Samir Kassir, le journaliste-écrivain, mais aussi penseur et opposant à la présence syrienne et au pouvoir du président Emile Lahoud, est mort assassiné jeudi dans la banlieue chrétienne d'Achrafiyeh, connue pour avoir été en 1975 le lieu où avait éclaté la guerre civile libanaise. Journaliste au quotidien à grand tirage An Nahar et professeur de sciences politiques à l'université Saint-Joseph, Kassir était l'un des membres fondateurs du mouvement d'opposition de la gauche démocratique. Ce mouvement fait partie de la coalition des partis d'opposition qui ont joué un rôle majeur dans le retrait fin avril des troupes syriennes du Liban, après 29 ans de présence. A son corps défendant, Samir Kassir s'était retrouvé propulsé sur le devant de la scène politique qu'il avait l'habitude de décrire. Il ne le fera plus. Il est mort assassiné dans l'explosion de sa voiture. Un de ces attentats comme tous ceux que le Liban a connus durant les années noires de son histoire. Des attaques jamais revendiquées, et dont il est presque sûr que les auteurs ne seront jamais identifiés. C'est d'ailleurs ce qui explique la crainte des Libanais, persuadés que leur pays était devenu le lieu de tous les coups tordus et des assassinats politiques. Comme celui de Rafic Hariri, l'ancien Premier ministre tué dans un attentat à la bombe le 14 février dernier, et qui avait fait réagir les Libanais sans distinction de confession. D'autres attentats ont eu lieu, sans avoir le caractère ciblé de celui d'hier ou de février dernier. Réunis en soirée, les ténors de l'opposition au pouvoir ont réclamé la démission de M. Lahoud, qu'ils rendent responsable de l'assassinat de Hariri et de celui de Kassir. « La réplique contre ce crime réside dans la démission du président Emile Lahoud, chef effectif du système policier syro-libanais », a déclaré à la presse le secrétaire de la Gauche démocratique, Elias Atallah, à l'issue de la réunion. M. Atallah a ensuite invité les Libanais à respecter une journée de grève et de deuil national. Ce qui a été fait effectivement hier. Selon le communiqué de l'opposition lu par M. Atallah, « le meurtre de Samir Kassir, symbole du journalisme engagé et défenseur de la démocratie, constitue un nouveau crime dans la série noire qui vise la destruction de la patrie ». Le député sunnite élu, Saâd Hariri, fils de Rafic Hariri, le chef druze et député Walid Joumblatt, des figures de proue de l'opposition chrétienne relevant du chef de l'Eglise maronite, Nasrallah Sfeir et Jibran Bassil, gendre du général en retraite Michel Aoun, ont participé à la réunion qui s'est tenue jeudi soir à huis clos. Avant la fin de la réunion, M. Bassil s'est retiré pour protester contre « l'exploitation du crime odieux (de Samir Kassir) à des fins politiques ». M. Lahoud a rejeté toutes les accusations portées contre lui. « Je ne répondrai pas à ces critiques. Mon but n'est pas d'enveminer les choses. Mon seul but est de restaurer l'unité des Libanais. Je laisserai à la commission d'enquête internationale le soin de mener à bien son travail pour déterminer la partie responsable de tous ces assassinats et ces morts. Entre-temps, je suis déterminé à ne laisser personne ébranler la stabilité et la sécurité du pays », a déclaré 8M. Lahoud, lors d'une visite au Syndicat de la presse à Beyrouth. Plusieurs milliers de personnes ont participé jeudi soir à une veillée aux chandelles au cœur de Beyrouth, avant de se rendre sur le lieu de l'attentat. Et hier, plusieurs centaines de journalistes, habillés de chemise blanche et pantalon ou jupe noire, ont observé hier une heure de silence dans le centre de Beyrouth, en hommage à leur collègue assassiné la veille. Autour d'une statue dédiée aux « martyrs », opposants et journalistes exécutés au début du XXe siècle par les autorités ottomanes, les journalistes se sont rassemblés à l'appel du quotidien An Nahar. « Martyr du soulèvement de l'indépendance », pouvait-on lire sur un gigantesque portrait de Samir Kassir dressé sur cette place, appelée place de la Liberté à la suite des manifestations qui y ont eu lieu après l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Samir Kassir était l'un des fervents animateurs de ces manifestations qui ont conduit, conjuguées à des pressions internationales sans précédent, au retrait de l'armée syrienne, qui a quitté le Liban fin avril après 29 ans de présence. C'était également un militant de gauche luttant pour la démocratie en Syrie, au Liban et dans le monde arabe. Est-ce cette voix qui était visée, et dans ce cas-là, elle vient de s'éteindre ou, alors, les auteurs de cet assassinat se sont-ils attaqué à un symbole comme cela a été le cas avec Rafic Hariri pour terroriser la population et lui rappeler les années sombres de la guerre civile ? Les deux hypothèses se rejoignent, et dans tous les cas de figure, c'est encore une fois le Liban qui est menacé. Le président Emile Lahoud a bien prévenu que le Liban n'était ni l'Ukraine ni la Géorgie. L'opposition n'est plus ce qu'elle était jusqu'aux élections législatives, et l'on regrette encore au Liban que le réflexe communautaire soit toujours fort.