Comme tous les fils de pauvres, l'écrivain était d'une extraordinaire humilité! Mouloud Feraoun a été et reste l'écrivain maghrébin le plus lu dans le monde. Les critiques en mal d'affirmation ont beau tenter de diminuer la valeur littéraire des oeuvres de Mouloud Feraoun, la réalité du terrain, celle irrévocable du lectorat, est là pour remettre à leur place les auteurs de ces velléités. Y a-t-il un autre baromètre pour mesurer la valeur d'un écrivain autre que celui qui fait que ses oeuvres, outre le fait qu'elles soient impérissables, sont lues par le plus grand nombre de lecteurs. Pourtant, en décidant d'écrire le «fils du pauvre», Mouloud Feraoun n'était animé d'aucune prétention. C'était juste pour écrire. Pour combler le temps qui s'étire indéfiniment dans les montagnes kabyles. Juste pour exorciser quelques démons de l'enfance, balancée entre une misère matérielle implacable et une liesse à peine perceptible et tacite, tirée du statut de fils unique à une époque où les femmes étaient encore une malédiction et un châtiment à la fois pour les parents et la société. Mouloud Feraoun était d'une humilité extraordinaire car, quand il s'adresse dans une lettre à Albert Camus, que le lecteur peut retrouver dans le livre Lettres à ses amis, il avertit en guise d'exorde, que le fait de s'adresser au prix Nobel ne signifiait nullement vouloir se mesurer à lui. C'était juste pour donner un avis différent du sien sur ce qui, n'eut été la politique, aurait pu être le pays des deux écrivains sans aucune polémique. Sans les romans de Mouloud Feraoun, l'Algérien aurait-il pu avoir une image aussi réelle et aussi vivante, si proche de la réalité de ce que fût le village et la société kabyles des années quarante et cinquante? Au départ, Feraoun n'a fait qu'écrire sa vie autrement, de manière à peine romancée pour fuir un certain puritanisme de l'époque. D'ailleurs, c'est à compte d'auteur qu'il publie Le fils du pauvre, la première fois. Avant que la très prestigieuse maison d'édition Le seuil ne s'aperçoive de la valeur du roman. Le livre est alors édité officiellement. De l'enfance douloureuse, Feraoun change carrément de cap dans son deuxième roman: La terre et le sang, très inspiré de la réalité. Un roman d'amour dans le sang à une époque où l'amour comptait plus de pratiquants que de croyants. Mouloud Feraoun a su décrire des amours chastes dans un milieu très hostile et austère, tout en narrant la vie familiale extrêmement rude, alors que les gens, pour gagner le pain quotidien, étaient contraints d'émigrer. Pour s'adonner à des métiers pouvant conduire à la mort. Mais la mort ne se résume pas uniquement à celle que peuvent provoquer la guerre et les risques du métier. Il y a aussi la mort qui peut naître de la jalousie aveugle que peut éprouver un homme à l'égard de son cousin. Des jalousies parfois nées d'un rien, d'un mot déplacé prononcé dans un contexte bien défini à la djemaâ du village ou encore d'une femme aimée silencieusement et qu'un autre a épousé parce que plus pourvu. Ces bassesses inévitables de la vie constituent aussi l'âme du prochain roman du fils de Tizi Hibel Les chemin qui montent. Puis Feraoun, très marqué par la guerre d'Algérie, écrit un chef-d'oeuvre sous forme de Journal. Un livre dont la mémoire retiendra l'objectivité irréprochable de l'auteur qui refuse les lectures simplistes, propres aux hypocrites, consistant à dire que tout est blanc ou que tout est noir.