avec son interlocuteur qu'il a dit à son épouse que le départ était reporté. Une autre anecdote recueillie à Taourirt le jour de notre passage: «Son père, Dda Salem, était un fabricant de fusil, un vrai artisan. Un jour, à l'époque où Dda Lmulud était encore enfant, des amis ont dit à Dda Salem que son fils allait certainement devenir un artisan talentueux comme lui. Le père répondit négativement et a dit: non, il va s'accrocher à son époque. Son chemin à lui, ce sont les études». Le café que fréquentait Mouloud Mammeri à Taourirt Mimoun est malheurement fermé depuis 1990. A l'époque, se souviennent les villageois, il jouait aux dominos avec ses amis, entre autres Abed Amar, Abdoun Amar, El Hadj Youcef. Seul ce dernier est encore vivant. Malheureusement, au moment de notre passage, il n'était pas disponible. Adel Lounis, un autre citoyen de Taourirt, nous a confié que de son vivant, il le voyait souvent. Il était inséparable de son burnous mais «je n'ai su qu'il était écrivain que le jour de sa mort. Il était tellement modeste qu'on ne pouvait pas deviner que c'était un érudit. Seuls les étudiants savaient ce qu'il écrivait». Un autre habitant de Taourirt confirme l'anecdote la plus célèbre qui illustre la simplicité de Mammeri: «Deux journalistes étrangers sont venus pour l'interviewer au village. Sur leur chemin, ils rencontrent un homme d'un certain âge en compagnie d'un baudet. Les deux journalistes l'interrogent sur la maison de l'écrivain. Et ils découvrent que c'était lui l'homme recherché.»