Mouloud BELAOUANE vient de s'éteindre à l'âge de 80 ans, emporté par une insidieuse maladie. Contre la mort on perd toujours mais l'évaluation n'est pas dans l'issue de ce combat dont le résultat, de toute façon, est connu d'avance. L'appréciation se fait au vu du parcours du «perdant». Un philosophe n'a-t'il pas énoncé: «Plus on remplit sa vie, et moins on craint de la perdre.» Et le parcours de Si Mouloud est d'une splendeur incomparable et d'une densité formidable. Militant irréductible de la cause nationale dès les années 50, organisateur hors pair, il a été l'un des principaux «accoucheurs» de l'historique Ugema, à Paris. Sans se mettre en avant, laissant les premières loges à ses camarades. Repéré par la police française et de toute façon ne se suffîsant pas de cette forme de «maquis sur la Rive Gauche», il rejoignit le FLN/ALN avec femme et enfant dès 1957 au Maroc. Intégré dans les structures sanitaires de l'ALN (il était déjà médecin confirmé), il fut affecté comme responsable dans les mêmes structures auprès de l'état-major général de l'ALN à Ghardimaou, en Tunisie. Officier de l'ALN, il devint député à l'Assemblée constituante en 1962, ministre de l'Information en 1963, puis prit les rênes du Croissant-Rouge algérien (CRA) de 1967 à 1994. Après son engagement total au service de la révolution armée, le CRA a été l'autre grande préoccupation de sa vie. C'est dans le monde de l'Humanitaire que j'ai eu l'honneur et la chance de le connaître et de le côtoyer puisque j'ai eu à le seconder de 1989 à 1994, date à laquelle je lui succédai. C'est auprès de ce véritable expert que j'ai appris à appréhender les concepts, les enjeux, les défis, les modes opératoires et les décryptages politiques dans les programmes et actions de l'humanitaire, quasiment, à ce moment-là, une nouvelle science qui faisait une irruption fracassante dans les espaces politique et social. Et personne que Si Mouloud ne savait faire preuve de discernement aussi bien que lui et aussi rapidement dans la complexité d'une situation donnée. Quand nous réagissions face à un problème en techniciens avertis, il intégrait dans une analyse qui nous surprenait des éléments qui nous étaient étrangers et qui s'avéraient être déterminants dans l'incertitude et face à l'adversité. Bon et conciliant jusqu'à la caricature, il savait se montrer tranchant, il savait décider rapidement et agir résolument. Redoutablement efficace, il organisa de main de maître les réfugiés nigériens, maliens et surtout sahraouis qui lui vouent un véritable culte car il les servit avec abnégation et sans limites et les a défendus avec acharnement dans nombre de cénacles internationaux. Sa science, sa personnalité étaient telles qu'il en imposait véritablement à l'échelle internationale. Et j'ai assisté personnellement plus d'une fois au spectacle de le voir trotter dans les couloirs des salles de conférences internationales, une nuée de responsables d'autres pays sur ses talons, le sollicitant pour un avis ou pour bénéficier de son appui. Comme je peux témoigner de l'aura toujours affirmée de la délégation algérienne dont son chef, Si Mouloud, était régulièrement assailli, car on recherchait un conseil ou un soutien. La symphonie était achevée quand il officiait en duo avec son alter ego, Si Abdelkader Boualga (que Dieu ait son âme), un autre monument du CRA. Je ne peux ne pas parler de l'homme de culture. Tous ceux qui ont connu Si Mouloud confirmeront. Il était une véritable «encyclopédie sur pieds». Rien n'échappait à sa curiosité, à sa sagacité, à son intelligence et tout était intégré dans une diffusion lors de discussions dont on ne se lassait pas. Si Mouloud pouvait parler, avec autorité et références à l'appui, de la science, de la religion, de l'histoire, de la géographie, des insectes, des oiseaux, des poissons, de la généalogie des tribus algériennes mais aussi des Ouigours en Chine ou des Zoulous en Afrique du Sud... Intarissable, toujours les dernières parutions dans son cartable, il rayonnait tel un authentique homme de savoir. Quand un jour, je l'interrogeai sur les confréries, il me regarda de sa façon amicale et ironique et me demanda de me préparer à un court voyage. «Tu m'accompagneras ce week-end à Tolga, et là-bas je répondrai à ta question», me dit-il. Voyage quasi-initiatique que je n'oublierai jamais et qui me fit entrevoir un monde qui m'était inconnu. Lui, Si Mouloud, après tant de fois, y retournera pour la dernière fois. C'est à Tolga (qui n'est pas le lieu de sa naissance) qu'il a choisi de reposer éternellement. Adieu mon grand frère, mon ami, mon Maître. (*) Ancien président du Croissant-Rouge algérien.